Par Dr. Brahim Benyoucef, Expert consultant en urbanisme et en Sciences sociales

brahim benyoucef Le P.Q revient une fois de plus au jeu malsain de la diversion, en ressuscitant le projet de charte de laïcité. Même si ce projet voudrait bannir tous les signes ostentatoires au sein de la fonction publique, il vise essentiellement le foulard islamique.

Force est de constater, une fois de plus la communauté musulmane vivant au Québec est ciblée par les manœuvres politiciennes et électoralistes. Si la tempête des accommodements raisonnables provoquée par le défunt parti A.D.Q avait occupé une grande place dans les débats de la précédente campagne; c’est le tour au P.Q de prendre le relais avec son projet de charte de laïcité.

Manœuvre malsaine

Encore une fois le P.Q, pour d’étroits calculs politiques et partisans, vient jouer dans la cour des divisions identitaires.

Oh que c’est ignoble de forcer des citoyens(es) déjà fragilisés(es) par la discrimination, les préjugés, le racisme et le chômage à choisir entre leurs emplois et leur identités.

Oh qu’il est malsain et aliénant que de forcer une personne à neutraliser ou effacer son identité, en sorte de s’auto-aliéner.

Oh qu’il est malsain que de susciter des sensibilités et de creuser des fossés entre des Nous et des Eux.

Le P.Q mérite à juste titre de se faire discerner le prix d’excellence dans la division et la diversion!

Jeu de diversion ou perte de vue?

Ce geste répond à la fois à une volonté de diversion et, il est révélateur de perte de vue et de raison.

Encore une fois le P.Q, pour faire diversion et éviter la réédition de compte, avec un bilan peu concluant, à la fin  de sa première année au pouvoir, trouve refuge dans les divisions identitaires.

Ce geste est aussi révélateur d’un manque de jugement et de raison, en ce sens que d’une part, aucune raison objective ne justifie une telle charte et, d’autre part aucune évaluation des impacts et des effets, ne semble intéresser les instigateurs du projet.

Or, une telle initiative va certainement secouer la paix sociale, le bien vivre ensemble et l’harmonie sociale et l’engagement citoyen. Les actes de vandalisme dont la mosquée du Saguenay a été victime la semaine passée, sont un avant goût de ce qui vient compromettre la paix sociale.

Une telle initiative viendrait certainement déstabiliser les secteurs de services publics et parapublics, dont l’éducation et la santé; d’emblée il est facilement remarquable que la communauté musulmane est assez présente dans le secteur de l’éducation et de la santé, la communauté juive fortement présente dans le secteur de la santé et la communauté Sikh, manifeste une relève de plus en plus présente dans le secteur public et parapublic.

Enjeu ou manœuvre?

Considérant la place accordée à ces questions, Il devient légitime et pressant de poser la question, s’il s’agit d’un véritable enjeu ou simplement d’une manœuvre électoraliste?

Au vu des indicateurs objectifs, rien ne justifie ni un projet de loi ou de charte, ni l’ampleur donnée à la question du foulard islamique dans la campagne électorale et dans le débat de société. En effet, ni les demandes d’accommodements pour des raisons religieuses (à proportion très faible dans l’ensemble; voir à ce propos les études de la commission des droits de la personne), ni le nombre de personnes qui portent un foulard, au sein de la fonction publique de la province du Québec (très faible et insignifiant, pour la simple raison que les Arabes et les Musulmans, surtout maghrébins souffrent d’un taux très élevé d’exclusion de l’emploi) ne justifient un tel acharnement.

La question est suscitée par une fausse idée selon laquelle la présence de signes religieux exercerait une menace. Dans ce contexte interviennent les tempêtes soulevées au Québec, relativement au port du foulard islamique, à la consommation Halal, aux écoles musulmanes, etc.…, où le P.Q semble vouloir jouer un rôle de premier rang. Cette peur est nourrie depuis un certain temps, par certaines médias, qui non seulement cherchent le scoop et le sensationnel, mais de plus, mènent délibérément, une campagne islamophobe continue, agressive et sans répit. Les partis politiques, prennent le relais des médias, pour exploiter à leur avantage, cette phobie une fois installée, à l’égard des musulmans.

En effet, ces partis, à court de projets et d’idées, glissent facilement dans le populisme et la manœuvre électoraliste malsaine et trouvent dans la communauté musulmane du Québec une proie facile.

Ces partis s’imaginent que l’exploitation de cette phobie pour des fins électoralistes, est payante.

La mondialisation; l’immigration; la facilité de la communication et de l’information; les événements politiques des dernières décennies, dont les guerres du Golf et les pseudo guerres contre le terrorisme, etc.… intervenant sur un fond de diabolisation du musulman et de l’islam, sont venus bousculer l’opinion publique en Occident et infester les relations entre les peuples d’Orient et d’Occident.

Particulièrement, cette manœuvre trouve écho, au sein de la société québécoise, pour plusieurs raisons. L’immigration au Québec, des citoyens issus de pays musulmans et arabes, surtout maghrébins a atteint son haut durant cette dernière décennie. Ceux-ci arrivent bien entendu avec leurs codes culturels et laissent afficher de la différence. La différence si incomprise et inexpérimentée; la méconnaissance de l’autre surtout lorsque sa présence est fortement ressentie, génèrent une certaine phobie à son égard. Les cultures des uns et des autres sont des registres codés; sans l’ouverture et l’échange des codes, s’installent l’incompréhension, la frustration et la phobie de l’autre. La société québécoise, qui vient de gagner le pari de sa révolution tranquille et qui vient de s’affranchir du pouvoir de la religion, demeure très sensible aux questions de société et de religion. Ceci explique, pourquoi cette manœuvre malsaine trouve succès (ceci explique aussi les résultats des sondages d’opinion, intervenant suite à des campagnes médiatiques de diabolisation de l’autre, de la différence et de la diversité).

Nécessité criante d’une remise en ordre conceptuelle

Le soubassement idéologique porteur de ce genre de gestes et projets est soutenu par de fausses idées, de faux concepts et une compréhension tronquée des choses, d’où la nécessité criante de mettre de l’ordre dans les idées et les concepts, au risque de sombrer sous les effets d’un dogmatisme aliénant.

La neutralité de l’État est assurée par l’impartialité de ses agents dans l’exercice de leur fonction et non par l’effacement de leur identité. Pousser dans la même logique du ridicule, revient à exiger des fonctionnaires de neutraliser l’apparence de leurs traits et neutraliser les couleurs de leurs visages, car ces signes demeurent révélateurs de l’identité culturelle et ethnique de la personne et en grande partie de son appartenance religieuse.

Porter un hijab, une kipa, un turban ou une croix, ne saurait gêner la neutralité de l’État et de ses institutions, en autant que les fonctionnaires se conforment au niveau de leurs propos, gestes, conduites et comportements aux règles de fonctionnement et l’esprit de l’institution, garantissant la neutralité et l’impartialité de celle-ci

Ne pas confondre agir et être, porter un de ces signes, fait partie de la façon d’être et de paraître de l’individu, relevant de son propre choix et de sa liberté d’être. Ceci ne doit en rien compromettre la neutralité de l’institution que seuls les comportements impartiaux et respectueux des règles de conduite peuvent garantir. Une personne sans porter un de ces signes peut bien porter atteinte à la neutralité de l’institution si ses propos, gestes, attitudes et comportements sont contraires de l’esprit de l’institution; alors qu’une personne même portant un de ces signes, ne porte pas atteinte à la neutralité, tant que son comportement, ses propos et gestes se conforment à l’esprit de l’institution et obéissent à ses règles de conduites.

Exclusion ou inclusion, quelle option choisir?

Malheureusement, ni les politiques, ni les médias ne semblent vouloir écouter ces québécoises et québécois de confession musulmane, qui disent et redisent et ne cessent de répéter haut et fort, qu’ils ont choisi le Québec, terre d’accueil et de liberté, pour vivre dans la dignité et la liberté et pour contribuer à la construction d’un Québec, prospère, épanoui et inclusif.

Loin de vouloir agresser quiconque par la différence qu’ils affichent. Celle-ci fait partie de leur cheminement spirituel, de leurs façons d’être et de paraître et constitue un facteur de leur épanouissement. Ils tiennent à ne pas nuire par leurs comportements, à une quelconque institution, ni à l’espace public, même s’ils tiennent à préserver leur dignité et vivre pleinement et librement leur religion.

Ils font des efforts et les redoublent pour échanger et s’ouvrir aux autres, afin que s’installent des ponts avec l’autre et dans le but de dissiper les préjugés et effacer la peur. (Portes ouvertes dans les mosquées; le partage des soupers du Ramadhan, etc.)

Ils s’établissent au Québec avec l’espoir de réussir et de contribuer à la prospérité du Québec, avec autant d’atouts que la maîtrise de la langue française, du niveau d’instruction très élevé et de l’expertise dont ils bénéficient, avant de se heurter aux murs de l’exclusion.

En plus, de subir continuellement les effets des préjugés, de la discrimination et des campagnes sans répit d’islamophobie; ils souffrent d’une flagrante exclusion à l’emploi, malgré la maîtrise du Français et le niveau élevé d’instruction. (Beaucoup d’études en témoignent, dont la dernière étude de la commission des droits de la personne.) Un CV portant un nom arabe ou musulman a 60% moins de chance d’être accepté versus un nom québécois.

Les femmes musulmanes au nom d’un pseudo égalitarisme, souffrent doublement d’exclusion et d’aliénation. Personne ne veut les écouter lorsqu’elles disent et répètent haut et fort que le voile relève de leur libre choix d’être et de paraître et fait partie de leur cheminement spirituel. Elles veulent que leur choix soit respecté et que cesse la fausse idée qui voudrait associer le voile à une quelconque inégalité entre femmes et hommes.

Au lieu de procéder encore par l’exclusion, il est plus sage de procéder par l’inclusion. Les vrais enjeux sont ailleurs.

L’intégration par l’emploi et la valorisation de la diversité demeurent entre autres, les principaux enjeux, si l’on veut réussir le défi de construire un Québec prospère et inclusif.


La communauté musulmane du Canada : Profil d’une communauté

3.2% soit un peu plus d’un million de Canadiens se sont déclarés musulmans lors du recensement de 2011. La proportion des musulmans est en hausse soit 17,4% Qui sont-ils et comment se sont-ils installés au Canada ?

 

Ce sont bien des questions auxquelles le présent article essaye de répondre

Communauté jeune et d’installation récente au Canada

L’installation de la communauté musulmane au Canada est très récente. La communauté est estimée actuellement à plus de 1 million de personnes. Son établissement dans ce pays lointain a commencé d’une façon très timide dès la fin du 19ème soit dès 1870. D’une dizaine de personnes, son nombre devait connaître une croissance exponentielle, dès la fin des années 70 et 80.

Du point de vue de l’appartenance religieuse, les musulmans sont la communauté qui a connu la plus forte croissance entre les années 1991 et 2001, leur nombre est passé à plus du double de 253.000 à près de 580.000 personnes, et d’une proportion de moins de 1% de la population totale du Canada en 1991 à 2%, en 2001. (2)

À quel rythme ont-ils afflué ?

Bien que l’arrivée des musulmans au Canada remonte à la fin du 19e siècle, et plus précisément en 1870, leur nombre n’était pas important ; on en comptait une dizaine à cette époque. Leur nombre s’élevait à 13 en 1871, à 478 en 1921 et à 645 en 1931. (3)

Après l’annulation de la loi restrictive de l’immigration, leur nombre a augmenté pour atteindre, 33370 personnes en 1970, 100.000 personnes en 1981, 253 265 personnes en 1991, 579 640 personnes en 2001, 842 200 personnes en 2006 et un peu plus d’un million en 2011. (4)

Statistique Canada projette leur nombre à 1400000 en 2017.

Ils se sont installés au début dans les provinces de l’Ontario et de l’Alberta, et dans la province de Québec après les années trente. La première mosquée a pris naissance à Edmonton, dans la province Alberta en 1938.(5)

Plusieurs raisons viennent expliquer cette croissance :

¨   La politique d’accueil que la Canada a adoptée pour parer à son déficit démographique, démontrant beaucoup d’ouverture à la diversité culturelle (6);

¨   La situation sécuritaire et l’instabilité due aux guerres dans certains pays d’origine ;

¨   La volonté de certaines familles de profiter d’une ouverture pour explorer de nouvelles opportunités, d’autant plus que le Canada affiche une attitude d’ouverture et d’accueil très différente de l’hostilité de certains pays d’Europe, dont la France (7)

Conformément au profil linguistique, les Maghrébins en majorité francophones, devaient s’établir au Québec ; alors que les musulmans originaires d’Asie et du Moyen Orient devaient s’établir en majorité en Ontario.

Les musulmans forment le groupe religieux dont la croissance a été la plus rapide entre 1991 et 2001. Leur nombre et leur pourcentage au sein de la population totale a plus que doublé, passant de 253 000 à près de 580 000 adhérents. En 1991, ils formaient moins de 1 % de la population totale du Canada et dix ans plus tard, ils en regroupent 2 %. (8)

Comment vivent-ils et quels sont les enjeux et défis auxquels ils font face? Sont les questions clés pour comprendre la réalité de cette communauté.

Par Dr. Brahim Benyoucef, Expert consultant en urbanisme et en Sciences sociales (Maghreb Canada Express, Édition du mois d’octobre 2013, page 9)

À suivre : Numéro de Novembre 2013 de Maghreb Canada Express.

 

Références :

(1)  Enquête nationale auprès des ménages de 2011 : Immigration, lieu de naissance, citoyenneté, origine ethnique, minorités visibles, langue et religion – Statistique Canada

(2) Le Canada devient de plus en plus un pays d’immigrants : http://www.radio-canada.ca /nouvelles/ National/ 2013/05/08/001-statistique-canada-immigrants-minorites-visibles.shtml

M.I.CC,.2003. (27 mai). «Données sur la population recensée en 2001 portant sur la religion Analyse sommaire». Publication de la Direction de la population et de la recherche. Québec.

(3) Texte issu de la conférence tenue à Dakar en mars 2008 en guise de prélude du sommet de l’Organisation de la Conférence Islamique, sans auteur.

(4) Source : Statistique Canada, Recensement de 2001 : série « analyses », Les religions au Canada,

Catalogue no 96F0030XIF2001015, 13 mai 2003.

(5) Yvonne Y, Haddad révision Junaid, Quadri.2012. «Islam». In  L’Encyclopédie canadienne. Historica-Dominion. En ligne : http:// www.the canadian encyclopedia.com/ articles/fr/islam . Consulté le 11 juin 2013.

Statistique Canada.  2003 (13 mai).  «Les religions au Canada».  In Recensement de 2001. série  analyses. Catalogue no 96F0030XIF2001015.

The Environics Institute. 2006. «SURVEY OF CANADIAN MUSLIMS (2006)». En ligne.    < http://www. environicsinstitute.org/ institute-projects/ completed-projects/survey-canadian-muslims Consulté le 11 juin 2013.

(6) Le Canada a accueilli en moyenne 229 000 immigrants chaque année de 1991 à 2006 et en moyenne 250 000 par année de 2007 à 2011. Le Québec a accueilli en moyenne 49000 immigrants par an de 2007 à 2011. Statistiques publiées par Citoyenneté et Immigration Canada (février 2012) et, le Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, Direction de la recherche et de l’analyse prospective, Québec, mars 2012.

(7) Brahim Benyoucef : La communauté algérienne au Canada

(8)      Données sur la population recensée en 2001 portant sur la religion Analyse sommaire, Québec, M.I.CC, Direction de la population et de la recherche 27 mai 2003

 

 

 

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