Par Abderrafie Hamdi
Je ne sais pourquoi, en apprenant la nouvelle de la fuite du président syrien Bachar al-Assad hors de son pays, je me suis immédiatement souvenu de la pièce de théâtre “À ta santé, ô patrie”, écrite par Mohammad al-Maghout et magistralement interprétée par le grand acteur syrien Duraid Lahham. Créée en 1979, cette pièce a été jouée dans tout le monde arabe, rencontrant un succès sans précédent, avant ou depuis, dans l’histoire du théâtre arabe.
L’intrigue est poignante : un père syrien tente désespérément de sauver sa fille gravement malade. Mais en raison de la corruption et de la bureaucratie gangrenant les rouages de l’administration, l’enfant meurt. Le médecin, priorisant un patient moins urgent mais “important”, l’a laissée attendre trop longtemps. Dévasté, le père, dans un geste de protestation extrême, finit par vendre ses trois autres enfants.
Et si le régime syrien de l’époque, au lieu de rire avec “Ghawar”, le personnage principal de la pièce, avait pleuré avec son peuple opprimé ? Serait-il arrivé à ce point de désespoir, contraint de fuir tel un voleur dans la nuit ? Aurait-on assisté aux soulèvements populaires, au chaos syrien, au martyr de plus de 500 000 personnes, à l’exode de millions d’autres ? Et, au final, ce sombre marchandage entre amis et ennemis, à l’intérieur comme à l’extérieur, aurait-il conduit à ce transfert nocturne de la Syrie vers l’inconnu ?
Les Syriens, victimes d’un demi-siècle de règne des Assad père et fils, ont le droit de savoir :
- Qui sont les véritables acteurs de ce marchandage ?
- Quel en est le prix ?
- Quels engagements les nouveaux dirigeants ont-ils pris envers Israël et d’autres puissances ?
- Sont-ils réellement les héros d’une nouvelle ère ou de simples marionnettes dans une pièce écrite dans les coulisses de Washington, Tel-Aviv, Ankara ou Doha, comme Mustafa Abdeljalil l’a été en Libye ?
Les premières déclarations des nouveaux dirigeants, centrées sur la démocratie, l’intégrité et les droits humains, suscitent des interrogations :
D’où proviennent ces discours ? S’inspirent-ils des fatwas de Ben Laden, Zarqaoui ou Baghdadi ? Ou bien des stratégies de Bernard-Henri Lévy, surnommé “le parrain” ?
La vie nous enseigne qu’un loup reste un prédateur, peu importe les apparences.
Si la Syrie, garant de l’équilibre au Moyen-Orient, a sombré sous le poids des erreurs et de la tyrannie du régime Assad, que dire de ces nouveaux acteurs qui ouvrent la voie à Israël pour détruire les infrastructures syriennes, épuiser son armée et violer son territoire ? Imaginer que la Syrie pourrait rester unie face à des factions islamistes prêtes à s’entre-déchirer, par volonté ou sous influence, relève d’une illusion dangereuse.
L’unité de la Syrie n’a jamais dépendu du régime Assad. Elle a toujours été le rêve et l’obsession de son peuple, de toutes ses composantes nationales. Bien des acteurs régionaux et internationaux ont tenté de jouer la carte des divisions confessionnelles sans jamais réussir.
Un épisode historique le rappelle : dans les années 1940, le président syrien Shukri al-Quwatli rendait régulièrement visite à un cheikh de Damas, Mohsen al-Amin al-Husseini al-Amili, connu pour avoir fondé une école afin de sortir les enfants des rues. Lors d’une visite, al-Quwatli demanda au cheikh ce qu’il souhaitait en guise de reconnaissance pour ses efforts. Sans hésitation, le cheikh répondit : “Si vous voulez vraiment m’honorer, supprimez toute mention de religion, de confession ou de secte des cartes d’identité syriennes.” Le président accepta, et depuis ce jour, les cartes d’identité syriennes sont devenues purement civiles, débarrassées de toute référence religieuse.
Le peuple syrien aspire à retrouver cette unité civique et ce rêve collectif, loin des calculs sordides et des divisions imposées. Le futur de la Syrie reste à écrire, mais il ne peut se construire sur de nouvelles trahisons.