Au lendemain de la décision du Conseil de Sécurité de l’ONU de prolonger la ‘’Mission des Nations-Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental ‘’ (MINURSO), l’économiste Mouhammed Diouri (*) nous livre ici une réflexion d’où sort le fait que le projet d’autonomie présenté par le Maroc, à l’ONU, pour ses Provinces du Sud est une stratégie gagnante non seulement pour l’économie marocaine mais aussi un consensus qui pourrait calmer les tensions dans la Région et y instaurer une paix durable . Éclairage :

La mondialisation est bien la réalité dominante du temps présent et aujourd’hui, il est devenu presque banal de l’affirmer. Pour un grand nombre de citoyens en effet, la vie ne s’arrête plus aux frontières de leur société. L’espace dans lequel ils évoluent est désormais pluriel et hétérogène. Leur environnement culturel, économique, intellectuel, médiatique, relève désormais de réseaux planétaires.
À bien des égards, la mondialisation a réduit le temps et l’espace dans lequel nous évoluons. Sur le plan économique, nous sommes entrés avec la mondialisation dans une nouvelle ère économique caractérisée au moins par quatre éléments :

  • Un marché de plus en plus unifié;
  • Des entreprises mondialisées gérant sur une base planétaire la conception, la production et la distribution de leurs produits;
  • Un mouvement massif de délocalisation de la production vers les pays du Sud;
  • Une interdépendance grandissante qui se manifeste par la formation de blocs et de marchés régionaux: L’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), le MerCOSUR(Mercado COm´un del SUR), l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation et l’UE (Union européenne) pour ne citer que les plus importants.

MAROC ET MONDIALISATION

Le Maroc n’est pas à l’écart de ce processus. Il a continué d’approfondir son intégration dans l’économie mondiale. La part de son commerce dans le PIB a augmenté de façon significative au cours de la dernière décennie. Sous l’effet de la mondialisation également des réformes audacieuses et des investissements massifs, ont entraîné des modifications de la structure économique du pays. Le changement structurel le plus important a été la baisse de la part du secteur primaire dans l’économie et la croissance de la part des services. Ces niveaux demeurent en deçà comparés à ceux des économies émergentes les plus performantes, mais la tendance est encourageante.
C’est pourquoi, il ne faut pas perdre de vue que les contraintes du monde d’aujourd’hui symbolisées par la mondialisation de l’économie ne militent plus en faveur de l’émiettement des États existants ni de l’indépendance des territoires de dimension réduite sans atouts économiques significatifs et sans avantages comparatifs. La question qui est donc posée dans des économies comme celle du Maroc est bien celle des rapports entre autonomie et développement dans un espace économique en mondialisation croissante.

MÉNAGE ÉCONOMIQUE À TROIS

Dans le contexte, et compte tenu l’état de l’économie marocaine aujourd’hui, le développement régional des provinces en cause participe désormais d’une approche, qui ne repose plus sur le couple État-Marché mais sur un ménage à trois État-Marché-Société civile, une approche qui ne mise plus sur la hiérarchie et la centralisation mais sur le partenariat, la décentralisation, les réseaux. Sous cet angle le régional s’inscrit dans une autre configuration du développement, dans d’autres rapports entre l’économique et le social, d’autres modes de régulation et de gouvernance. C’est le sens qu’il faut donner à la mise en œuvre des politiques publiques dans ces provinces axées sur leur l’intégration à l’économie et à la société au Maroc et articulée sur l’idée d’autonomie régionale comme « bassin de vie » devant assurer aux populations locales la maîtrise effective de leurs affaires.
Cela a conduit à la recherche de nouvelles formes de solidarité et de coopération à l’intérieur de la société marocaine fondé sur l’esprit d’équité, de complémentarité et de respect mutuel. D’où la volonté d’infléchir le processus du développement économique et social de ces régions de façon à en faire un  » développement par les populations et pour les populations « .

DE LA RÉGIONALISATION À L’AUTONOMIE

Cela s’est traduit par la responsabilisation des populations de ces régions dans la conduite de leurs affaires donc de la récupération par eux des instruments économiques de leur autonomie effective et de la maîtrise de leur destin. Ceci a impliqué également la restauration dans ces provinces, partout où elles semblent les avoir perdues, de leurs capacités de renouvellement donc de création de valeurs nouvelles et d’invention de solutions originales adaptées aux conditions, inédites dans lesquelles elles sont amenées aujourd’hui à mener leur existence et à inscrire leur action.
Il faut en effet mentionner que les provinces marocaines du Sud couvrent environ 58,6% de la superficie nationale : Guelmim (Province), Tan?Tan (Province), Sidi Ifni (Province), Assa?Zag (Province)- Laâyoune?Saguia al Hamra Es Semara (Province), Boujdour (Province), Laâyoune (Province), Tarfaya (Province)- Ed Dakhla?Oued ed DahabAousserd (Province), Oued Eddahab (Province).
Toutefois, de toutes ces provinces, seulement deux rentrent dans le cadre de la mission de la MINURSO et créent une tension entre l’Algérie et le Maroc par POLISARIO interposé. Il s’agit de : 1- Laayoune (Laâyoune?Seguia al Hamra ) et 2- Dakhla (Oued Dhahab); Provinces qui couvrent environ 37% de la superficie nationale et dont la population ne représente que moins de 2% de la population totale du Maroc.

L’OCCUPATION ESPAGNOLE

L’Espagne n’a consenti que de faibles investissements pour le développement économique et social de ces territoires. Sans eau ni électricité, des équipements et des services sociaux modestes voir inexistants. De surcroît faiblement doté en avantages comparatifs et en attractivité et très faiblement génératrice de valeur ajoutée en dépit de sa grande superficie. A cet héritage, il faut ajouter un enclavement à la fois géographique et économique de la région par rapport aux espaces agricoles et urbains situés plus au Nord.
La rareté des ressources naturelles notamment les ressources en eau souterraine et la difficulté de sa mobilisation ont accentué les difficultés économiques de la région. A l’autre pôle, les régions de Casablanca, Rabat, Chaouia et Marrakech sont à l origine de près de 50% de la richesse nationale.
Telle est la situation de ces provinces quand le Maroc a récupérées. D’où un hiatus béant entre le sous-développement régional de ces provinces et le reste pays et l’urgence de trouver les leviers d’intégration des provinces sahariennes au Maroc. Ces contradictions qui découlent tout naturellement de la logique de développement colonial sont tangibles et méritent d’être clairement mises en évidence, parce que certains nous semblent avoir un peu trop tendance à les inscrire dans la rubrique des  » pertes et profits « d’une comptabilité historique pressée de fermer ses registres sur les  » bienfaits  » et  » les mérites  » de la colonisation Espagnole.

TENDANCES ÉCONOMIQUES

En dépit de la diversité des moyens pour combattre les disparités régionales une des prémisses essentielles des stratégies de développement régional consiste à passer par une évaluation des problèmes de la région concernée pour dégager les grandes tendances mais également les potentialités et à considérer la réalité régionale comme un potentiel sous utilisée. Dans le cas des provinces en question, il est possible de repérer cinq tendances économiques principales :
-L’absence d’un pôle économique dominant forgé par une complémentarité entre les économies provinciales voisines. Par exemple, l’agro-industriel ou tourisme à l’image des autres régions du pays;
-Une répartition géographique de la population, concentrée le long des grands axes routiers et du littoral et la faiblesse des habitants du milieu rural, pose le problème de la viabilité du développement des secteurs à vocation rurale et entraîne plus de pression humaine sur les villes avec leur exigence croissante en équipement urbain y compris le logement;
-L’absence d’un secteur qui puisse jouer le rôle de base économique régionale avec des effets multiplicateurs. Ce problème se pose également au niveau de chaque province;
-La difficulté d’attirer des investissements, surtout privés, en dépit de l’effort considérable des autorités publiques en faveur de la région. La difficulté ici réside dans la faiblesse des rendements d’opérations réalisées loin des grands marchés et dans des conditions de production peu compétitives;
-L’aridité du climat de ces des régions désertiques qui décourage le développement de l’agriculture.
Ces tendances économiques lourdes expliquent la centralité dans la stratégie marocaine de développement des provinces sahariennes, des politiques publiques qui se sont traduites par des investissements réalisés tout le long des trois dernières décennies et qui se sont traduites en chantiers urbanistiques, en maillage routier, portuaire, aérospatial et en équipements socio-économiques de base (éducation, emploi, santé, réseaux hydrauliques et électriques, etc.).. Les résultats sont difficilement contestables. L’indice de développement humain, indicateur qui rend compte de trois critères que sont le niveau de vie le niveau d’éducation et l’espérance de vie, dans ces régions du se compare avantageusement aux indices au niveau national.
En termes de scolarisation, santé, éducation, accès aux infrastructures, elles font largement mieux que la moyenne nationale.

RENFORCEMENT DES INVESTISSEMENTS

Cette performance est due, principalement, aux efforts déployés ces dernières années par les pouvoirs publics pour le renforcement des investissements en matière d’installations portuaires et d’infrastructures industrielles, commerciales et de formation professionnelle. Favoriser une meilleure répartition de la richesse entre les citoyens, quel que soit leur lieu de résidence est la condition nécessaire au processus de développement équilibré du pays. La mise sur pied de divers services publics, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation, et l’adoption plusieurs politiques pour soutenir le développement régional, tout ça a été rendu possible par la centralité et le poids pris par les politiques publiques du Maroc dans la stratégie nationale de développement des provinces sahariennes.

UN EXEMPLE ÉCONOMIQUE POUR LES PROVINCES DU NORD

Des pas importants ont donc été franchis en matière de développement dans les provinces sahariennes, cela ne fait plus de doute même aux yeux des relativistes extrêmes et autres fervents opposants du Maroc. Le développement économique et social des provinces en cause, pouvant être vu comme un modèle futur dans la régionalisation. Ce qui a été fait en ce domaine servira d’appui au lancement d’une nouvelle dynamique et permettra aux citoyens des autres régions d’avoir leur mot à dire au regard du développement de leur communauté. Il s’agit maintenant de relever le pari consistant à poursuivre le transfert aux citoyens des régions les leviers du développement économique et régional par une démarche importante de décentralisation et de déconcentration des responsabilités et des ressources. Le processus est d’ores et déjà bien engagé.

Le Maroc connaît une bonne performance économique globale, mais de fortes disparités subsistent toujours entre les régions et à l’intérieur d’une même région. La distance demeure un facteur important, surtout pour les provinces sahariennes car en s’éloignant des grands centres de l’activité économique, la structure industrielle se modifie avec son lot de conséquences sur l’emploi et la distribution de la richesse pour les populations locales. Les politiques publiques du Maroc dans ces provinces ont cherché à compenser les écarts de développement entre les régions. Elles ont voulu favoriser une meilleure répartition de la richesse entre les citoyens, quel que soit leur lieu de résidence, et, pour ce faire, ils ont mis sur pied divers services publics, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation, et adopté plusieurs politiques pour soutenir le développement régional qui se sont traduites par :

  • l’amélioration de l’efficacité et la qualité des services offerts aux citoyens de ces régions;
    le rapprochement des lieux de décision des citoyens pour une réponse mieux adaptée à la variété des besoins qui se manifestent en région;
  • l’élargissement des responsabilités des milieux locaux et régionaux afin de leur assurer une meilleure prise sur le développement de leur territoire;
  • la prise en considération par le gouvernement des priorités élaborées par les milieux locaux et régionaux;
    la simplification des structures et des rapports entre l’État et les citoyens.

Tout cela représente des progrès qui rendent crédible le projet d’autonomie du Maroc pour ces provinces du Sud. Plusieurs pays le reconnaissent. Tout dépend en définitive et dans la perspective d’un règlement du conflit au Sahara, des hommes eux-mêmes, de leur volonté, de leurs actions, donc aussi de leur aptitude à identifier d’ores et déjà les défis que pose aujourd’hui globalement aux populations et au pays dans son ensemble, la poursuite du développement des provinces sahariennes dans un contexte national et mondial en profonde mutation.

Le Maroc s’est bâti sur la force de ses régions, de ses villes, de ses villages et du dynamisme des gens qui l’habitent. Cet acquis doit servir de tremplin pour permettre de franchir une nouvelle étape en matière de développement local et régional. Un Maroc qui affirme sa place et son originalité dans ce siècle nouveau doit mettre à profit la pleine contribution de toutes ses régions. Le projet d’autonomie est un pas dans cette direction. Les instances internationales (ONU, UE, UA…) devraient le reconnaître et en tirer les conséquences et le Maroc gagnerait à le faire connaître plus largement au monde.

Au sujet de l’auteur :

(*) Mouhamed Dioury, Marocain d’origine est notamment l’auteur de ‘’L’exception au cœur de la mondialisation : renouveau arabe ou crépuscule islamiste’’ (2014), ‘’Environnement économique’’ (2011) et de ‘’La mondialisation: peu de gagnants, beaucoup de perdants’’ (2006) Il est économiste au Canada où il a enseigné de 1982 à 2012. Site WEB : www.dioury.ca

Source : Maghreb Canada Expres, Vol.Xiii, N°5, Mai 2015

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