Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)
Le philosophe Edgar Morin écrivait?: «?L’université n’est pas une fabrique à diplômes, mais un laboratoire de pensée et de liberté.?» C’est ainsi qu’on devrait toujours la concevoir?: un espace de formation de l’être humain, bien plus qu’une simple étape vers un emploi.
Pourtant, l’arrestation d’un professeur soupçonné de falsification de diplômes de master et de doctorat – vient douloureusement rappeler que l’université traverse une crise silencieuse. Ce n’est pas la première fois que l’institution est secouée. Avant cela, le scandale dit du «?sexe contre les notes?» à Settat, et d’autres affaires ici ou là, ont nourri un malaise profond. Dès lors, une question s’impose?: s’agit-il d’incidents isolés ou des symptômes d’un mal structurel plus profond que dissimulent l’omerta, la peur et le fameux chiffre noir de ce qui ne se dit pas??
Dans ce contexte, le silence n’est pas une preuve de solidité, mais un indicateur d’une fragilité éthique inquiétante. Qui n’a jamais entendu parler d’un accès douteux à un master ou à une thèse?? Qui ignore que certains diplômes s’obtiennent par faveur ou recommandation?? Le véritable danger réside dans la banalisation de ces pratiques. Car lorsqu’une société normalise ces écarts, elle commence à délégitimer l’université comme espace de mérite et d’élévation.
Et ce constat est d’autant plus amer que le Maroc est le berceau de l’une des plus anciennes universités du monde – Al Quaraouiyine à Fès, fondée en 859. Une institution qui a irradié le monde arabo-musulman, mais aussi l’Occident médiéval. Comment, dès lors, en est-on arrivé à ce que l’université – censée forger les valeurs – devienne le reflet de leur érosion??
Il serait trop simple de tout mettre sur le dos des mutations sociales. Car la crise touche aussi l’architecture interne de notre enseignement supérieur. Comment sont choisis les parcours de master?? Sur quels critères?? Qui encadre les recherches doctorales?? Où sont les mécanismes de contrôle de la qualité et de l’intégrité académique??
Le manque de transparence et de reddition des comptes dans certaines facultés a ouvert la porte à des arrangements inavouables?: argent, influence, échanges de services. Apres scandale de Settat, une commission avait été mise en place par l’ex ministre . Elle avait émis des recommandations importantes sur la gouvernance, la déontologie et l’organisation interne des universités. Mais après quelques semaines, l’élan s’est essoufflé. Le rapport a rejoint les étagères. L’urgence a été gérée, pas réformée.
Ce phénomène n’est pas propre au Maroc. Aux États-Unis, des enquêtes fédérales ont révélé des systèmes de corruption pour faciliter l’accès des enfants de riches familles à des universités d’élite comme Yale ou USC. En Corée du Sud, les privilèges accordés aux enfants de hauts responsables ont déclenché des mobilisations massives. En France, des cas de harcèlement et de discrimination dans certaines grandes écoles ont conduit à des mouvements étudiants et à la mise en place de dispositifs de recours.
Mais la différence réside dans la réaction collective. Ailleurs, quand un scandale éclate, il ne se réduit pas à la personne mise en cause. Il devient une affaire publique. Les institutions – police, justice, syndicats, médias, société civile – s’en emparent, questionnent, débattent, proposent. La crise devient une opportunité de réforme.
Ce que ces exemples montrent, c’est qu’une université, lorsqu’elle perd son éthique, cesse d’être un levier d’émancipation. Elle devient un producteur de fausses élites, plus soucieuses de titres que de mérite.
Préserver la vocation de l’université est certes un devoir pour le ministère de tutelle, mais aussi un chantier national. Il concerne les enseignants, les étudiants, les parents, la société civile. Il y va de notre avenir collectif. Car comme l’écrivait l’historien marocain Abdallah Laroui?: «?L’université n’est pas seulement un établissement d’enseignement. Elle est un miroir de civilisation. Quand il se brise, c’est le visage de la nation qui se fissure.?»