Par Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)
Chaque grande compétition sportive est avant tout une invitation à regarder le sport pour ce qu’il est : un jeu, une rencontre, un moment collectif. Le football, en particulier, mobilise des énergies, des passions et des imaginaires qui dépassent largement le cadre du terrain, sans pour autant perdre sa nature première.
Depuis ce dimanche (21 décembre 2025 NDLR), de nombreuses capitales africaines vivent au rythme d’un véritable moment de fête sportive. La Coupe d’Afrique des nations n’est pas seulement une compétition : elle est aussi un événement social, culturel et humain, porté par une mobilisation continentale rare.
Le pays hôte, le Maroc, s’y est préparé de longue date, en investissant dans les stades, les infrastructures hôtelières, les transports et les conditions d’accueil, avec l’ambition d’offrir à l’Afrique un rendez-vous à la hauteur de ses attentes.
Dans ce contexte, les réseaux sociaux occupent naturellement une place importante dans la manière dont ces événements sont commentés et partagés à l’échelle du continent africain. Le plus souvent, ils prolongent l’enthousiasme, diffusent les images de la fête et participent à la dimension collective de l’événement. Il arrive toutefois, de manière ponctuelle et marginale, que certaines lectures extérieures au champ sportif s’y invitent. D’où l’intérêt de rappeler, sans dramatisation, que la force de ces grandes compétitions réside précisément dans leur capacité à rester des moments de jeu, de rencontre et de célébration.
Cette situation invite à une question plus large : que demande-t-on réellement au sport aujourd’hui ? Est-il encore un espace de jeu et de compétition codifiée, ou devient-il le support d’attentes politiques et symboliques qui le dépassent ? Autrement dit, protège-t-on le sport en l’investissant de significations toujours plus lourdes, ou l’affaiblit-on en le chargeant de ce qu’il n’est pas censé porter ?
Le sport n’est évidemment pas hors du monde. Il est traversé par les réalités sociales, les inégalités économiques et les imaginaires collectifs. Mais les sciences sociales l’ont montré depuis longtemps ,le sport reflète les sociétés bien plus qu’il ne les transforme. Lorsqu’on lui assigne un rôle diplomatique ou idéologique explicite, on le détourne de sa fonction première, au risque d’en altérer l’essence.
L’histoire du sport mondial en apporte une illustration claire. Les moments les plus problématiques de l’olympisme, par exemple, ne furent ni ceux des défaites sportives ni ceux des controverses techniques, mais ceux où la logique politique a pris le dessus sur l’esprit du jeu. Les boycotts des Jeux olympiques durant la Guerre froide ont transformé une rencontre universelle en terrain d’affrontement idéologique. Des athlètes ont été privés de compétition, des peuples absents de la fête, et le message universel du sport profondément fragilisé.
Ces stratégies n’ont produit ni victoires politiques durables ni avancées diplomatiques significatives. Elles ont surtout laissé des traces négatives dans l’histoire du sport, montrant que la politisation directe n’élève ni le débat public ni la pratique sportive.
Cela ne signifie pas que le sport doit déconnecté des réalités. Aujourd’hui, il est pleinement intégré aux dynamiques économiques ,infrastructures, investissements, tourisme, industries médiatiques. Ces dimensions sont réelles et structurantes. Mais il existe une différence fondamentale entre penser le sport comme un secteur stratégique et le transformer en vecteur idéologique.
C’est précisément ce que rappelle la Journée internationale du sport au service du développement et de la paix, célébrée chaque année le 6 avril sous l’égide des Nations unies. Cette initiative ne glorifie ni la victoire ni le prestige ; elle insiste sur la vocation originelle du sport : favoriser le dialogue, construire des ponts et promouvoir une culture du respect. Loin d’un discours naïf, elle s’appuie sur une expérience historique montrant que le sport est plus efficace lorsqu’il reste fidèle à sa nature.
Préserver le sport de ces glissements n’est pas un refus du réel. C’est un choix lucide. Celui de reconnaître que toutes les sphères de la vie sociale n’ont pas vocation à être des prolongements du conflit ou du rapport de force.
En définitive, le football — et le sport en général — n’a pas besoin d’être politique pour être influent, ni stratégique pour être important. Sa force réside dans sa simplicité, dans sa capacité à créer du lien et à produire une émotion partagée. Lorsqu’on le laisse à sa juste place, il remplit mieux sa fonction que lorsqu’on lui impose un rôle qui n’est pas le sien.
Enfin, il serait difficile de dissocier cette fête sportive du pays qui l’accueille. Le Maroc, fidèle à une tradition ancienne d’hospitalité, de pluralité et d’ouverture, offre à cette compétition un cadre qui dépasse l’organisation matérielle. Il y projette une certaine idée du vivre-ensemble, faite de générosité, de diversité assumée et de respect des différences. Une manière discrète mais éloquente de rappeler que le sport, lorsqu’il est bien accueilli, parle aussi le langage de l’humain.
Football is just a game.