Fortement soutenue par le Parti de l’Istiqlal (PI), parti de l’opposition, la coalition gouvernementale dirigée par le PJD ( Parti Justice et Développement) a tenté vainement de faire passer, en juillet dernier, un projet de loi, fort controversé, portant sur la réforme du régime de retraite des parlementaires. La majorité gouvernementale n’a pu donc arriver à arracher un consensus qui leur permettrait de faire adopter cette proposition de réforme avant la clôture de la deuxième session parlementaire, au titre de l’année législative 2017/2018. L’intransigeance et la position défavorable adoptée par le PAM (Parti Authenticité et Modernité), qui représente la principale force d’opposition au sein de la Chambre des Représentants, ont bloqué ce projet qui semble battre de l’aile.
En effet, après avoir présenté officiellement, le 17 janvier 2018, un projet de loi visant l’abrogation de la Loi 92.24 portant création du régime de retraite des députés, et partant la suppression pure et simple de ce système après le remboursement total des cotisations versées par les députés , plusieurs membres du groupe parlementaire du PJD ont fini par céder aux multiples et fortes pressions exercées par les autres membres de la majorité gouvernementale, appuyés par le Parti de l’Istiqlal( PI), et accepter , par voie de conséquence, de cautionner une nouvelle formule( réforme) pour maintenir en vie ledit régime. A cet égard, il sied souligner que la majorité écrasante des membres influents au sein du PI aurait toujours « milité », sans le dire ouvertement, pour la préservation, voire le renforcement des privilèges et de la rente politique. Selon certains observateurs avertis, le soutien du PI à cette initiative était prévisible et concevable puisqu’il cadre parfaitement avec les vraies convictions et les intérêts non déclarés de plusieurs militants au sein du PI, et d’autres partis politiques au Maroc.
Le PAM, la principale force de l’opposition qui traverse une période des plus difficiles, continue à surfer sur les principes « de la sauvegarde et de la préservation des fonds publics » et ce, pour justifier son refus de valider l’offre faite par les partis de la majorité gouvernementale. Pour le moment, le PAM qui veut se montrer intraitable, refuse de cautionner tout projet de réforme appelant l’Etat à mettre la main à la poche pour secourir un régime déficitaire par nature. En d’autres termes, le PAM soutiendrait l’idée selon laquelle la contribution de l’Etat et le recours aux deniers publics et à l’argent du contribuable pour repêcher le régime de la retraite des parlementaires serait une ligne rouge à ne pas dépasser. En adoptant cette position négative diamétralement opposée à celle prônée par les groupes parlementaires de la coalition gouvernementale et celui du PI, le PAM voudrait s’imposer comme l’interlocuteur principal et incontournable du gouvernement et un acteur déterminant qui détient toutes les clés pour verrouiller ou faire dégager un consensus sur cette épineuse question, car il sait pertinemment que la proposition de la coalition gouvernementale compte beaucoup sur les cotisations et l’apport de l’Etat. Le recours éventuel du PAM à la Cour Constitutionnelle pour demander l’annulation de ce projet de loi, au cas où la majorité parvenait à le faire adopter, ainsi que le non respect de la procédure législative qui précise le circuit et les étapes par lesquels doit passer un projet de loi avant d’être soumis à la Commission des Finances de la Chambre des Représentants, ont contraint les groupes parlementaires de la coalition gouvernementale et le PI à retirer ce projet de la Commission des Finances pour le déposer auprès du bureau qui se chargera de le faire acheminer par le circuit habituel, en parfaite conformité avec la procédure en vigueur. Malgré cette farouche opposition du PAM, le Parti de l’Istiqlal et les membres de la coalition gouvernementale n’ont pas perdu espoir et comptent toujours sur un éventuel infléchissement de la position du PAM et celle des députés récalcitrants. Evidemment, la position actuelle du PAM, qu’il convient de saluer, doit être confortée par des actes tangibles car, il parait que la préservation et la bonne utilisation des deniers publics figurent parmi les derniers soucis de plusieurs membres du parti.
La réaction des deux députés de la Fédération de la Gauche Démocratique( FGD) était concise et on ne peut plus claire. Le mandat du parlementaire « n’est pas une profession (un métier) devant donner lieu à un salaire et partant à une pension de retraite ». C’est tout, la question est close, un point à la ligne.
Soumis à une forte pression qui serait exercée par le chef du parti, entres autres, le groupe parlementaire de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) a appelé à la tenue d’une session parlementaire extraordinaire entièrement dédiée à l’examen et à l’adoption du projet de réforme de la retraite des députés. Ainsi, l’USFP décide d’accorder aux députés un peu plus de temps de réflexion et espère que certains députés puissent revoir leur position hostile et œuvrer pour arriver à faire évoluer positivement la question afin d’aboutir une solution consensuelle.
Le double discours des hommes et des femmes politiques
Le débat houleux sur le projet de réforme du régime de retraite des députés a fait tomber des masques et a fourni des preuves accablantes sur le double langage tenu par la majorité des députés et des hommes politiques au Maroc. Lors des discussions entre eux et dans des salons fermés, ils défendent âprement leurs privilèges, leurs intérêts privés et les situations de rente politique dont ils bénéficient depuis des années. Par contre, durant les campagnes électorales et lors des rares discussions engagées avec la population, ils essaient de tenir un autre langage en recourant à un autre lexique pour défendre d’autres positions, sans en être réellement convaincus, qui en feront des hommes et des femmes intègres et honnêtes qui n’auraient qu’un seul et unique souci à savoir la défense des intérêts des couches démunies vivant dans la précarité ainsi que la lutte acharnée contre le gaspillage, la gabegie, la corruption, le clientélisme et la rente dans toutes ses formes…etc …
Lors de l’examen du projet de réforme du régime de retraite des députés par la commission des Finances de la Chambre des Représentants, un membre du PJD aurait évoqué le cas d’anciens parlementaires qui se trouveraient actuellement dans une situation de pauvreté et de besoin, après l’arrêt de paiement de leur pension depuis octobre 2017. Une déclaration qu’il s’est empressé de retirer une fois rendue publique. Le député en question aurait oublié que le parti qu’il représente n’a pu arriver au gouvernement que grâce à des milliers d’électeurs appauvris, qui ont été induits en erreur par un discours, qui s’est révélé faux et fallacieux, sur la nécessité d’engager une lutte acharnée et de longue haleine contre la pauvreté, la corruption et la rente politiques qui se dressent devant le développement socio- économique du pays.
Un autre député, membre du groupe parlementaire du PI a complètement raté sa sortie sur le sujet. Pour lui, plusieurs anciens parlementaires vivent dans une situation sociale difficile, ce qui les a obligés à faire sortir leurs enfants des écoles privées pour les inscrire dans des écoles publiques. C’est une déclaration maladroite qui reflète le niveau intellectuel et la formation politique des députés marocains, mais surtout, il s’agit d’une déclaration très grave qui pourrait amener tout un chacun à se poser mille et une questions sur le rôle de l’école publique (réservée aux pauvres) et la pertinence de la politique gouvernementale en matière d’éducation-formation du peuple. La déclaration est tout simplement une insulte gratuite à l’égard de l’école publique.
Ces deux déclarations ont provoqué une large vague d’indignation et de moqueries. Certains internautes ont même plaidé pour une collecte des fonds afin de venir en aide « aux parlementaires nécessiteux ». Les députés ont été, de ce fait, sujets à une risée populaire, entretenue sur les réseaux sociaux.
Un débat houleux sur une question très simple
Évidemment, ceux qui ont suivi de près ou de loin ce débat sur la réforme du régime des retraites des députés ont dû se poser des questions sur sa raison d’être et les arguments qui pourraient le justifient car, la question est très simple, claire et nette. En principe, c’est une affaire qui ne nécessite aucun débat et qui ne doit susciter aucune polémique. Pour la trancher, il suffit d’agir conformément aux principes fondateurs et à la philosophie des régimes des retraites, mis progressivement au moins après la seconde mondiale. Les systèmes de retraite prévoient le recours à deux modes de financement à savoir la répartition et la capitalisation. Dans un régime par répartition, les contributions (cotisations) que les actifs doivent verser servent directement au paiement des pensions des retraités. Contrairement au système par répartition, le système par capitalisation est fondé sur un autre principe selon lequel les cotisations versées par les actifs sont placées au nom de chaque cotisant. A la fin de la carrière professionnelle, les sommes ainsi accumulées sont restituées aux retraités sous forme d’une rente (capital)
Pour ce qui est des modes de fonctionnement, les systèmes de retraite sont généralement divisés en deux principales catégories. Le système contributif qui prévoit des pensions proportionnelles aux cotisations versées par les actifs durant toute leur vie professionnelle, et le système dit « redistributif »qui donne droit à des pensions indépendantes des montants des cotisations versées.
Enfin, il sied de rappeler que les cotisations sociales versées par les salariés et leurs employeurs constituent les deux principales sources de financement des systèmes de retraite de par le monde. Le volume des ressources disponibles à un moment donné dépend donc du cumul des cotisations acquittées par les salariés et leurs employeurs, des pensions versées et de l’importance des produits financiers des placements. Le mauvais emploi de l’excédent disponible à un moment donné et la diminution/dégradation continue du ratio actif/ retraité peuvent contribuer à exacerber la crise dont souffrent plusieurs régimes de retraite dans le monde.
Le député assume volontairement un mandat politique que lui a confié l’électeur en vertu d’un contrat moral conclu entre les deux parties. Il n’est pas un salarié. Evidemment, les députés ont entièrement le droit de créer une caisse de retraite, fixer les montants des cotisations à verser et déterminer les autres paramètres qui devraient garantir la viabilité du système mis en place à cet effet. Mais, demander l’apport de l’Etat est une aberration, car l’Etat n’est pas « l’employeur des députés ». L’Etat doit refuser tout appel lui demandant de verser des « cotisations patronales ». C’est pourquoi, un membre de la FGD n’a pas voulu perdre son temps et s’est contenté d’une réponse très brève, car la question est d’une simplicité indiscutable.
Par Ahmed Saber, pour Maghreb Canada Express,, pages 10-11, Vol. XVI, N° 08, Août-septembre 2018