Mohamed Zineddaine

zine« Mes deux films ‘’Réveil’’  et ‘’Passion et Colère’’  portent la marque de la  littérature »

Dans Passion et colère, actuellement sur les écrans marocains, le réalisateur et scénariste Mohamed Zineddaine aborde le dépit amoureux sur un fond d’antagonismes sociaux et de conflits d’intérêts avec au centre le personnage du journaliste écrivain interprété par Omar Lotfi.

La filmographie de Mohamed Zinnedaine est composée d’un corpus de trois longs métrages : Réveil (2003), Tu te souviens d’Adil (2008) et Passion et Colère (2012), et est portée par l’ambition de transcender l’intrigue au bénéfice de la construction d’un univers peuplé de signes qui s’offrent à une lecture plurielle. Un cinéma qui plaide pour un pacte de coopération avec son récepteur.

Vous êtes connu pour le soin particulier que vous accordez à la phase d’écriture. Que pouvez-vous nous dire sur le scénario de Passion et Colère ? Quelles en ont été vos principales sources d’inspiration ? Peut-on parler de continuité, à un certain niveau, avec vos précédents films ?

Si vous voyez que j’accorde un soin particulier à la phase d’écriture, j’ose dire que c’est paradoxal puisque je n’ai jamais essayé d’écrire un roman ou plutôt, je suis un écrivain raté, raison pour laquelle mes deux films Réveil et Passion et Colère portent la marque de la littérature.

Passion et Colère a connu une longue gestation : nourris des souvenirs de mon enfance, de la mémoire personnelle et collective, fixés et mis au point par des jumelles. Lorsque j’entame l’écriture d’un scénario, je deviens comme une personne âgée qui cherche à vaincre la solitude et l’ennui, qui descend au sous-sol pour mettre en ordre les objets qui ont marqué son existence. Je trouve dans cette cave humide et poussiéreuse la matière première de mes écrits que je remonte à la surface – la réalité – pour les déshydrater et nettoyer.

L’inspiration est un acte de foi, une vision qui peut arriver à n’importe quel moment et lieu. Il y a 10 ans, je suis tombé amoureux de l’écrivain norvégien Knut Hamsun. Son roman La faim m’a inspiré mon premier long métrage Réveil et Passion et colère – loin du plagiat, pour bien s’entendre.

En ce qui concerne la continuité avec mes précédents films, il y en a toujours, qu’on le veuille ou non. Nos gestes, notre propre lexique et nos œuvres composent les traits essentiels de nos portraits. Vu le traitement de la question d’un point de vu plastique, avec le temps et la volonté, on apprend mieux l’utilisation des couleurs, le point de fuite pour la perspective au nom de l’authenticité.

Comment se sont déroulés la production et le choix des comédiens ?

La production s’est déroulée dans un climat sein et serein. Au prisme de ma faible expérience – je ne dis pas cela avec fausse modestie pour adoucir le regard des autres envers moi – je pense que la chose la plus importante est la confiance réciproque.

On se trompe parfois sur le choix d’un collaborateur qui trahit notre confiance, quelqu’un qui aménage le plateau ou le chef opérateur, peut importe, il faut avoir le courage de le virer tout de suite. En deuxième lieu, pour que le tournage s’applique au plan de travail, il faut prendre le temps nécessaire pour la préparation des décors, des costumes, le choix des comédiens et leurs fréquentations individuelles et collectives.

Le choix des comédiens m’a pris beaucoup de temps, surtout pour le rôle principal qui est très lourd par rapport aux autres. Je cherchais un comédien ayant une affinité avec les livres, réellement boulimique en matière de lecture, mais je ne l’ai pas trouvé. Pour éviter l’impasse et grâce à l’amitié et l’entente qui nous lient, je me suis adressé à Omar Lotfi.

Réveil, votre premier long métrage, constitue une sorte de retour aux sources, y compris au niveau de son esthétique portée par une forme de nostalgie. Avec Tu te souviens d’Adil et Passion et colère, nous assistons à une forme plus complexe du tissu narratif notamment au niveau du système des personnages qui évoluent sur un fond d’ambigüité…

Il y a en effet un enchevêtrement, une complexité dans l’engrenage narratif qui, à mon sens, est dû à  la formation de mon parcours. Mon intention est de travailler sur une toile de fond psychologique, sur l’illusion, l’éphémère pour pouvoir échapper aux clichés et aux lieux communs. Comme vous pouvez le remarquer, dans Réveil ou Passion et colère le personnage principal est tout en intériorité, pour éviter la souffrance. Tout ce qui n’est pas nécessaire lui semble irréel.

Comment avez-vous conçu la mise en image du drame et le cahier des charges établi avec votre directeur de la photo, en sachant que le film passe par différentes phases dans le temps, dans l’espace et dans différents milieux sociaux ?

Un chef opérateur est pour moi comme une amante avec laquelle il m’est nécessaire de trouver une barque solide, faite d’affinités et d’entente sans s’éloigner trop du port. Autrement je risque la perte. A la lumière de cette métaphore, un chef opérateur doit comprendre la lumière que je veux, est libre de proposer, mais ne doit jamais s’imposer. Bon nombre de chefs opérateurs sont des réalisateurs manqués et lorsqu’ils trouvent un réalisateur faible, font la fête (sic!), dominent le plateau et écartent le réalisateur.

Notre entretien se passe en marge du Salon du livre. Quels sont vos rapports au livre et à la lecture ? Pensez-vous que la fiction littéraire marocaine peut offrir de la matière à la fiction cinématographique ?

Parfois, lorsque je me promène, j’ai la sensation d’échapper d’un roman, à force de lire et de peupler ma solitude par les écrivains. Entre l’imaginaire, la fiction et le réel, y a une très fine membrane et un perpétuel échange. La fiction littéraire marocaine est très riche en matière visuelle grâce à Khaireddine, Zafzaf, Leftah, Bouzfour entre autres, mais aussi Driss Chraibi à qui je rends hommage dans mon film, Passion et colère.

 Par Mohammed Bakrim

 Pour citer cet article >>
Source : Maghreb Canada Express, N°04, Vol. XII, Avril 2014, page9

 

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