Par Mohammed Zaari Jabiri(1)
Qu’on soit d’accord ou pas avec M. Bernard Drainville et sa nouvelle version de la charte de laïcité, le débat sur la femme musulmane reprend. Et force sera de constater que ce sera elle qui sera pénalisée du point de vue accès à l’emploi …
Éthiquement le timing de sortie de M. Drainville est discutable mais là n’est pas la question, ce fameux voile qui fait si peur va reprendre les devants de la scène et laisser la place à différentes spéculations, ce qui me chagrine le plus dans tout ça c’est qu’on puisse, à travers, instrumentaliser l’image de la femme.
Chacun veut défendre ses droits ou la protéger, certains au nom de la religion d’autres au nom de la laïcité, tous se sont autoproclamés défenseurs de la femme musulmane, tous prennent la parole en son nom.
Tous exercent une sorte de dictature sur elle, l’un au nom de la religion et l’autre au nom de la démocratie et la laïcité !
Certains hommes musulmans veulent la confiner à un second rôle, brimant ses droits au nom de la Religion, alors ils lui dictent sa façon de se vêtir, sa façon de parler ou d’agir…
D’autres lient automatiquement sa situation à la montée de l’intégrisme religieux qu’ils veulent combattre en lui imposant un autre mode de vie qui pour eux va limiter cet extrémisme… Ce qui est très peu convainquant au fond pour de multiples raisons.
Au fait… jusqu’à quand continuera-t-on de parler de la femme musulmane à la troisième personne ? Jusqu’à quand lier sa situation à l’islam et à une religion en particulier ? À quand un vrai débat l’incluant et la laissant exprimer sa propre volonté ?
Si on prend un recul historique, on trouvera que les civilisations sumérienne, assyrienne et babylonienne réduisaient la place et le rôle de la femme à la portion congrue.
La religion de Manu, elle, réduisait la femme à un bien transmissible par héritage. Pire, la vie de la femme prenait fin à la mort de son époux car la tradition voulait qu’elle fût brûlée avec lui sur le même bûcher.
Chez les Grecs, la femme était considérée comme un être impur. Le poète Hésiode disait qu’elle est «dotée d’un cerveau de chien et de beaucoup de ruse»
Les Romains, eux, ont longtemps considéré la femme comme un animal crasseux. Les temples lui étaient interdits. Selon eux, sa féminité est la cause même de son incapacité juridique.
Selon la Torah, c’est Ève qui est derrière la tentation d’Adam. Dans la Genèse (III, 12) on peut lire : «La femme que tu as mise auprès de moi m’a donné de l’arbre, et j’en ai mangé».
Les Arabes de la période antéislamique répugnaient tellement à avoir des filles qu’ils les enterraient vivantes !
Et jusqu’à peu, certains courants de l’église se posaient la question si la femme possédait une âme ou pas.
En tant que québécois musulman et jeune militant associatif, voulant participer à la préservation de notre tissu social dans un multiculturalisme rempli de tolérance et de respect, il m’a semblé de mon devoir de faire ce petit rappel à mes amis (es) musulmans et non musulmans et d’insister sur le fait que l’islam – à l’opposé de ce qu’on veuille nous faire croire – n’est pas une menace; c’est un ensemble de valeur comme tant d’autres qui est venu corriger la déviation intellectuelle et comportementale ayant marqué la conception de la femme chez les civilisations et les religions anciennes.
En Islam l’homme et la femme ne peuvent se distinguer que par les bonnes actions qu’ils accomplissent. La femme, selon le Coran, n’est pas un accessoire que l’homme utiliserait selon son bon vouloir mais un être doté d’une personnalité et d’une identité propre.
En Islam la femme est tenue par les mêmes responsabilités que l’homme. Elle a le droit à l’enseignement, l’éducation, la propriété, la disposition de ses biens, le mariage, l’éducation des enfants, l’héritage, le travail et le statut social.
L’islam oblige la famille et la société à dispenser éducation et instruction à l’homme comme à la femme. En somme, l’islam conçoit la femme comme le noyau de la famille et ainsi dire un élément déterminant dans l’évolution des sociétés.
Mais quoi dire devant la bêtise humaine dans certaines sociétés lorsqu’elle déforme religion pour des fins politiques car certains savent que le secret du développement de toute société réside à la place qu’occupe la femme en général.
Malheureusement cette mauvaise interprétation de la place de la femme en islam, et l’instrumentalisation par certains médias et politiciens d’actes condamnables commis par certains musulmans, est en grande partie responsable de sa stigmatisation, mais aussi ceci est due à l’absence de haut parleurs musulmans qui pourraient faire face à cette stigmatisation de la femme musulmane en particulier et de l’islam en général. Ceci ne peut être corrigé sans une éducation continue, une sensibilisation et qu’on cesse de parler en son nom et qu’on lui donne la parole et la chance de s’exprimer.
Adopter une attitude paternaliste (qu’on soit laïque ou religieux) à mon sens est une erreur, il faudrait plutôt l’inclure dans le débat à part entière qu’elle soit voilée ou non, pratiquante ou pas.
À la fin de ces quelques lignes je sens que moi aussi je joue le même jeu, en parlant en son nom; Ce qui ne devrait pas se faire.
Une femme, qu’elle soit musulmane, juive, chrétienne, athée ou autre, doit jouir de la même liberté de droit et aucun homme ne devrait s’autoproclamer son tuteur ou parler en son nom ou encore déterminer sa marge de liberté.
Référence : Maghreb Canada Express, N°03, Vol. Xiii , Page 2, Mars 2015.
DU MÊME AUTEUR
En tant que musulman, pour la première fois j’ai eu peur pour ma vie et celle de ma famille au Québec
Une personne qui se déclare comme défenseur des lumières rentre en contact avec moi suite à certains de mes articles parus dans la presse écrite et m’envoie un texte de Peter Homond auteur de “Esclavage, terrorisme et islam”.
Le monsieur prend ce texte comme référence… Un texte rempli d’erreurs historiques, sociologique et économiques, qui se partagent comme des petits pains sur les réseaux sociaux et qui, malheureusement, donne une image paranoïaque de l’invasion progressive des musulmans des terres des “mécréants” alias le Québec.
Un texte rempli de mensonges et de liens faciles qui affirme que tous les musulmans s’ils sont ici, c’est dans le cadre d’une théorie de complot mondial ourdi par environ 1,5 milliards de personnes pour dominer le monde.
Non seulement ce texte frôle le ridicule mais il occulte à peine le niveau intellectuel de ceux qui le lisent hélas.
Ce texte clairement islamophobe et incitant à la haine m’a juste rappelé les écrits exposés au musée d’Auschwitz que les nazies distribuaient pour influencer la masse et dont on connaît tous la tragique fin.
Heureusement on n’est pas rendu là au Québec. Cependant en essayant de m’endormir cette nuit là, il m’est venu à l’esprit que quelqu’un de simple d’esprit pourrait très bien croire ces mensonges et aller s’attaquer à des gens de la communauté musulamne.
Et en me réveillant le lendemain, j’apprends l’exécution de 3 jeunes étudiants musulmans en Caroline du nord en plein campus universitaire par un homme se déclarant comme athée ! Pire, et ce qui choque la plus part des musulmans, les ‘’deux poids deux mesures’’ dont les medias ont traité le sujet: Un passage rapide de quelques secondes ou de quelques lignes, tout en déclarant l’assassin atteint de maladie mentale et non de terroriste… Comme si le le qualificatif terroriste, c’est la communauté musulmane qui l’aurait gagné en jackpot !
Comme disait l’autre, tu ’attaques aux femmes , tu es myosine, tut ’attaques à un noir , tu es raciste et à un juif tu es antisémite. Mais quand tu t’attaques à un musulman, tu n’es que malade mental ou tu exerce ta liberté d’expression !
Malheureusement pour les victimes il ne s’appelait pas Charlie . On dirait qu’on ne donne pas la même valeur aux êtres humains même après leurs morts.
D’un autre côté, les actes de vandalisme et de violence se multiplient contre la communauté musulmane. Les amalgames sont faciles à faire, ils sont nourris par une paranoïa politique et médiatique; chacun fait son excès de zèle et veut être plus royaliste que le roi. Il veut montrer qu’il luttera pour la ‘’liberté’’ et protégera la ‘’laïcité’’ en attaquant quelques musulmans. “On va manger du musulman ce soir, ça se digère bien” et pourquoi pas gagner quelques électeurs par la même occasion ? !
L’honnêteté intellectuelle se verrait d’adopter un discours sage rassembleur et non qui divise avec une laïcité inclusive et non exclusive. La lutte contre intégrisme (de tout bord. NDLR) est une question de sécurité dont tout le monde ne peut qu’être d’accord, une charte du vivre ensemble, qui inclura tout le monde dans une optique d’intégration et non d’assimilation ( deux mots étymologiquement différents) est devenu chose urgente car on ne peut laisser le discours haineux et xénophobe gagner du terrain. On se doit de construire ensemble un monde pour nos enfants sans peur, c’est notre devoir à tous.
Par Mohammed Zaari Jabiri
Référence : Maghreb Canada Express, N°03, Vol. Xiii , Page 6, Mars 2015.
(1) AU SUJET DE L’AUTEUR DE L’ARTICLE
Dr Mohammed Zaari Jabiri est un jeune médecin engagé, d’origine marocaine formé, entre autres, à l’université Harvard aux états unis, qui fait sa spécialité en psychiatrie à l’université Laval.
Également écrivain, il est l’auteur d’un livre qui sort en mars 2015 sous le titre « Les chroniques d’un neurochirurgien schizophrène ».
Il est aussi l’auteur de plusieurs articles publiés dans des journaux canadiens et marocains où il traite des sujets d’actualité.
Il est co-fondateur et premier président d’une association humanitaire au Maroc du nom d’EDEN MAROC pour les œuvres socioculturelles ; présente depuis une dizaine d’années sur le terrain social marocain avec, à son actif, une centaine de projets à caractère humanitaire.
Dr Jabiri fut aussi présentateur télé sur la chaine AL OULA au Maroc , où il avait lancé une émission de sensibilisation médicale en arabe dialectale intitulée « SSI7ATOKA KOLA YAWM » issue d’une idée qu’il avait lancé avec d’autres membres de l’association Eden Maroc sur internet « SAL TBIB 9BEL LEMJEREB » destinée à rapprocher le médecin du citoyen marocain en lui apportant des informations médicales dans un langage simplifié.
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