Mouna Bahtit, originaire du Maroc, est diplômée d’une maîtrise en administration des services de santé obtenue à l’Université de Montréal.
Elle est aussi et surtout la co-fondatrice de l’Institut International pour la santé des femmes (IISF), un organisme qui lutte pour l’amélioration de la condition des femmes issues de minorités ethnoculturelles au Québec et au Canada.
Voici un entretien avec cette passionnée (réalisé par Ambre Sachet) :
Un petit mot sur votre parcours avant votre arrivée au Canada ?
La cause sociale des femmes a toujours existé pour moi et ce depuis mon départ du Maroc où j’étais étudiante en médecine et où j’ai travaillé aux urgences. J’y étais bénévole pendant mes études, ce qui n’est pas usuel en Afrique ou en Europe.
En tant que médecin à Casablanca, j’ai beaucoup travaillé avec des femmes. J’ai commencé à faire mes vraies expériences de la cause auprès de groupes vulnérables et défavorisés. Ça a marqué un tournant pour moi, et j’ai saisi à quel point j’étais privilégiée.
Pourquoi avoir choisi de venir étudier à l’Université de Montréal ?
Les diplômés de l’UdeM ont cette propriété francophone. Pour moi ça a été une question de proximité avec la plus grande université francophone à Montréal. Mon réseau, c’était l’UdeM. Le diplôme le plus convaincant était celui en administration des services de la santé: pouvoir aider à résoudre des choses en fonction de ce que j’avais acquis et comprendre le grand mystère du système de santé au Québec. J’ai fait une maîtrise suivie d’un mémoire sur la migration des médecins vers les autres provinces canadiennes et les États-Unis.
L’UdeM a été ma première vraie expérience de la vie nord-américaine francophone. Ma vie aurait été différente si j’avais fait cette formation ailleurs.
Quels ont été vos principaux accomplissements pour la santé des femmes ?
J’ai travaillé avec le RQCALACS, le Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel et la violence faite aux femmes. J’ai aidé à élaborer une série de fascicules sur l’intersectionnalité des discriminations dans le domaine de la santé. Si vous êtes une Québécoise pauvre, victime de violence et en besoin d’accès à la santé, ce n’est pas la même chose que si vous êtes noire et immigrante.
C’était exactement ce que je vivais: arabe, musulmane, immigrée, femme, divorcée, d’ascendance juive.
J’ai travaillé à la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pour adapter les programmes du gouvernement à la communauté arabophone.
J’ai été engagée (par la Société canadienne du cancer en tant qu’ambassadrice de la campagne Mémo-mamo) pour adapter un programme de dépistage du cancer du sein aux communautés arabophones et d’Asie méridionale. La prévention ce n’est pas seulement la mammographie à 50 ans.
D’où est venu l’Institut international pour la santé des femmes ?
C’était une obligation de créer cet institut. J’ai beaucoup appris sur le terrain lorsque j’ai travaillé avec le RQCALACS sur l’image de soi, la violence faite aux femmes, l’hyper sexualisation, la santé des femmes, minoritaires, voilées, que j’ai toujours défendues après la montée de l’islamophobie.
Ce n’est pas parce que je ne partage pas leurs convictions que je ne vais pas les défendre pour qu’elles fassent ce qu’elles veulent. J’ai été sollicitée pour des séances de déradicalisation. Je vis l’approche globale de la santé dans toutes mes actions, mais il faut faire le suivi et aider à construire des ponts avec ces populations. C’est le Québec qui perd sinon, ce Québec qu’on aime. Si on décide d’y rester, c’est qu’on l’aime. Moi je me considère comme Montréalaise.
Quels sont vos souvenirs marquants de l’UdeM ?
J’ai eu un cours de marketing social lors de ma maîtrise en administration de la santé qui a été extrêmement marquant. J’avais un professeur qui est une pointure au Québec dans ce domaine (François Lagarde). On avait fait un exercice au cours duquel j’ai réalisé les erreurs que j’avais commises au Maroc, où j’ai travaillé pour la lutte contre le sida et les maladies sexuellement transmissibles sans formation.
Le programme avait même échoué, car on n’avait pas tenu compte de certaines prérogatives. Rendue au Québec dix ans plus tard, j’étudiais le marketing social et je l’appliquais à mon intervention, que j’ai pu appréhender comme problème solvable. Ce genre de cours m’a beaucoup appris.
Propos recueillis par Ambre Sachet, Maghreb Canada Express, Page N° 11, Vol. XV, N° 03, MARS 2017 .
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