Photo MCE : Majid Blal

Majid 24_10 018 (4)L’émergence au cours des années quatre-vingt d’écrivains et écrivains immigrés d’origines méditerranéennes s’affiliant à la littérature québécoise est un phénomène relativement nouveau dans le contexte littéraire québécois. Au centre de ce nouveau mouvement littéraire, s’imposent les figures suivantes: Majid Blal, Nadia Ghalem, Mona Latif-Ghattas et Abla Farhoud, qui traitent comment les immigrés sont-ils représentés dans le roman?

À partir de quelle mise scène le roman méditerranéen reproduit-il les immigrés appartenant à la région Québec? Il nous semble pertinent de reconstituer les représentations des immigrés par des acteurs de la fiction car la mise en fiction du processus de l’immigration semblait constituer un matériau original.

Il faut savoir que l’immigration, comme tout changement important de la position sociale objective du sujet, met inéluctablement en cause les sentiments sociaux d’appartenance, et partant de là le sentiment d’identité. Chez les immigrés, la fragilisation quasi mécanique de l’identité par les changements de l’inscription sociale objective est souvent aggravée par la faiblesse des repères dans le pays d’accueil, par le déni de la rupture migratoire. Ce déni, au sens psychanalytique du terme, se traduit par:

* L’effacement du choix du pays d’accueil.

* L’idéalisation rétrospective du pays d’origine.

* L’idéalisation rétrospective de la situation personnelle dans le pays d’origine.

Le sujet dit immigrant est perçu comme pluralité des temps de la mémoire. Une relation au temps se substitue en fait à une compréhension spatialisée de la migration. Mais cet espace, mis en demeure de prendre en forme grâce au temps, est noué, dans le contexte québécois. A cet égard,l’espace montréalais est l’inscription conflictuelle de cette hybridité culturelle: lieu étrange qui donne au sujet le sentiment de se constituer de façon inédite. C’est dans la mesure où le sujet est écrit, et défait par le rêve montréalais, qu’il peut espérer nouer son écriture. C’était le cas du romancier migrant Majid Blal qui  pense dans son roman une femme pour pays le retour à soi comme un retour au pays. Dans cette perspective, le malaise du personnage immigré exprimé subjectivement par le romancier est en réalité un malaise collectif. Le romancier Blal dans son roman Une femme pour pays définit la nostalgie dans ses deux sens de pathologie du deuil et d’agent de liaison mis au service de la continuité de l’identité.

En effet, nous allons émettre que la nostalgie du personnage immigré  est vitale à la construction de sa double identité. Sa vitalité, son imaginaire et sa créativité en dépendent et les différents modes de l’évocation nostalgique seront les garants du sentiment de continuité et de cohésion internes par dessus les différences, les départs et les ruptures.

Le roman Une femme pour pays traite d’exil, de solitude, de nostalgie à travers les repères généalogiques incontournables, ces espaces, le roman tente de les fêter, de les célébrer, parce qu’ils définissent un parcours historique et suscitent pour le sujet une force d’affirmation de soi, que le réel de l’ici-maintenant s’applique à entamer. De plus, le thème de la migration se reflète par l’insécurité du personnage, par son identité complexe qui appartient finalement à deux mondes. Le protagoniste est caractérisé par une double nostalgie. Il est vrai que l’attitude nostalgique peut représenter un obstacle à l’intégration, mais il y en a toujours chez lui et, à certains moments, à la nostalgie du premier lieu de vie s’ajoute la nostalgie du deuxième lieu, aussitôt qu’il le quitte; il y a donc chez lui, en quelque sorte, ce va-et-vient qu’il faut qu’il règle en acceptant tout simplement d’appartenir à deux mondes et d’en faire la synthèse. La façon de le régler, ce n’est pas de minimiser l’un par rapport à l’autre. C’est d’assumer,d’accepter la complexité de son identité. L’auteur inscrit l’angoisse et l’errance de son personnage: «que je ne suis qu’un passager sans chemin, passager dans les mémoires qui estompent, passager de la condition humaine. Oui, passager, comme l’indique d’ailleurs mon prénom, Injdi, en langue berbère.»Le personnage se sent étranger à l ‘intérieur de son propre contexte.

Nous remarquons que le romancier Majid Blal met en valeur la notion du beur à travers le protagoniste Injdi qui nait d’un traumatisme identitaire. A partir du moment où le traumatisme se fait écriture, le moi s’en dégage. C est dans cette première étape que le sujet sort alors de son ghetto pour entamer une négociation quant à son devenir dans la société dominante dans laquelle il vit et va choisir de vivre. C’est cette négociation aussi qui constitue le dépassement, non pas en termes d’identité à proprement parler, mais en termes d’ identification et donc d’auto-construction d’une identité qui se collectionne et puis se bricole dans le sens où l’on fait du nouveau. Dans ce processus on ne s’enferme pas dans une identité ou dans une autre. Il s’agit de s’ouvrir aux identités en présence et d’échapper avant tout à la tension identitaire et à l’aliénation dont le sentiment de deuil. Le retour au pays d’origine participe également au processus de dépassement.

En outre, Majid Blal étudie le concept de nostalgie mis en relation avec le deuil du personnage dans son contexte d’immigration. Ce deuil psychologique, nous dévoile le vécu pénible et douloureux du personnage consécutif à tout ce qui fait offense à son élan vital. L’évocation nostalgique du personnage apporte au souvenir la résonance affective liée au moment dans lequel il s’est énoncé. D’ailleurs, la nostalgie est enrichissante, ne serait-ce que parce qu’elle rajoute aux difficultés actuelles, les couleurs d’un passé revécu à travers un imaginaire embellissant.

Dans notre roman étudié, le protagoniste est en proie à la nostalgie car il a une envie constante de récupérer des racines dans un patrimoine large,vouloir aussi de retrouver des références, une unité de soi. Refusant dés lors de se situer dans la distance, Injdi situe lui-même la distance:«Je suis dans mon élément, nulle part, entre la-bas et ailleurs. Entre deux rivages, un bateau fantôme qui cherche le phare. Sans quai pour accoster. Entre le Maroc et le Québec un navire condamné à tourner en rond. Dans le brouillard des grands larges, un spectre égosille à l’infini:je me souviens» Ainsi, le personnage entame une procédure de structuration de soi pour sortir de ce qui le figeait dans un lieu ou dans l’autre, voire dans aucun lieu défini. Ceci constitue une démarche volontariste qui vise surtout par le retour aux origines,à se rassembler pour se ressembler, pour coïncider avec soi-même, selon l’expression d ‘Albert Memmi.

Par ailleurs dans ce roman, la nostalgie se présente  comme un état où se mêlent des aspects cognitifs et affectifs. Il s’agit sur le plan cognitif de la mémoire du personnage, de son passé vécu dans son pays natal. Sur le plan affectif, le personnage vit un sentiment du deuil déclenché par la notion de perte qui s’y rattache, mais aussi à travers la satisfaction de pouvoir se rappeler: «Je me demande où, vraiment, se situe ma focale. La réponse est brisée. Une moitié de moi intercède pour Sherbrooke et fortifie l’attachement à cette ville où le nomade en moi s’est sédentarisé il y a vingt ans». La rétrospection des souvenirs d’enfance et des jours heureux donne lieu à une syntaxe fluide. La description de la ville d’origine du personnage Midelt représente un environnement pastoral, paysage sans centre ni limites territoriales sans construction ni autres signes visibles d’une activité humaine. Cet environnement pastoral glisse vers une sorte d’élégie pastorale, en se tournant vers le passé. En outre, les sentiments amers et doux du personnage, sont liés intrinsèquement à un rappel sensoriel. En effet, il s’agit surtout de ce qui a fait partie d’un bagage vécu par les sens comme la fraîcheur d’un climat, l’odeur de la verdure, le goût de la nourriture:«je voulais partager mes réveils avec une âme sensible aux musiques de mon enfance. Le matin, les voix de Fayrouz et d Ismail Ahmed accompagneraient le café. Le soir, les chants d’oum Kaltoum».

Si nous envisageons que toute expérience migratoire est une expérience traumatique. Nous allons retracer la notion de trauma d’après sa genèse théorique et empirique, depuis les travaux de Sigmund Freud sur les névroses traumatiques 1895-1896. L’expérience migratoire du protagoniste Injdi comprend une constellation de facteurs déterminants d’anxiété et de peine. Le sentiment de détresse n’est en fait que le symptôme éloquent du malaise profond qui affecte l’identité dans son intégrité physique et psychique lorsque le lien social qui fonde son substrat et réunit sa condition existentielle culturelle s’effondre brutalement sous le poids des ruptures profondes et multiples provoquées par des événements:«Je me débats seul dans le lieu pour lequel je me suis morfondu à maintes reprises quand le mal du pays me prenait, la-bas au Québec. Page 26». La perte de la langue de socialisation initiale,c’est à dire la langue maternelle en tant que langue publique du pays d’origine, perte des réseaux socio-affectifs primaux,lorsqu’il dit:«Apres vingt ans au Québec, ce qui me reste d’amitié à Midelt a été altéré et délavé par l ‘absence».Sans oublier, la séparation avec la famille d’origine, les chocs reliés à la confrontation à un nouveau système social, culturel, politique et juridique entrainant des changements. En effet, le sentiment nostalgique sera  donc ressenti comme ayant un caractère doux et amer à la fois:

« je voulais rapporter un morceau de terre de mon premier pays pour le transplanter dans le deuxième. Une greffe de ma métaphysique, afin de rapprocher mes sources de mes affluent …question de m’appartenir. De m’approprier moi-même» P16.

De plus, les départs pour l’origine dans la quête identitaire sont impulsées par une nostalgie profonde d’espaces ensevelis, évoqués à travers le rêve et la mémoire, ces lieux édéniques où se conjuguaient l’amour, le bonheur d’être et la connaissance. Blal se reconnaît comme un je individuel, il se donne une prise sur sa propre identité afin qu’il retrouve sa braise dans la broussaille. Lorsque l’œuvre commence, elle fonce, comme l’écrit le poète français Francis Ponge, à travers les paroles, malgré les paroles, les entrainant avec soi, les bousculant, les défigurant.

Par Fayrouz Faouzi (Maghreb Canada Express /Édition  Octobre 2013, page 10)

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