Par Majid Blal (majidblal@hotmail.com)
La société s’est transformée en un ensemble fragmenté par de multiples axes polarisés qui la traversent dans tous les sens. Plus les perceptions sont exacerbées, plus les extrêmes attirent des partisans. Les pôles se travestissent en maquis où les fanatisés forment des alliances et développent leur haine de tous les autres pinacles. Des groupes, des murs, des groupuscules, des murs et les ponts qu’on rase.
Seul dénominateur commun est la peur hissée en épouvantail. Peur devenue la denrée la plus vendue, la plus prodiguée, la plus dispensée et la plus instrumentalisée pour des desseins généralement obscurs et non fondés. Peur de l’autre, peur des idées, peur des intellectuels, peur des femmes, peur des musulmans, peur des racistes, peur des islamophobes…peur de son ombre!
On ne se parle plus, on ne dialogue plus, on ne fait plus de débats constructifs. On pointe de l’index, on accuse, on lance quelques jugements de valeurs, quelques barbelés pour cerner, on essentialisme puis on se gargarise en se donnant raison et en coupant court à toute objection en lançant les catégoriques: Point barre, Basta, c’est ça qui est ça!
Les antagonistes sont dans le mépris du droit, dans la minceur du rachitique argumentaire, dans la floraison des dogmes, la pléthore des approximations et dans la haine légitimée.
Radicalisés! Les musulmans éborgnés par les brimades aux bouc émissaires qu’ils représentent se sentent exclus et par ressentiment beaucoup d’entre eux se sont repliés dans le camps des aveuglés par le sentiment du persécutés, du mal aimé.
Du coup, beaucoup épousent les raisonnements, de moins en moins sectaires, qui ne s’expriment que par la rectitude des dogmes empruntés, par le postulat des révélations, par les citations littéralistes prises hors contextes et par la conviction qu’il sont victime d’un complot en marche. Conspiration de la même ampleur que la marche des croisades. De plus en plus radicalisés, que même les laïcs d’hier sont devenus des têtes de ponts dans une campagne de défense des musulmans contre tout et son contraire, au point que les modérés, les nuancés, ceux qui appellent au dialogue sont traités d’aplaventristes, de pantins du sionisme ou de traitres. Même les non pratiquants se sont attribués, bien que dépourvus de qualification et de compétence en la matière, les statuts de théologiens et de savants de la foi.
Radicalisation en hausse, celle des citoyens qui ne comprennent rien aux discours ambiants.
Dans une ambiance empreinte de panique, de paranoïa et de diabolisation de l’islam et des musulmans, les plus sensibles au discours identitaire deviennent une pâte à modeler pour les idées haineuses de l’extrême-droite en marche.
On ne distingue plus que l’amalgame entre islam et musulmans. On ne fait plus que dans la facilité des rhétoriques, des approximations et des raccourcis qui foncent têtes baissées vers l’essentialisme et la mise en boite de tout ce qui vient de la diversité, dangereux ou inacceptable car non conforme à l’idée de l’uniformité dans un groupe homogène. Radicalisés à telle enseigne que toutes les plaies d’Égypte ne peuvent être que l’ouvre des musulmans, des immigrants, des autres qui « viennent nous imposer… »
Radicalisation des jeunes issus de toutes les classes sociales, de toutes origines mais surtout des natifs, citoyens et non immigrants.
On pourrait pointer du doit une multitude de facteurs pour cette marginalisation soudaine, toutefois on peut insister sur la pénurie d’idéaux et la disette de pensées philosophiques. Aucun débat philosophique sur la place des idéologies pour assouvir le besoin de dépassement des jeunes qui ne se retrouvent pas dans le discours néolibéral ambiant, ni dans le désert de projets communs. Désert d’idéaux qu’ont déserté les babyboumeurs quand ils ont assuré leurs retraites et le confort de leurs vieux jours. Les jeunes n’ont plus d’exutoires pour laisser exulter leur besoin d’émancipation et pour leur sentiment de se sentir utiles à une cause.
N’importe quel appel de n’importe quel prédicateur ou de quelle secte risquent d’être l’appel des sirènes. Les adolescents ne se retrouvent pas dans la définition de la réussite qui valorise le consumérisme et l’accumulation de bébelles.
Radicalisation des médias! radicalisation des journalistes qui ont délaissé leur rôle d’informer ou d’analyser l’actualité pour devenir des protagonistes et par conséquent pour s’arroger la fonction de partie prenante qui filtre l’information pour mieux incarner les faiseurs d’opinion.
Les médias ont beaucoup contribué dans l’instauration du climat de peur et de la cristallisation des crispations identitaires. Les chroniqueurs ont légitimé la propagation de la haine en la banalisant et lui donnant une raison d’être. Matraquage médiatique et politique de la peur.
Depuis l’éclosion de la ruche des chroniqueurs de droite libertarienne, on ne fait plus que dans la facilité de la rhétorique qui préfère essentialiser que de contextualiser, jeter l’anathème au lieu de construire des ponts, fabriquer des ennemis au peuple, culpabiliser la diversité, banaliser la haine de l’immigrant, de la femme, de l’intellectuel, du progressiste, du démuni…
Il serait temps que la Raison se manifeste au dessus de la Passion pour stopper la Dérive !
Référence : Maghreb Canada Express, N°03, Vol. Xiii , Page 3, Mars 2015.
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