Au Québec, on croyait la nature juridique du mariage tout à fait claire et ne prêtant pas le flanc à diverses interprétations. Or la position du gouvernement du Québec dans une cause jugée en Cour supérieure vient de jeter le trouble sur une institution considérée à ce jour comme exempte de toute ambiguïté. Il faut espérer que la Cour d’appel mettra fin bientôt à cette incroyable confusion qui, de surcroît, est en porte-à-faux avec une société québécoise fort sécularisée, même si l’État québécois, tout comme la Fédération canadienne, n’est pas encore officiellement laïque.
Le débat en cours rappelle, sous d’autres angles et d’autres cieux, des situations qui méritent d’être traitées brièvement pour mettre en exergue l’absurdité de la polémique actuelle au Québec. La question se pose, y compris dans des pays dits musulmans où le Code de la famille découle essentiellement du Coran. Le droit musulman classique (Fiqh) comme le droit positif fait que l’institution du mariage est – par essence – civile et ne bénéficie d’aucun caractère sacramentel. Aussi le lien conjugal, longtemps scellé devant témoins et parfois renforcé par un contrat de mariage doit, depuis l’émergence d’administrations étatiques fondées sur le droit, être célébré par des officiers d’état civil, dûment mandatés, et transcrit aux registres de l’état civil qui en font foi et dont les extraits établissent la preuve. Là encore, il est fortement conseillé de l’assortir d’un contrat de mariage en bonne et due forme (acte notarié).
Mais c’est sans compter la survivance d’une malencontreuse confusion tenace entre le religieux, le culturel et le civil qui a permis la survie, en marge du mariage civil, du mariage dit coutumier (« Zawaj Orfi »), qualifié inadéquatement de « religieux » et qui ne s’embarrasse guère de preuves autres que testimoniales. L’absence de preuves documentaires officielles pose de sérieux problèmes en cas de disparition des témoins et surtout de leur non-disponibilité en cas de besoin. En outre, elle soulève de graves difficultés quant à la reconnaissance des enfants nés de ladite union, aux obligations matrimoniales et parentales, à l’héritage, à l’abandon du domicile conjugal et au divorce dont les femmes font les frais. Souvent, la question se pose dès que les parents « Orfi » décident d’inscrire une naissance à l’état civil ou un enfant à l’école. La régularisation judicaire est ardue du fait qu’il y a lieu d’établir hors de tout doute la validité du lien conjugal et, ensuite, celle de la naissance de l’enfant et sa filiation légitime pour le doter d’une existence et d’une personnalité juridiques.
La plupart des États tentent d’enrayer de telles pratiques et certains, comme l’Algérie, sont allés encore plus loin en interdisant formellement aux imams et à quiconque de célébrer tout mariage «religieux / Orfi» si le couple ne fournit pas, au préalable, la preuve documentaire officielle du mariage, lequel ne peut être que civil –. Ce qui confirme que le mariage « Orfi» n’en est pas un et n’engendre pas d’effets juridiques comme les obligations et protections afférentes. L’État algérien conserve donc la compétence exclusive en matière de mariage (et de divorce), sans possibilité de céder le moindre pouvoir en la matière à des officiants du culte. Le débat est donc définitivement clos en Algérie, où pourtant l’islam est religion d’État et la société très peu sécularisée; l’officialisation du mariage fait reculer sensiblement le lien « Orfi » et ses effets néfastes.
Ce bref parallèle n’a pour but que d’exprimer un étonnement légitime vis-à-vis de questionnements qui, au Québec, semblent d’un autre âge, semant le doute sur l’institution du mariage dont la population connaît clairement l’unicité, la valeur et la portée en termes de droits et devoirs, tout autant que l’Église qui se refuse à célébrer des « sous-mariages ». Reconnaissons que la ministre de la Justice n’a pas tort de plaider que le mariage « religieux » ne produit aucun effet; elle a cependant le devoir de réitérer cette évidence que l’État n’accorde de validité et de légitimité qu’au mariage civil que les ministres du culte ont l’obligation légale de transcrire à l’état civil.
Interrogeons-nous finalement sur l’éventualité suivante : quelles auraient été les réactions au Québec si le requérant en Cour supérieure était musulman et avait invoqué sa foi pour échapper à ses obligations?
Par Touhami Rachid RAFFA.