« L’histoire n’aime pas se faire répéter. Et chaque fois qu’on l’y oblige, elle se fait payer plus cher » (fin de citation)
Le mouvement associatif canadien d’origine marocaine se divise, on le sait, en deux entités bien distinctes: les associations des marocains de confession juive, associations ne posant aucun problème apparent pour le pays d’origine, et les associations des marocains de confession musulmane, qui donnent l’impression d’être en perpétuelle crise d’adolescence. Ce sont ces dernières associations qui font l’objet de cet article.
Pour comprendre la complexité du rapport du Maroc avec ses ressortissants à l’étranger, il ne faudrait pas perdre de vue que:
– La présence des marocains à l’étranger est ou était perçue comme provisoire;
– La citoyenneté marocaine s’acquiert à la naissance, d’un parent marocain, et ne se perdrait jamais;
– Le gouvernement marocain a tout un ministère chargé de gérer la problématique de la communauté marocaine à l’étranger;
– Le discours officiel qualifie les immigrants d’origine marocaine de MRE (Marocains résidant à l’étranger). Jamais ou rarement de citoyens étrangers d’origine marocaine;
– Les MRE du Canada ont belle et bien une autre citoyenneté qui obligerait, selon toute réserve, et au Canada plus qu’ailleurs, le Maroc à réajuster certaines de ses stratégies, anciennes ou actuelles, caractérisant ses rapports avec ses ressortissants à l’Étranger.
Plusieurs pays maghrébins, et non seulement le Maroc, croient que leurs ressortissants en terre étrangère se trouvent exposés à différentes influences qualifiées par certains dirigeants de « malsaines » dont l’activisme politique, syndical, le détachement des valeurs culturelles nationales ou l’extrémisme religieux ne sont pas les moindres.
Il faudrait donc encadrer ces ressortissants et dresser un garde-fou autour de leur microcosme pour prévenir le mal quand arrivera le temps du retour au pays d’origine. Parmi les stratégies mises de l’avant figure un mouvement associatif contrôlé par les consulats et les services sécuritaires maghrébins.
ET LES AMICALES FURENT CRÉÉES !
Selon Vincent Geisser , sociologue et politologue français , chercheur à l’Institut de Recherches et d’Études sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM/CNRS), « Les amicales répondaient moins à une visée philanthropique, qu’à une volonté de contrôle sociopolitique d’une population considérée comme fragilisée par sa situation migratoire et donc en proie au risque permanent de contagion politique, religieuse et idéologique. » Et d’ajouter: « Même s’il convient de relativiser aujourd’hui les effets réels d’un tel système de contrôle, il faut lui reconnaître une certaine efficacité sociale, la nostalgie du pays aidant bien sûr à entretenir les liens d’allégeance. On a pu dire dans le cas marocain que les familles émigrées étaient souvent plus «royalistes» que celles vivant en permanence dans le pays d’origine. »
Or les Amicales, qui se chargeraient aussi de contrer l’action de certaines associations marocaines dédiées à la défense des droits de la personne à l’étranger, ont commis moult exactions, violations et abus de tout genre. Il a fallut attendre la fin des années de plomb et surtout l’avènement de Mohammed VI pour en mesurer toute l’ampleur.
LES AMICALES SUR LA SELLETTE
L’Instance Équité et Réconciliation (IER), instaurée par le Souverain marocain et illustrant le virage vers l’état de droit fait par le Maroc, pointe du doigt les Amicales comme ayant dénoncé aux services sécuritaires marocains, des MRE connus pour leurs activités politiques en terre d’accueil.
L’IER recommande par conséquent, dans son rapport final le gel de leur participation dans toute institution publique ou para-publique et réhabilite l’action des associations des travailleurs marocains et des droits de l’homme à l’étranger (considérées par le Régime marocain comme des organismes subversifs durant les années de plombs).
Il serait pertinent de signaler que même des agents de l’autorité marocaine avaient une perception négative des Amicales et de leurs dirigeants. Abdellatif Maroufi, chercheur et journaliste, auteur du rapport « Les violations au delà des frontières: Le Maroc est-il un Etat de droit? » cite, dans ce sens, une note rédigée par le consul du Maroc à Amsterdam à l’intention du ministère marocain des affaires étrangères le 20-1-1984 (DAAC/2 no 1134/84). Dans cette note le diplomate qualifie les dirigeants des Amicales « de purs escrocs » dont certains « usent du trafic d’influence », et « le comble, d’autres appartiennent à divers milieux de trafic de drogue ».
Accusations bien ou mal fondées, cela a conduit, selon M. Maaroufi, certaines institutions publiques ou para-publiques, « après une tentative de réorganisation des Amicales dans le milieu des années 80, de geler leur participation depuis la moitié des années 90. Ainsi (à titre d’exemple) la Fondation Hassan II, pour la communauté marocaine résidente à l’étranger, ne les convoque plus pour les réunions de son conseil d’administration où les Amicales siégent officiellement. »
Des MRE DÉSOLIDARIÉS
Mais si un consul en est arrivé à avoir pareilles convictions, que dire du commun des MRE? Il se fait plutôt rare sur la scène associative, surtout au Canada. Les quelques dizaines « d’activistes », ceux qui étaient de toutes les assemblées constituantes de la trentaine d’associations qui ont vu le jours depuis les années 1980, même ces irréductibles n’arrivaient pas à se départir du stéréotype de celui qui veut « grimper sur le dos des autres pour s’attirer la bénédictions des autorités et pour arriver à assouvir son intérêt personnel ».
Un certain Malka, marocain de confession juive, qui rêvait, dans une tentative unique en son genre, d’initier un pont entre les deux factions confessionnelles de la communauté marocaine du Canada, même ce Monsieur, qui aurait promis d’envoyer « ses frères musulmans » à la Mecque, n’est pas arrivé à gommer cette méfiance viscérale des MRE vis-à-vis des associations, dont l’image semble être souillée à jamais par le souvenir des Amicales marocaines en Europe.
QU’EN EST-IL DE LA POSITION DES AUTORITÉS MAROCAINES ?
A une ou deux exceptions près, on considèrerait le Canada comme un havre de paix et que la majorité des MRE y sont venus pour tourner le dos aux chicanes et aux intrigues maroco-marocaines.
Difficile de rêver mieux pour se couler un mandat sans problème où aucune mauvaise surprise ne peut venir contredire les rapports de fin d’année. Sur le front de l’Ouest rien de nouveau! Le label Maroc n’avait besoin de personne pour être vendu, comme l’aurait fait remarquer un ambassadeur à un MRE qui croyait que nous pouvons nous octroyer cette mission dans notre pays d’accueil.
Mais les choses commencèrent à changer après 1999! Deux facteurs auraient contribué à ce changement: L’avènement de Mohammed VI et le développement d’une présumée pépinière islamiste au Canada sur lequel nous reviendrons plus loin.
LE CHANGEMENT « DANS LA CONTINUITÉ »
Sans remettre en cause les fondements de la monarchie, le Maroc de Mohammed VI veut convaincre le concert des Nations qu’il a rompu avec les pratiques du passé. Des prisons tristement célèbres ont été détruites. Les exilés politiques reviennent au pays. Des réformes socioéconomiques tout azimut lancées. La guerre à la corruption déclarée. La liberté d’expression et de réunion garanties: Le cap est mis sur un Etat de droit, la modernisation et le développement économique.
Des MRE, le Maroc n’attendrait plus une allégeance servile, mais une participation effective à ces efforts d’édification d’un État moderne, notamment en érigeant un pont entre le pays d’accueil et la mère-patrie en vue du transfert de savoir-faire et de technologie, de drainage des capitaux et de lutte contre la pauvreté.
NON INGÉRENCE (mais) NON INDIFFÉRENCE
Concernant le mouvement associatif, le Maroc semble demander à ses représentants diplomatiques d’être les facilitateurs des initiatives, non les initiateurs des actions.
Dans plusieurs de ses interventions devant la communauté, l’ambassadeur du Maroc au Canada, entre 1998 et 2003, SEM Abdelkader Lecheheb répétait souvent cette formule d’Alain Peyrefitte (auteur du livre « Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera »): «Non-ingérence (mais) non indifférence».
Fils du peuple et jeune ambassadeur d’un jeune Roi populaire, Lecheheb fut le premier chef de la mission diplomatique du « Maroc Nouveau » au Canada.
Lui ayant fait la remarque sur sa présence dans toutes les activités marocaines à Montréal, Il nous avait répondu: » S’il m’arrive de trouver des enfants jouant au soccer dans la rue, et si j’ai la certitude que cela pourrait faire vendre le label Maroc, je jouerais avec eux un mach ».
L’ex étoile de foot, du club casablancais El Widad, joua mieux: Il fut le facilitateur d’un rapprochement entre ces royaumes de Taifas qu’étaient les associations marocaines. Ce fut lors de la création de la Fédération Marocaine du Canada (FMC).
LA FMC, UNE OEUVRE INACHEVÉE…Comme toutes les autres
On n’avait jamais été aussi proche de l’union durable que lors de ces quelques années. On n’a jamais parlé autant du Maroc et des marocains et on n’a jamais été aussi crédibles aux yeux des autorités canadiennes que durant ces temps là. Et puis Lecheheb est parti et le dossier associatif revint au consulat… Ce qui est, somme toute, chose logique mais qui n’explique pas pour autant l’échec de la FMC là où elle avait tous les atouts pour réussir, et ce, malgré l’opposition qu’elle avait au sein de la communauté.
Nous ne prétendons posséder ni la vérité ni une explication magique concernant le déclin de la FMC: Beaucoup de morceaux manquent au puzzle et le débat sur cette question est lancé. Nous allons nous contenter de relater des dates qui illustrent certains faits: Aux acteurs et témoins de nous éclairer s’ils veulent que la communauté sache la vérité en vue d’exorciser son perpétuel échec de se constituer en association crédible et peser lourd en tant que lobby politique dans la terre d’accueil.
UN PEU D’HISTOIRE… ENCORE ET TOUJOURS !
– 16 mai 2003: Des islamistes perpètrent une série d’attentats à Casablanca (Maroc). 45 morts dont les 12 assaillants. Deux terroristes furent cueillis vivants. On déplora aussi plus de 100 blessés. Le Souverain Marocain rétorqua dans l’un de ses discours: »L’heure de vérité a sonné, annonçant la fin de l’ère du laxisme face à ceux qui exploitent la démocratie pour porter atteinte à l’autorité de l’Etat ». Il assura le peuple marocain qu’il trouvera « son Premier Serviteur en première ligne pour faire face à quiconque s’avise de le ramener en arrière. Il le trouvera à l’avant-garde de sa marche vers le progrès pour remporter notre véritable bataille, celle que nous menons contre le sous-développement, l’ignorance, le repli et l’ostracisme. »
Une loi antiterroriste fut adoptée et la vigilance vis-à-vis des islamistes s’est exacerbée.
– 14 mai 2005: La quinzaine du Maroc de la FMC démarre sur les chapeaux des roues, sous la présidence d’honneur du ministre des affaires extérieures et du commerce international canadien, M. Pierre Pettigrew ainsi que de celle de SE l’ambassadeur de SM le Roi au Canada, M. Mohamed Tangi, et en présence de plusieurs dignitaires et hommes d’affaire. Elle s’est poursuivie jusqu’au 29 mai battant tous les records de présence.
Malgré ce succès, la soirée de clôture fut boudée par les autorités. Que s’est-ils passéentre temps? Nous n’avions noté que deux faits qui pourraient entrer en ligne de compte: 1) Un incident provoqué par une vice-présidente d’une association non affiliée à la FMC qui voulait assister de force à une rencontre entre la fédération et une députée marocaine ayant participé à la quinzaine. L’incident avait mal tourné et aurait soulevé l’indignation de la députée et 2) L’Association musulmane de Montréal Nord (AMMN), membre affilié à la FMC qui commencerait à occuper trop de place au sein de la fédération.
Les deux faits sont-ils liés? Ça reste de la spéculation. Mais une chose est sure: Après la quinzaine, les problèmes de la FMC se sont multipliés et l’AMMN a fini par démissionner.
– 27 au 28 mars 2006: Conférences de MM Salah El Ouadie et de M. Mohammed Bardouzi pour expliquer l’action de l’IER et de l’INDH (Initiative Nationale pour le Développement Humain), deux fers de lance de la nouvelle politique du Maroc Nouveau. Affluence très faible. La FMC et la plupart des associations ont brillé par leur absence; Ce qui n’est pas pour diminuer les tensions. Le divorce semble être consommé.
10 et 29 juillet 2006: A peine âgé de quelques jours, un observatoire canadien des droits de l’homme (OCDH) manifeste à répétition devant le consulat général du Maroc de Montréal… Une surprise de taille pour les non initiés! Deux manifs en l’espace de 20 jours, de quoi faire dire au journaliste François Lépine aux manifestants qu’ils sont en train d’importer leurs chicanes marocaines au Canada! Cet incident est assez sérieux pour inquiéter en haut lieu; l’OCDH n’étant que l’initiative des membres de l’association Bel Agir, laquelle ne serait qu’une ramification pure et simple Al Adl Wal Ihsane.
Une fois de plus, aucune association pour contrer efficacement cette prise d’armes contre un Maroc qui se veut tout changement!
– 9 septembre 2006: Après les deux manifestations devant le consulat, par OCDH interposé, l’association Bel Agir organise une levée de fonds pour son centre culturel. En moins de 3 heures, plus de 70.000$ dollars ont été ramassés. L’association a déjà dépensé plus de 460.000 $ pour l’acquisition de son centre dont l’ouverture s’est faite le mois de ramadan de cette année. Et dire que la FMC couvait depuis des années un projet d’un centre culturel dont l’acquisition bloque faute d’implication financière de la communauté!
LA GUERRE DES MINARETS …
– Début octobre 2006: L’AMMN annonce à son tour le lancement de son projet de centre culturel musulman pour la modique somme d’un million de dollars.
– 18 octobre 2006: Poursuite de la levée de fonds de Bel Agir et de l’AMMN pour leur centres culturels respectifs. L’AMMN aurait ramassé plus de 100.000$ depuis le début du mois de ramadan tandis que Bel Agir aurait ramassé plus que 50.000$ rien que pour la nuit du destin (Laylat El Qadr). Ces deux associations viennent de prouver que ce ne sont pas les fonds qui manquent mais c’est la stratégie pour ouvrir les cœurs (et les poches) qui fait défaut.
– 23 novembre 2006: Le groupe Canada Maroc pour le soutien à la fondation Mohammed V pour la solidarité, fait sa première sortie publique avec une soirée de levée de fonds.
Le groupe est né d’une réflexion de plusieurs mois sur la meilleure façon de voir « ce qu’on peut faire pour le Maroc au lieu de passer son temps à demander ce que le Maroc doit faire pour nous ». Il est trop tôt pour juger. On va attendre pour voir. La soirée du 23 novembre va être un grand test aussi bien pour le groupe que pour « la foi » des laïques dans leur laïcité face à la progression des islamistes dont le réseau couvre plusieurs villes au Canada, allant de Montréal à Toronto en passant par d’autres villes comme Sherbrooke, Québec ou Ottawa…
La tâche ne va pas être facile, car dans leurs querelles et leurs analyses biaisées, ce qu’il conviendrait de nommer les « laïques » ont détruit des associations et se sont aliénés des modérés de tout bord.
Les initiatives personnelles ne mèneraient nulle part: Elles serviraient peut être à gonfler des rapports ou à pêcher par excès de triomphalisme dans une presse partisane, mais elles ne vont pas rallier de si tôt la majorité silencieuse; cette même majorité qui a donné si généreusement et qui a rempli une partie du stade olympique lors de la prière de la fête de la fin du mois sacré du Ramadan (8000 environ)
Et les autorités marocaines dans tout cela? Que devraient-elles faire devant cet islamisme montant et ces associations moribondes? Vont-elles épouser la cause de l’AMMN? Vont-elles se ranger derrière le Groupe de solidarité Canada Marocou vont-elles déterrer ces vieux réflexes d’Amicales?
Devant ce sable mouvant qui est la situation de tout MRE au Canada, le sage pourrait recommander: «Non indifférence, mais non ingérence»… Tout au plus!
A. El Fouladi
MAGHREB CANADA EXPRESS (NOVEMBRE 2006)