Aucune idéologie, aucune cause, et encore moins une religion, ne nous autorise à supprimer une vie. Et dans la religion musulmane, il est dit : « Celui qui tue une âme, tue toute l’humanité entière. Celui qui sauve une âme, sauve toute l’humanité entière. »

Les deux frères Kouachi qui ont assassiné les caricaturistes de « Charlie Hebdo » le 7 janvier dernier, ont sali la religion musulmane, une religion de paix et de tolérance. « Nul contrainte dans l’Islam », c’est écrit noir sur blanc dans le Coran. Les deux frères qui ne savent ni écrire, ni lire l’Arabe, sont deux décérébrés qui tuent au nom de l’Islam, et bafouent le prophète. En commettant cet acte abject, ils vont compliquer le quotidien des musulmans de France. Ces derniers ont déjà la vie dure, car ils sont tout le temps montré du doigt et stigmatisés par certains islamophobes comme Zemmour et compagnie.

Peut-on rire de tout ?

Je suis pour la liberté d’expression bien sûr. Et comme l’a si bien dit Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez exprimer vos idées. » Mais, faut-il pour autant se servir de cette liberté d’expression qu’on a la chance de posséder quand on vit dans un pays démocratique, pour offenser des millions de croyants quelles que soient leurs religions. Oui pour la liberté d’expression, et non pour la liberté de provocation. Un écrivain français avec qui j’ai eu le plaisir de discuter après cet attentat du 7 janvier, m’a dit : « Qu’est-ce que ça peut me faire, si mon voisin d’en face, fasse sa prière cinq fois par jour du moment qu’il me respecte et ne me crée pas de problèmes. »

L’auteur des tueries d’Oslo et de l’île d’Utoeya qui ont causé la mort de 77 personnes le 22 juillet 2011, ne représente pas les chrétiens de Norvège. Les auteurs de l’attentat du cinéma Saint-Michel, un incendie criminel dans la nuit du 22 au 23 octobre 1988, pour protester contre la projection du film « La Dernière tentation du Christ », ne représentent pas les chrétiens de France non plus. Alors faut-il s’en prendre aux Églises, parce que des individus de religion chrétienne ont commis ces actes barbares ?

Les journalistes de « Charlie hebdo » à l’instar du « Canard enchaîné » que je lis toutes les semaines, et quoi qu’il arrive, je ne rate aucun numéro de cet hebdomadaire, sont des humanistes qui ont toujours combattu les racistes, les fascistes, et les antisémites. Ils ont souvent combattu l’extrême droite française, d’ailleurs Jean-Marie Le Pen leur a intenté plusieurs procès. Je déplore leurs morts, ainsi que la mort de leur correcteur Mustapha Ourrad, qui était d’origine algérienne, et qui vivait en France depuis 20 ans. Il était apprécié pour ses qualités professionnelles, son érudition, mais aussi son sens aigu de l’autodérision. Mustapha Ourrad était autodidacte. Il avait rejoint « Charlie Hebdo » en 1997. Marié et père de deux grands enfants, il venait d’obtenir sa nationalité française. Généralement, il n’était pas à la rédaction le mercredi. Ce jour-là, il était venu pour travailler sur un hors-série.

Parmi les victimes d’origine étrangère, il y avait aussi Ahmed Merabet qui était âgé de 41 ans. Il venait d’obtenir sa qualification d’officier de police judiciaire. Lors de l’attaque, il a d’abord été blessé avant d’être froidement achevé. Il était célibataire et délégué syndical.

Bien évidemment cet attentat est indirectement un attentat contre les musulmans de France comme l’a si bien souligné François Hollande. Car juste après cette tuerie, certains se sont attaqués à des mosquées. C’est aussi du pain béni pour l’extrême droite qui ne rate jamais une occasion pour montrer du doigt la communauté musulmane.

Cibles musulmanes

Comme le rapporte « Le Canard enchaîné » du 14/01/15, le frère d’Ahmed Merabet, le policier assassiné dans l’attentat de « Charlie Hebdo » avait lancé cet appel : « Arrêtez de faire l’amalgame (…), de brûler des mosquées, des synagogues, et de vous attaquer à des gens ! ?a ne ramène pas nos morts. » L’appel lancé, le 10 janvier à Livry-Gargan, par le frère d’Ahmed Merabet le policier achevé à terre par les terroristes trois jours auparavant, n’a malheureusement pas été entendu.
Un incendie dans une mosquée en construction à Poitiers, des Tags racistes ou des croix gammées ont été apposés sur nombre de lieux de cultes, pour certains en construction, à Bayonne, Béthune, Liévin, Rennes, et Louvriers. Et lundi soir, le Conseil français du culte musulman recensait, au cours des cinq derniers jours, « plus de 50 actes anti-musulmans, dont 21 actions et 33 menaces. Du jamais vu en si peu de jours.

Le pape François répondant aux journalistes dans le vol qui l’emmenait aux Philippines, jeudi 15 janvier, a décrit les limites à la liberté d’expression et à la liberté religieuse, qui doivent pouvoir s’exercer sans pour autant offenser.

Le 11 janvier 2015, dans une lettre émouvante de Luc Besson à ses frères musulmans, j’ai relevé ce passage que j’ai trouvé intéressant : « On ne peut pas construire son bonheur sur le malheur des autres. Ce n’est ni chrétien, ni juif, ni musulman. C’est juste égoïste, et ça entraîne notre société et notre planète droit dans le mur. Voilà le travail que nous avons à faire dès aujourd’hui pour honorer nos morts. »
C’est vrai, mais que les jeunes immigrés de Paris ou de sa banlieue, arrêtent de se poser comme victime du système. Ils ont une arme : Le stylo et les livres. Ils vivent dans un pays qui regorge de bibliothèques, et où ils peuvent recevoir des bourses pour mener à point leurs études. Pourquoi ne profitent-ils pas de cette manne pour s’instruire ?

L’instruction est une arme, comme peuvent l’être les mots

Alors je leur dis : battez-vous avec un stylo, comme d’autres l’ont fait avec des dessins. Et ne sombrez pas dans le terrorisme, ça ne mène à rien. Les parents aussi doivent surveiller l’éducation de leurs enfants. J’ai eu affaire souvent à de jeunes immigrés qui ont eu des parcours incroyables, et occupent des postes importants. Leurs points communs : ils ont été élevés par des parents analphabètes. Une bonne leçon de vie ! Oui, on peut donner une bonne éducation à ses rejetons, même quand on est un analphabète.

Dans son livre « Peau noire, masques blancs » page 249, Franz Fanon a écrit : « Je me découvre, moi homme, dans un monde où les mots se frangent de silence ; dans un monde où l’autre, interminablement, se durcit. Non je n’ai pas le droit de venir et de crier ma haine au blanc. Je n’ai pas le devoir de murmurer ma reconnaissance au blanc. Il y a ma vie prise au lasso de l’existence. Il y a ma liberté qui me renvoie à moi-même. Non, je n’ai pas le droit d’être un Noir. Je n’ai pas le devoir d’être ceci ou cela…Si le Blanc me conteste mon humanité, je lui montrerai, en faisant peser sur sa vie tout mon poids d’homme, que je ne suis pas ce  » Ya bon Banania » qu’il persiste à imaginer. »

Franz Fanon a tout dit dans ce passage. Pour faire face aux racistes, et aux fachos, il faut d’abord commencer par s’approprier leur langage, le maîtriser et le faire sien. Et aussi maîtriser la culture et l’histoire du pays où on vit. Alors à ce moment-là, pas besoin de Kalachnikov, ni de violence, les mots peuvent anéantir l’ennemi, faire peser sur la vie de l’adversaire son poids d’homme, comme l’a si bien dit Fanon. Car la vie n’est facile pour personne, même pour le blanc.

Je finis cet article par cette citation de Voltaire sur le prophète Mahomet, pour répondre à Zemmour et compagnie qui passent leur temps à stigmatiser l’Islam et les musulmans. « Il (le prophète) joua le plus grand rôle qu’on puisse jouer sur la terre aux yeux des communs des hommes. »

Et aussi, le dramaturge Georges Bernard Shaw, prix Noble en 1925 qui a apporté ce témoignage sur le prophète Mahomet : « J’ai étudié cet homme merveilleux, et à mon avis, loin d’être un antéchrist, il doit être appelé le sauveur de l’humanité. »

Par Mustapha Bouhaddar, Maghreb Canada Express, Février 2015, Vol. Xiii, N°02, Page 4

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