Par Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)

Le sport a toujours été plus qu’un simple jeu. Il incarne des valeurs collectives fortes : respect, dignité, justice. Dans la Grèce antique, les Jeux olympiques n’étaient possibles qu’après l’arrêt des guerres, symbole fort d’un idéal de paix. Bien plus tard, Nelson Mandela fera de la Coupe du monde de rugby en 1995 un moment de réconciliation nationale en Afrique du Sud. Comme un rappel que le sport peut aussi guérir les blessures d’un pays.

Derrière la compétition, le sport partage donc avec les droits humains des principes essentiels : l’égalité, la participation, la lutte contre toute forme de discrimination. Mais à mesure que l’industrie sportive prend de l’ampleur, ses responsabilités s’élargissent. Désormais, les grandes instances – à commencer par la FIFA – ne peuvent plus se retrancher derrière une neutralité de façade. Elles sont attendues sur le terrain éthique.

Ce n’a pas toujours été le cas. La Coupe du monde de 1978 en Argentine fut organisée sous une dictature militaire, sans que cela ne semble gêner la FIFA. Il a fallu attendre les controverses autour du Mondial 2022 au Qatar – notamment sur le sort des travailleurs migrants – pour qu’un virage s’amorce. En 2017, la FIFA adopte enfin une politique officielle en matière de droits humains, autour de la dignité, de l’égalité et du droit au travail.

Les grands tournois, eux, réveillent souvent les consciences. En 2014 au Brésil, des milliers de manifestants ont dénoncé les inégalités sociales en marge de la Coupe du monde. En Allemagne, en 2006, le Mondial s’est accompagné d’une grande campagne contre le racisme. En Asie, l’édition 2002 a imposé aux entreprises des normes sociales et environnementales strictes. C’est là qu’est née l’idée d’une “durabilité fondée sur les droits humains” dans l’organisation des événements sportifs.
Dans les gradins, de nouveaux acteurs ont émergé : les « ultras », ces groupes de jeunes supporters dont les chants dépassent souvent le cadre du football. Ils y parlent de marginalisation, de chômage, d’injustice. Ils expriment une soif de reconnaissance et de participation. Le message est clair : le sport ne peut ignorer les réalités sociales.

C’est dans ce contexte que le Maroc, aux côtés de l’Espagne et du Portugal, se prépare à accueillir la Coupe du monde 2030. C’est bien plus qu’un défi logistique. C’est une occasion unique de faire converger sport, développement et droits humains. Le Maroc ne part pas de zéro : il s’est doté d’un cadre constitutionnel et juridique solide, a ratifié les principales conventions internationales, mis en place des institutions actives, et adopté une stratégie nationale pour la démocratie et les droits humains.
Mais pour réussir, il faut aller plus loin. La mise à jour de cette stratégie est urgente. Il faut également finaliser le plan national sur les entreprises et les droits humains, pour garantir un travail décent et imposer à toutes les entreprises – locales comme étrangères – le respect des droits des travailleurs, notamment dans les projets liés au Mondial.

La transparence doit aussi être au rendez-vous. Le droit à l’information autour des projets liés à la Coupe du monde est essentiel pour que les citoyens se sentent impliqués, partenaires plutôt que simples spectateurs.

Et surtout, il faut ouvrir un vrai débat public : dans les écoles, les universités, les médias, les collectivités. Pour que ce Mondial soit un projet partagé, un miroir des aspirations de la société.
Organiser la Coupe du monde, c’est bien sûr construire des stades. Mais c’est aussi construire un récit national. C’est l’occasion de retisser le lien entre l’État et les citoyens, entre sport et citoyenneté, entre infrastructures et justice sociale. Le Maroc peut prouver, à travers cet événement, que le sport peut devenir un levier vers une société plus juste, plus digne, plus inclusive.

Comme l’écrivait Pierre de Coubertin, père des Jeux olympiques modernes : « L’important dans la vie, ce n’est pas de gagner, c’est d’être respecté. »

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