Réuni à Salé, les 25 et 26 novembre 2017, le Conseil national du parti de la Justice et du Développement ( PJD) a voté contre le projet d’amendement de l’article 16 du statut du parti .Le « parlement » du « PJD » a rejeté ledit projet par 126 voix, contre 101 voix favorables et quatre (4) bulletins annulés. Il faut préciser que le projet d’amendement de l’article 16 du statut devrait permettre au secrétaire général sortant, M Abdelilah Benkirane, de briguer un troisième mandat. Il convient aussi de rappeler que l’article 16, fixe à deux, le nombre maximum des mandats d’un secrétaire général. Ce qui signifie que Benkirane, dont le deuxième mandat à la tête du « PJD » devait normalement expirer, avant le 16 juillet 2016, puisque le statut du parti limite, à 4 ans, le mandat du secrétaire général. Elu pour un premier mandat, le 20 juillet 2008, Benkirane a été réélu, le 16 juillet 2012, pour un second mandat à la tête du secrétariat général du « PJD ».

Un PJD divisé ?

 Le score étriqué ayant sanctionné le vote du 26 novembre 2017 corrobore l’idée, qui circule depuis un bon moment, sur l’existence au sein du « PJD » de deux clans antagoniques à savoir le clan de Benkirane et le clan ministériel, mené par Mustapha Ramid et Aziz Rebbah, respectivement ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme et ministre de l’énergie, des mines et du développement durable. Une idée que presque tous les membres du parti ont essayé vainement de dissimuler.

Lors de la même réunion, le conseil national du « PJD » a voté contre un projet d’amendement de l’article 37 du statut du parti. Cet amendement avait pour but d’empêcher les ministres en exercice de siéger au secrétariat général. Ainsi, Benkirane et son clan ont essuyé deux échecs cuisants à quelques minutes d’intervalle, seulement. Le « clan ministériel » qui a gagné deux batailles, le même jour, sera-t-il en mesure de gagner la guerre ?? Le prochain congrès national du parti de la lampe, qui se tiendra les 9 et 10 décembre 2017, pourrait livrer une première réponse à cette question.

Par conséquent, en moins de 8 mois, Benkirane a reçu deux coups de grande envergue. En mars 2017, le Roi a mis fin à la mission de Benkirane à la tête de l’Exécutif marocain, après 5 mois de négociations infructueuses pour la formation du nouveau gouvernement, qui devrait voir le jour après les élections législatives du 7 octobre 2016, remportées par le « PJD ». Le 26 novembre 2017, Abdelilah Benkirane et son clan n’ont pas pu faire passer deux projets d’amendements du statut qui devraient permettre à M Benkirane de rempiler pour un troisième mandat et d’empêcher les ministres en exercice de siéger au secrétariat général.

Benkirane sacrifié pour sauver le PJD ?

Benkirane est certes un dirigeant charismatique, un populiste, un bon communicateur qui utilise un langage simple, un mobilisateur et un des caciques du « PJD ». En même temps, c’est une personne qui cherche toujours à faire de sa spontanéité et sa sincérité un « fourre tout » pour justifier ses erreurs, ses bévues et ses sorties médiatiques, parfois mal calculées. Il a toujours eu une préférence pour la conduite en cavalier seul. Sa culte de personnalité et sa tendance à confondre les performances de son parti avec sa propre personne, ainsi que ses alliances contre-nature, seraient parmi les principales causes qui auraient poussé certains membres du « PJD » à « tourner la page Benkirane ».

Il parait, aussi, que certains membres influents au sein du mouvement de l’unicité et de la réforme( MUR), le bras idéologique du « PJD », ont décidé de s’opposer au projet de Benkirane car ils ont estimé que l’appui de ce dernier serait un pas dangereux qui pourrait mener vers l’éclatement du parti et l’éclatement de la coalition gouvernementale dirigée par le « PJD ». A cet égard, il faut souligner que le « MUR » est une association à caractère religieux qui opère dans le domaine de la bienfaisance. Elle a été créée, au milieu des années 90 du siècle dernier, à l’initiative d’Abdelilah Benkirane et d’Ahmed Raissouni. Il sied aussi de rappeler que le « PJD » est un parti ultra conservateur qui se revendique du référentiel islamique.

Pour le moment, Abdelilah Benkirane occupe le poste de secrétaire général du « PJD ». Le 8ème congrès du parti, prévu pour les 9 et 10 décembre 2017, se penchera sur l’élection de son successeur. Selon certains membres du parti, il est fort probable que le prochain congrès adopte une recommandation visant la création d’un conseil de la présidence, à l’instar d’autres partis, dont la direction sera confiée à Benkirane.

Le 9 octobre 2016, soit deux jours seulement après les élections législatives du 7 octobre, M Salaheddine Mezouar, secrétaire général du « Rassemblement National des Indépendants( RNI) » a présenté sa démission en pleine réunion du bureau politique de son parti. Mezouar, qui était, à l’époque, ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale et président de la COP 22 dit endosser la responsabilité des résultats décevants obtenus lors du scrutin du 7 octobre 2016 et choisir délibérément de se retirer en conséquence. Le bureau politique du parti de la Colombe a décidé de ne pas valider cette démission. Il a préféré attendre la nomination par le Roi d’un nouveau chef du gouvernement et l’amorce des tractations pour la formation d’une nouvelle majorité gouvernementale. Il convient de souligner que Mezouar a été élu secrétaire général du « RNI », le 23 janvier 2010, après avoir réussi à destituer M. Moustapha Mansouri, le successeur d’Ahmed Osman, fondateur du « RNI ». Mansouri qui n’a pu rien faire contre Mezouar et le mouvement réformateur qu’il dirigea, a préféré s’éclipser sans trop résister. A cette époque, Mezouar occupait le poste de ministre de l’Economie et des Finances sous les couleurs du « RNI ».

RNI : ‘’Il faut savoir quitter la table…’’

Après presque 6 années passées à la tête du « RNI »( 2010-2016), Mezouar a passé le témoin à Aziz Akhannouch sans émettre le moindre commentaire, car il n’est pas sans savoir que le « RN I» a ses propres spécificités qui le différencient nettement de plusieurs partis qui meublent le paysage politique marocain. Le 29 octobre 2016, M. Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts a été élu, sans grande surprise et sans aucune difficulté, nouveau secrétaire général du « RNI » en obtenant 1707 voix sur 1832. La première mission d’Akhannouch était de négocier avec Benkirane les conditions de participation du « RNI » au nouvel Exécutif. Le « RNI » est un parti de la droite libérale favorable à une ouverture accrue sur l’extérieur. Contrairement au parti de l’Istiqlal qui soutient la bourgeoisie nationale, le « RNI » défend les intérêts de la bourgeoisie comprador.

Si le changement opéré au sommet du « RNI » a passé presqu’inaperçu car tout aurait été programmé auparavant, le changement à la tête du parti de l’Istiqlal n’était pas une tâche aisée à cause de la résistance féroce de M.Hamid Chabat et de son clan . Hamid Chabat (ou plus exactement Abdelhamid Chabat) qui « a voulu tout prendre a fini par tout perdre ».

La fin des Années Chabatiques

Député de la ville de Fès depuis 1997, Chabat a été Maire de la même ville de 2003 à 2015.En 2009, il a compris que pour réaliser son ambition de s’emparer du poste de secrétaire général du parti de l’Istiqlal, il faut commencer par le contrôle de l’Union Générale des Travailleurs du Maroc ( UGTM) , le puissant bras syndical du parti et sa redoutable force de frappe. Le 30 janvier 2009, Chabat a été élu secrétaire général de l’UGTM, un poste clé qu’il a occupé jusqu’au 23 septembre 2012. Pour comprendre l’importance de ce poste, il suffit de savoir que l’UGTM contrôle toutes les structures de l’Istiqlal.

Elu nouveau secrétaire général du parti de l’Istiqlal en 2012, Chabat a dû abandonner son poste à la tête de la centrale syndicale de l’Istiqlal pour présider aux destinées du parti. Conscient de l’importance du poste de secrétaire général de l’UGTM, Chabat a tout fait pour que sa succession soit confiée à M. Kéfi Cherrat, un de ses fidèles alliés. A l’issue des élections régionales et communales du 4 septembre 2015, Chabat a été écarté de la présidence de la Mairie de Fès, par le « PJD ». La même année, il a perdu la bataille qui devait lui permettre de s’emparer de la présidence de la région de Fès- Meknès au profit de Mohand Laenser, le chef du parti « Mouvement Populaire ( MP) ». La chute libre de l’ex Maire de Fès continua, puisque deux ans plus tard et plus précisément le 7 octobre 2017, il a dû céder la présidence du parti de l’Istiqlal à son farouche rival, M Nizar Baraka, qui a pu obtenir 924 voix contre, seulement, 234 pour Hamid Chabat. Le 7 mai 2017, Chabat a perdu sa mainmise indirecte sur l’UGTM. Le nouveau patron de l’UGTM n’est autre que M. Mayara Enaâma, qui a été fortement soutenu par Hamdi Ould Rachid qui souffle, depuis un bon moment, le froid et le chaud au sein du parti. Il parait que jusqu’à présent, aucun poste du parti ou de sa centrale syndicale ne peuvent être attribué sans l’aval de Hamdi Ould Rachid. Signalons, enfin, que l’Istiqlal est un parti conservateur et ultra nationaliste qui soutient fortement la bourgeoisie nationale, les notables locaux et les grands propriétaires fonciers.

 Le 7 août 2017, M Ilyas El Omari a surpris tout le monde en présentant sa démission du poste de secrétaire général du « PAM »(Parti Authenticité et Modernité), lors d’une réunion du bureau politique. Ce dernier a décidé de soumettre cette démission au conseil national du parti. Le conseil national du « PAM » qui devait se réunir au début du mois de septembre a reporté ses assisses pour le 22 octobre 2017, ce qui n’était pas sans amener les observateurs à se poser des questions sur les raisons objectives de ce report, quasiment injustifiable.

El Omari ou ‘’La Tête qui ne   tourne pas est une montagne’’

Pour certains, il était clair qu’Iliyas El Omari a voulu prendre le temps suffisant pour bien préparer le conseil national à s’opposer à cette démission qu’Ilyas EL Omari a qualifiée, auparavant de « définitive et irréversible ». Selon certaines informations, le conseil national du « PAM » aurait décidé que la démission d’El Omari doit rester en suspens jusqu’au mois de janvier 2018, c’est-à-dire après la fin des travaux du 8ème congrès du « PJD ». En agissant de cette manière, El Omari a créé un vrai imbroglio au sein du « PAM ». Officiellement, c’est M Habib Bekkouch qui assume les fonctions de secrétaire général par intérim du parti alors qu’Ilyas semble revenir sur sa décision de démissionner.

Élu au poste de secrétaire général du « PAM » en janvier 2016, El Omari qui occupe aussi le poste de président de la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, a échoué dans sa mission de battre le « PJD » lors des élections législatives, du 7 octobre 2016. Il faut dire aussi que le Hirak du Rif( mouvement populaire et social) qui a été déclenché à la fin d’octobre 2016 n’a pas facilité la tâche d’El Omari qui a été vivement critiqué pour son inertie au du moins son manque d’initiative pour le retour au calme d’Al Hoceima, sa ville natale qui est aussi l’épicentre du Hirak. Pour le moment, El Omari est en train de gérer une situation confuse à la tête du « PAM », la deuxième force politique du pays en termes de sièges et la principale force d’opposition à la Chambre des Représentants. Le « PAM » domine la deuxième chambre du parlement ( Chambre des Conseillers) dont la présidence est assurée par M. Hakim Benchamach, un membre du « PAM ».

Créé par une élite politique très hétérogène pour faire obstacle à la vague islamiste, le « PAM » qui souffre du manque de continuité au niveau du leadership ( 4 secrétaires généraux en 9 ans), serait en train de passe par des moments difficiles et à hauts risques. Les questions que plusieurs membres ont posées avec insistance à propos de l’enrichissement rapide de certains membres influents au sein du parti y a créé une ambiance malsaine et provoqué des dissensions internes qui pourraient conduire à une implosion, selon certains observateurs avertis. Un scénario peu probable vu les spécificités de ce parti qui bénéficie des avantages et privilèges que permet sa proximité avec le vrai centre de pouvoir et de décisions stratégiques au Maroc. Le « PAM » se positionne parmi les partis de la droite libérale.

Le Mouvement Populaire ( MP) est un parti de la droite conservatrice qui était largement dominé, pendant un certain temps, par les notables, surtout des zones rurales amazighes. Il a pu connaitre une longue période de stabilité et de cohésion depuis l’éviction, en 1986, de M.Mahjoubi Aherdane de la présidence du parti qu’il a créé en 1957, avec M. Abdelkrim El Khatib.

Mohand Laenser a été désigné par Feu Hassan II en 1986 parmi les 8 candidats qui convoitaient la succession d’’Aherdane. Il était le plus jeune et surtout le plus timide des candidats. La force de Laenser et sa légitimité résident dans le fait qu’il a été choisi par le Roi du Maroc, Commandeur des Croyants. Dans un pays islamique, les décisions du Commandeur des Croyants s’imposent à tous. Elles ne peuvent aucunement faire l’objet de la moindre discussion.

C’est pour cette raison que M.Lahcen Haddad, qui était ministre du tourisme, n’a pu détrôner, en 2014, l’inamovible Laenser. Agacé par les critiques acerbes et les provocations dont il a fait l’objet au lendemain de l’annonce de sa candidature au poste de secrétaire général du « MP », Haddad a annoncé son retrait « définitif et irrévocable » de toutes les instances du parti. Une année, plus tard, M. Said Oulbacha , ancien secrétaire d’Etat chargé de la formation professionnelle , n’a pas pu réussir à écarter Mohand Laenser. L’impact et l’effet du mouvement qu’il a créé à cet effet étaient trop minimes pour déboucher sur l’éviction de Mohand Laenser, le doyen des chefs des partis politiques au Maroc. A l’âge de 75, Mohand Laenser domine toujours le « MP »qu’il dirige de main de fer et préside la région de Fès-Meknès.

Enfin, il sied de rappeler que le « MP » a été fondé en 1957, c’est-à-dire quelques mois seulement après l’indépendance du pays, pour faire face à l’hégémonie du parti de l’Istiqlal et protéger le Maroc contre les mauvaises conséquences du parti unique. C’est pourquoi, l’Istiqlal n’a pas apprécié la création du « MP » qu’il a qualifié de « parti artificiel ». Il faut savoir que Mahjoubi Aherdane a été écarté, en 1986, par Driss Basri, le puissant ministre de l’Intérieur sous le règne de Feu Hassan II. Par ailleurs, il ne serait pas sans utilité de souligner que Mahjoubi Aherdane était en mauvais termes avec le palais royal à cause de ses déclarations fracassantes sur El Bey’a (allégeance) faites en 1983 au journal espagnol El Pais. Cette tension avec le palais a duré de 1983 à 1986, date de l’éviction d’Aherdane.

La valse des chefs ou le Printemps Arabe version marocaine

Si nous laissons de côté les faits ci-dessus relatés pour procéder à une analyse minutieuse de leurs causes et des contestes dans lesquels ils se sont produits, nous nous apercevons que    « cette valse des leaders » des partis politiques serait en rapport direct ou indirect avec la version marocaine du printemps arabe. Il faut être d’une naïveté vraiment exemplaire pour épouser la thèse selon laquelle le « PJD » a pu accéder à la haute sphère du gouvernement grâce au libre jeu des règles de la démocratie, uniquement.

D’aucuns estiment, et à juste titre, que c’est le rôle qu’il a joué lors « du printemps arabe » qui lui a permis d’atteindre ce niveau de responsabilité gouvernementale. C’est pourquoi Benkirane n’a cessé de rappeler et d’insister sur le rôle quasiment déterminant qu’a joué son parti pour que le Maroc continue de jouir de la paix sociale et de la stabilité. Moult fois répété, ce discours a fini par agacer « l’Etat profond » et les « crocodiles et diables », pour parler comme Benkirane en recourant aux termes qu’il a réussis à introduire dans le lexique politique du Maroc d’aujourd’hui.

La même année d’investiture du gouvernement Benkirane ( 2012), le parti de l’Istiqlal a dû changer son leader pour pouvoir résister au populisme et à l’euphorie du chef du « PJD ». Ceux qui suivent les débats et les polémiques entre les chefs des partis politiques marocains se souviennent certainement de l’offensive virulente de Chabat contre Benkirane. Ce dernier a fait feu de tout bois pour réduire Chabat au silence et minimiser l’effet et l’impact de ses sorties qui frôlaient le ridicule.

En 2016, les autorités marocaines s’apprêtaient à fermer définitivement la parenthèse du printemps arabe. Mezouar qui était en conflit presque permanent avec Benkirane a été prié de rendre son tablier, en octobre 2016. El Omari qui n’a pas réussi à battre le « PJD » et Benkirane lors des élections législatives du 7 octobre 2016, a annoncé (en août 2017) sa décision de renoncer au poste de secrétaire général du « PAM ». Laquelle démission reste en suspens jusqu’à présent. En octobre dernier, Chabat a été battu par Nizar Baraka qui s’accapara du poste de secrétaire général des doyens des partis politiques marocains. Le 26 novembre 2017, le conseil national du « PJD » a dit non à un troisième mandat de Benkirane.

Prenant en considération tout ce qui précède, on peut affirmer qu’il s’agit « d’une valse de leaders des partis politiques » qui serait due à la fermeture de la parenthèse « du printemps arabe ». Mezouar a démissionné, Chabat a dû s’éclipser, Benkirane fera de même très prochainement, et El Omari doit se retirer pour ne pas nuire à sa crédibilité. A qui le tour, c’est la question que se posent même les citoyens normaux.

Par A. Saber, Maghreb Canada Express, pages 10-11, Vol. XV, N° 12, DÉCEMBRE 2017

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