Lancé officiellement en Avril 2014, le Plan d’Accélération Industrielle ( PAI) 2014-2020 , ambitionne de restructurer le secteur industriel marocain, pour en faire un levier de commande déterminant et un véritable moteur de croissance économique.

A cet effet, le PAI s’assigne la réalisation de trois objectifs principaux à savoir :

  1. La création, en 7 ans, de 500.000 nouveaux emplois, grâce notamment à l’investissement direct étranger (IDE) ;
  2. L’amélioration significative de la part de l’industrie dans le Produit Intérieur Brut (PIB). Celle-ci devrait passer de 14%, taux enregistré en 2014, à 23% en 2020 ;
  3. La réduction progressive du déficit structurel de la balance commerciale par une action simultanée sur les exportations (à augmenter) et les importations qu’il conviendrait de faire baisser.

Pour ne pas faillir à sa mission, le PAI a adopté une nouvelle approche dite « d’écosystèmes » et prévoit une panoplie de 9 mesures dont la mise en œuvre devrait permettre aux autorités gouvernementales et aux opérateurs privés intéressés d’atteindre les objectifs fixés.

 D’une façon très simplifiée, la notion d’écosystème est une formule sur laquelle devrait s’appuyer une stratégie industrielle qui ambitionne de lutter, entre autres, contre le manque à gagner qui résulterait d’un taux d’intégration industrielle faible et de la dispersion géographique des créateurs de la richesse matérielle. L’écosystème est souvent défini comme « un ensemble (regroupement) d’opérateurs économiques interdépendants partageant une même vision stratégique autour d’un leader industriel qui arrive à imposer son savoir-faire et sa technologie ». Les entreprises créées dans ce cadre auront la possibilité de bénéficier des effets d’entrainements en amont et en aval produits par les échanges interindustriels entre les unités constituant l’écosystème. La formule dite de sous-traitance permet à l’écosystème de contribuer à l’émergence d’un tissu industriel fortement intégré et fiable.

 Pour la mise en œuvre du PAI, le gouvernement marocain a adopté les principales mesures suivantes :

  • La compensation industrielle : celle-ci devrait permettre à l’Etat d’optimiser au maximum les retombées de la commande publique faite aux fournisseurs étrangers. Le volume de la commande publique devient ainsi un « moyen de pression » pour arracher des concessions économiques de la part du fournisseur étranger (transfert d’une partie du savoir-faire, production par les entreprises locales de certains inputs, services de maintenance …).
  • La création d’un fonds d’investissement industriel doté d’une enveloppe totale de 20 milliards de Dirhams ( plus de 2 milliards de dollars US) .Le PAI prévoit aussi la refonte du système de garantie publique aux PME et l’adoption d’une nouvelle charte de l’investissement, en abrogeant celle de 1995.
  • La formation de compétences et la qualification des ressources humaines : les leaders industriels sont appelés à définir leurs besoins spécifiques en matière de formation et à concevoir les profils dont ils ont besoin pour jouer pleinement leur rôle. Le PAI sera doté de tous les moyens requis pour que chaque écosystème puisse trouver sur le marché de travail une offre quantitativement et qualitativement suffisante.
  • L’assiette foncière : Pour que le foncier soit classé parmi les derniers soucis des investisseurs potentiels, le PAI propose des terrains industriels à proximité des grands bassins d’emploi.

En outre, le PAI exhorte les industriels marocains à mieux exploiter les opportunités qu’offre les multiples Accords de Libre-échange conclus par le Maroc avec des pays étrangers et invite les petits entrepreneurs, opérant dans le secteur informel, à recourir à un accompagnement que l’Etat propose pour les aider à s’intégrer dans le tissu industriel national. Le PAI mise aussi sur l’apport de l’IDE en matière d’emplois et du transfert de technologie.

Dans une interview accordée en avril dernier à un journal marocain, le ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique, M. Moulay Hafid Elalamy, a affirmé que le « PAI a répondu à ses promesses, avec une cadence de réalisations soutenues et des objectifs à mi-parcours largement atteints ». Pour être plus concret, le ministre de l’Industrie a indiqué, que depuis le lancement du PAI, 12 secteurs ont été structurés en 43 écosystèmes.

Par ailleurs, lors de la cérémonie de présentation de la nouvelle charte de l’investissement, organisée le 4 juillet 2016 en présence du Roi Mohammed VI, le ministre de l’Industrie a fait plusieurs annonces de haute importance, dont notamment l’implantation dans la zone industrielle de la ville de Kénitra d’une usine relevant du groupe canadien LINAMAR, destinée à la production de composants moteurs pour l’unité d’assemblage du groupe PSA ( Peugeot- Citroën) et dont l’ouverture est prévue pour 2019 . L’usine du groupe canadien exigerait un investissement global de 280 millions de Dollars et permettrait la création de 1000 postes de travail.

En plus de l’arrivée du groupe canadien LINAMAR, le ministre a annoncé plusieurs autres projets industriels portant sur investissement global qui serait de l’ordre de 700 millions de Dollars dont ceux du groupe américain Delphi (équipement électrique automobile) et du groupe français Mecaplast (production de pièces plastiques pour l’automobile).

Ceux qui s’intéressent de plus près à la politique économique du Maroc savent pertinemment que le PAI n’est pas la première stratégie industrielle adoptée par les gouvernements successifs du Maroc. Et elle ne sera pas, certainement, la dernière dans un monde en mutations perpétuelles. Ainsi, pour asseoir les premières bases de l’industrialisation du pays, les autorités marocaines ont eu recours à plusieurs stratégies et visions pour faire de l’industrie un moteur de croissance économique. L’étude, même superficielle de l’histoire économique du Maroc durant la deuxième partie du 20ème siècle, nous permet de relever que les efforts antérieurs visant l’industrialisation du pays ont dû passer par 5 phases à savoir :

  • La stratégie dite d’industrialisation par la substitution aux importations (1960-1980). Cette stratégie devrait permettre au Maroc de se doter d’un tissu industriel qui serait en mesure d’atténuer sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur en produisant localement une part des biens industriels dont il avait besoin. Mais, l’exigüité du marché intérieur ( demande insuffisante et inélastique à cause de la faiblesse des revenus et surtout de leur mauvaise répartition ) ainsi que l’endettement excessif engendré par l’importation croissante des biens d’équipement, ont contraint le Maroc à renoncer, vers le milieu des années 70 du siècle dernier, à cette stratégie au profit d’une autre axée sur l’exportation et la satisfaction de la demande extérieure;
  • la phase d’industrialisation par la promotion des exportations (1977-2005) : cette nouvelle vision a permis au Maroc de se doter d’un tissu industriel assez étoffé mais très fragile. En effet, les industries développées, à cette époque, appartiennent à des branches ou secteurs, à faible valeur ajoutée, caractérisés par une utilisation intensive de la main d’œuvre, tels que le textile et l’agroalimentaire. C’est dans ce cadre qu’a été créé le Centre Marocain de Promotion des Exportations (CMPE- actuellement Maroc Export), en décembre 1976, sous forme d’établissement public. Cette stratégie qui n’a pas pu résister aux nouvelles exigences engendrées par la tendance amorcée au milieu de 1995 pour la libéralisation accrue du commerce mondial – création de l’OMC-, a été abandonnée au début de ce millénaire, en 2005 plus précisément, pour donner place à une autre vision, mieux adaptée au contexte mondial actuel. Par ailleurs, il ne serait pas sans importance de noter qu’au cours de la période allant de 1975 à 2005, le Maroc a dû faire face à plusieurs défis et d’énormes difficultés dont, notamment, la dégringolade du prix du phosphate à partir de 1976, la succession des cycles de sécheresse, ainsi que la concurrence acharnée des pays émergents et surtout les petits dragons asiatiques;
  • – Le plan d’émergence et le pacte national pour l’émergence industrielle 2005-2014 : A partir de 2005, le Maroc a opté pour une nouvelle stratégie industrielle axée sur les métiers mondiaux. Ceux-ci font partie de la gamme des branches industrielles les plus dynamiques du commerce international tels que le secteur de l’automobile, l’aéronautique et l’électronique. C’est dans ce cadre que le Maroc a lancé le plan d’émergence, puis le pacte national pour l’émergence industrielle.
  •  Le plan d’accélération industrielle( PAI) 2014-2020 : Ce plan devrait doter le Maroc d’une nouvelle conception qui lui permettrait de rentabiliser au maximum les progrès issus du plan d’émergence et du pacte national pour l’émergence industrielle. Le PAI devrait, aussi, permettre au Maroc de s’attaquer à l’insuffisance des progrès en matière de compétitivité, et à la faible contribution de l’industrie à la croissance économique et à la création d’emplois. Il y a lieu de noter que contrairement à la stratégie de substitution aux importations et celle fondée sur la promotion des exportations qui ont été conçues à partir d’une rupture totale avec les visions antérieures, le PAI a le mérite de s’inscrire dans une logique de continuité et ce, pour ne pas se priver des résultats positifs légués par « ses ancêtres » : le plan d’émergence et le pacte national pour l’émergence industrielle.

Évidemment, un bilan d’étape du PAI ne nous autorise pas, aujourd’hui, à en évaluer convenablement la pertinence. L’appréciation de ses résultats et de ses retombées ne peut être faite qu’à partir de 2022 ou même 2023, c’est à dire deux ou trois années après le lancement sur le terrain concret des derniers projets prévus par le Plan en question.

A partir de 2022, nous disposerons des chiffres qui nous permettront de procéder à une évaluation objective du PAI en recourant à deux approches différentes. L’une quantitative, par laquelle nous mesurerons le taux de réalisation des objectifs fixés à savoir la création de 500.000 emplois, l’amélioration de la part de l’industrie dans le produit intérieur Brut(BIP), ainsi que l’impact sur la balance des paiements et la balance commerciale.

L’autre méthode d’évaluation peut être qualifiée de qualitative. Elle devrait nous permettre d’évaluer les effets du PAI sur l’intégration industrielle et partant le renforcement des relations inter-industrielles et intra sectorielles qui seront établies entre les éléments constitutifs du tissu industriel marocain.

En attendant le moment approprié pour une évaluation fondée sur des chiffres réels et non sur des projections et des déductions, nous pouvons, d’ores et déjà, nous poser des questions qui pourraient nous donner une idée sur le travail colossal qu’il faut entreprendre pour que le PAI puisse honorer pleinement ses engagements surtout en matière de création d’emplois, le talon d’Achille de la politique économique marocaine. Parmi les interrogations qu’il convient de soulever figure en premier lieu celle ayant trait au nombre des emplois à créer au cours de la période couverte par le PAI. En 7 ans (2014-2020), le PAI devrait permettre la création de 500.000 emplois, soit un moyen annuel de 71428 postes de travail. A première vue, ce chiffre peut paraitre réaliste et réalisable si l’on prend en considération les potentialités économiques du Maroc et les engagements de certains groupes industriels étrangers. Mais, cet optimisme peut être fortement atténué si on passe à un autre palier, plus élevé, du raisonnement qui fait intervenir la performance de l’économie marocaine en matière de création d’emplois durant la période allant de 2005 à 2014.

Au cours de cette période, l’économie marocaine, tous secteurs confondus, n’a pu créer annuellement que 77.700 emplois. Au cours de la période précitée, l’industrie ne s’était pas contentée uniquement de ne pas en créer, pire encore elle s’est offerte le luxe d’en perdre (faillites d’entreprises, licenciements…). Entre 2005 et 2014, l’industrie a perdu annuellement 984 emplois (perte moyenne annuelle) .

Soumises aux aléas climatiques, les performances de l’agriculture sont caractérisées par une évolution en dents de scie en ce qui concerne la production et la création d’emplois. Au cours de la période précitée, l’agriculture a créé annuellement 7750 emplois (moyenne annuelle). Durant la même période, le secteur tertiaire a créé annuellement 83.412 emplois (moyenne annuelle), un chiffre qui confirme la tertiarisation de l’économie marocaine. Le PAI sera-t-il en mesure d’inverser la tendance observée lors de la période en question ? Apparemment, et vu les annonces faites officiellement sur l’implantation de certains groupes étrangers, à Kénitra ou ailleurs, la réponse ne peut être que par l’affirmative.

Les dernières sorties médiatiques du ministre marocain de l’Industrie sont rassurantes. Le bilan d’étape du PAI serait largement positif et très encourageant. Néanmoins, les bons résultats économiques et sociaux qui seront atteints grâce la mise en œuvre du PAI ne doivent pas amener les autorités marocaines concernées à se départir du devoir de procéder à l’évaluation de l’impact réel du PAI sur le processus d’industrialisation du pays. Car, c’est un secret de polichinelle de dire que la juxtaposition d’une multitude d’unités industrielles ne signifie pas forcément l’amorce d’un vrai processus d’industrialisation.

C’est pourquoi, le PAI doit véhiculer une stratégie d’industrialisation et non seulement une vision Industrielle qui consiste à créer un tissu industriel peu intégré et fortement dépendant de l’extérieur (technologie, semi produits et technologie. Pour cela, le PAI doit accorder une place de premier ordre à la Recherche-Développement (RD) et partant à l’innovation technologique. Jusqu’ à présent, la part du PIB que le Maroc affecte à la RD demeure faible. Par conséquent, le Maroc figure parmi les pays qui investissent très peu dans la RD. La part du PIB allouée par le Maroc à la RD serait de l’ordre de 0,8% au moment où la moyenne européenne se situe aux alentours de 2%. Des pays comme la France ou l’Allemagne consacrent des montants énormes à la RD (presque 80 milliards d’Euros pour chaque pays). Les pays de l’Europe du Nord dépassent de loin la moyenne européenne : le Danemark 3%, la Suède (3,3%) et la Finlande (3,4%) . Enfin, il y a lieu de souligner que les pays dits émergents consacrent annuellement, et en moyenne, 2% de leur PIB au financement de la RD.

Les expériences passées et les success stories montrent, d’une façon claire et exempte de toute ambigüité, que le taux de probabilité pour réussir un vrai processus d’industrialisation ne dépend pas uniquement de la volonté affichée par les gouvernements concernés, mais et surtout d’une approche globale et intégrée qui permettrait une interaction optimale entre tous les facteurs et toutes les conditions que requiert un vrai processus d’industrialisation. Outre des mesures juridiques, économiques et financières ou d’ordre institutionnel, un processus d’industrialisation sérieux doit accorder une importance cruciale à la RD, ainsi qu’à la formation-qualification de la main d’œuvre par un système de formation performant en adéquation avec les besoins présents et futurs de l’économie nationale. Tout retard pris dans la réforme- refonte du système de l’enseignement- formation, à cause de faux problèmes dont la langue de l’enseignement, risque de renvoyer le processus d’industrialisation aux calendes grecques.

C’est pourquoi, nous souhaiterions avec toute ardeur que le PAI ne soit pas en train de jouer le rôle de l’arbre qui devrait cacher la forêt. Dorénavant, le Maroc doit concentrer ses efforts sur la forêt, qui n’est autre que le processus devant déboucher sur un véritable processus d’industrialisation qui le libère de la dépendance technologique l’égard des pays développés.

Par Ahmed Saber pour Maghreb Canada Express

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