Je me suis toujours posé des questionnements sur le ou les origines du mouvement syndical, à quand remonte la première opération césarienne qui a vu naître le mouvement syndical, dans quel contexte historique et sociopolitique…?

Je partage avec vous les résultats de mes recherches et je vous invite à un voyage dans le temps sur les traces de l’histoire du mouvement syndical canadien et québécois.

La naissance

Le syndicalisme ouvrier moderne est né, tout comme le socialisme, avec le capitalisme. Au début du 19e siècle, les ouvriers anglais protestaient violemment contre l’introduction du machinisme et de l’outillage moderne dans les ateliers. Cette résistance contre les effets et non les causes de leurs misères montra vite ses limites. Guidé par la théorie du socialisme utopique, ces ouvriers en tant que classe se mirent en action pour exiger la légalisation du fait syndical afin de défendre leurs intérêts moraux et matériels. La chose fut obtenue par le vote d’une loi au Parlement anglais en 1824.

Faits saillants du syndicalisme canadien

1872 : La lutte pour une semaine de travail plus courte :

Les imprimeurs de Toronto, ont débrayé le 25 mars 1872, et ce, suite au refus des employeurs d’accorder aux travailleurs la journée de travail de neuf heures (ils travaillaient au moins dix heures ou plus par jour).  Les éditeurs ont engagé du personnel de remplacement, mais les grévistes ont gagné l’appui de nombreux autres travailleurs et travailleuses de Toronto.

Le résultat a été qu’une foule de 10 000 partisans s’est massée dans Queen’s Park le 15 avril 1872.  À l’époque, l’activité syndicale était criminelle et George Brown, éditeur du Toronto Globe, a fait arrêter le comité de grève pour conspiration criminelle le lendemain du rassemblement.  La collectivité a protesté pour appuyer les personnes arrêtées.

Le 18 avril 1872, le Premier ministre John A. Macdonald – qui n’était pas un ami de l’éditeur et homme politique réformiste George Brown – a fait adopter la Loi sur les syndicats ouvriers, qui légalisait et protégeait les syndicats.

La grève des imprimeurs de Toronto a donné naissance au mouvement pour la journée de neuf heures.  Elle a conduit à des célébrations annuelles de la fête du Travail qui se poursuivent de nos jours dans les différentes collectivités du Canada.

1919 : La grève générale de Winnipeg.

Pendant l’année 1919, les soldats rentrant au Canada après la Première Guerre mondiale y trouvaient des taux de chômage et d’inflation élevés.  Ils n’arrivaient pas à reprendre leurs emplois et les tensions sociales étaient fortes.

À 11 h le 15 mai 1919, les travailleurs débraient et défilent dans les rues de Winnipeg dans le cadre d’une des manifestations ouvrières les plus importantes qui ait eu lieu au Canada.  Les grévistes viennent du secteur public comme du secteur privé et varient des travailleuses du vêtement aux policiers.  Le 21 juin 1919, des membres de la Royale gendarmerie à cheval du Nord-ouest et des fiers-à-bras engagés foncent à cheval et ouvrent le feu sur une foule de milliers de travailleurs et travailleuses, tuant deux personnes et blessant d’innombrables autres.

Le tristement célèbre «samedi sanglant» marque la fin de la grève.

La naissance de l’assurance-chômage

Au cours de la crise économique de 1929 à 1939, les jeunes hommes en chômage devaient travailler pour une rémunération dérisoire dans des camps créés par le gouvernement fédéral à des endroits isolés.

Revendiquant un salaire suffisant pour vivre, les travailleurs de Vancouver ont quitté les camps, déclenchant une grève.  Après deux mois de grève, puisque personne ne répondait à leur revendication, ils se sont mis en route pour Ottawa, en train et à pied, dans le cadre de ce qu’on a appelé la marche sur Ottawa.

Cette grève et cette marche épiques ont marqué le cœur et l’esprit de la population canadienne et donné naissance à l’assurance-chômage en 1940.  Le Canada était le dernier grand pays occidental à instaurer un régime d’assurance-chômage.

Aujourd’hui, nous appelons ce régime l’assurance-emploi (AE).  Des recherches ont indiqué que l’AE a été le stabilisateur économique le plus important au cours des trois récessions les plus récentes.

1945 : La grève chez Ford à Windsor.

En 1945, Ford employait dans son complexe de Windsor 14000 travailleurs de l’automobile, ce qui en faisait le lieu de travail le plus grand du Canada.  Les temps étaient durs.  La production du temps de guerre ralentissait, et de nombreuses entreprises, dont Ford, voulaient neutraliser certains des gains acquis par les syndicats pour les travailleurs depuis la Crise.  Les cotisations syndicales étaient encore facultatives, ce qui veut dire que la section locale 200 des Travailleurs unis de l’automobile devait accomplir la tâche presque impossible de percevoir des cotisations de 14 000 membres chaque mois.  Le syndicat devait obtenir plus de sécurité s’il voulait survivre et protéger les acquis qu’il avait gagnés pour ses membres.

Ford a annoncé la mise à pied de 1 500 travailleurs.  Les négociations ont achoppé sur la revendication par le syndicat de l’adhésion obligatoire au syndicat et de la retenue automatique des cotisations sur le salaire et de leur transfert au syndicat, ce à quoi Ford avait consenti dans une autre usine.  Les travailleurs réclamaient en outre deux semaines de congés annuels payés.

C’est alors que Paul Martin le père, ministre fédéral, est intervenu en personne pour tenter de relancer les négociations. Une entente de principe, fondée sur la proposition de soumettre toutes les questions de sécurité syndicale à l’arbitrage obligatoire qui avait été présentée par le syndicat avant le début de la grève, a été rejetée par les membres désormais militants de la section locale.  Les travailleurs n’ont consenti à rentrer au travail qu’une fois que M. Martin a assuré au syndicat qu’il nommerait un arbitre « sympathique ».  Cela a permis de conclure une entente.

Le 9 décembre, après 99 jours de piquetage, les travailleurs ont voté en faveur du retour au travail.

La décision Rand – tous ceux qui bénéficient des avantages des syndicats devraient payer des cotisations.

Six semaines après le retour au travail des grévistes de Ford, l’arbitre Ivan Rand, juge de la Cour suprême, a rendu sa sentence qui rejetait l’adhésion syndicale obligatoire mais approuvait le précompte automatique des cotisations.

Sa décision était fondée sur le principe selon lequel toutes les personnes qui travaillent dans un même lieu devraient cotiser au syndicat puisqu’elles bénéficient des avantages de celui-ci.

Le juge Rand croyait que le précompte des cotisations favoriserait la paix sociale et l’instauration de relations de travail harmonieuses au Canada.

Par suite de la sentence Rand et de décisions subséquentes des tribunaux, le précompte des cotisations peut être assujetti à la convention collective à la demande du syndicat dans la plupart des provinces selon ce qu’on en est venu à appeler « la formule Rand ».

1965 : Les fonctionnaires obtiennent le droit de négocier collectivement.

Grâce aux syndicats, le personnel du secteur public du Canada a une rémunération, des avantages sociaux et des pensions acceptables.  Cependant, il a fallu qu’il lutte pour les obtenir.

En 1965, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes revendiquait le droit de négocier collectivement, le droit de grève, des taux de rémunération plus élevés et une meilleure gestion.  Il a contesté les politiques gouvernementales et déclenché une grève illégale dans l’ensemble du pays.

Cette grève est passée à l’histoire comme ayant été une des grèves sauvages les plus importantes qui aient eu lieu au Canada.  Elle a duré deux semaines et s’est soldée par l’attribution de droits de négociation collective à tous les membres du personnel de la fonction publique, bien que certains travailleurs, comme par exemple les membres de la GRC et des Forces canadiennes, aient été exclus.

Le droit à la sécurité au travail

Le 17 mars 1960, cinq travailleurs immigrants italiens – Pasquale Allegrezza, Giovanni Battista Carriglio, Giovanni Fusillo et Alessandro et Guido Mantella – sont descendus 35 pieds sous terre afin de poursuivre leurs travaux dans un tunnel à Hogg’s Hollow, sous la rivière Don, près du chemin Old York Mills et de la rue Yonge à Toronto.

Le tunnel avait un diamètre d’à peine six pieds et les hommes devaient ramper sous une conduite d’eau principale d’un diamètre de 36 pouces parcourant le centre du tunnel pour se croiser.  Ils n’avaient pas reçu de casques protecteurs ni de torche électrique.

Quand l’incendie s’est déclaré, ils étaient emprisonnés, incapables de voir par où ils pouvaient sortir et avaient de toute façon la voie barrée par des câbles fumants d’un côté et un mur de soutènement en ciment de l’autre.  Pris de panique, les secouristes ont fermé l’arrivée d’air du tunnel, causant un effondrement.  En l’absence de compression, les travailleurs ont subi le calvaire causé par le déplacement de bulles d’azote dans le sang.  Puisque le fond du tunnel n’avait pas été dûment scellé avec du ciment, quand on a fini par injecter de l’eau dans le tunnel pour éteindre le feu, un torrent de boue a enseveli les hommes vivants.  Ils sont morts d’asphyxie par l’oxyde de carbone et de suffocation par inhalation de fumée, de sable et d’eau.

La tragédie a été un catalyseur de réforme en matière de santé et de sécurité au travail.  Les syndicats ont dirigé la lutte destinée à voir à ce que le gouvernement de l’Ontario prenne au sérieux la santé et la sécurité au travail qui a donné lieu à l’adoption de la loi sur la sécurité industrielle.

Cette loi a constitué la base du Code canadien du travail (sécurité) adopté plus tard au cours de la même décennie.  Celui-ci englobait des lois et des règlements protégeant la sécurité des travailleurs et travailleuses au Canada.

Les prestations parentales et de maternité

Au début des années 1960, à peine plus de 30 % des femmes de 20 à 30 ans participaient à la population active au Canada. À la fin des années 1970, la proportion avait doublé, dépassant légèrement 60 %. Plus de 70 % des jeunes femmes avaient un emploi rémunéré en 2012 et 70 % des mères d’enfants de moins de cinq ans en ont un actuellement.

Le mouvement syndical a fait des efforts pour rendre les congés de maternité plus accessibles non seulement en incitant à la modification de la législation mais aussi en négociant de meilleurs congés de maternité payés pour ses membres. Et il ne s’est pas arrêté là. Dès 1979, le Front commun du Québec, qui comprenait les travailleurs et travailleuses du secteur public, de l’éducation et de la santé, a négocié un congé de maternité entièrement payé de 20 semaines, 10 semaines de congé d’adoption et cinq journées de congé de paternité. En 1981, après une grève de 42 jours, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes a obtenu un congé de maternité payé de 17 semaines pour les travailleuses des postes de l’ensemble du Canada. Le concept des congés de maternité payés plus longs que ceux que permettaient les prestations d’assurance-chômage n’a pas tardé à se répandre dans tout le pays.

Histoire du syndicalisme au Québec

XXIe siècle :

Les premiers syndicats qui apparaissent au début du XIXe siècle parmi certains groupes d’ouvriers de métier sont faibles, sans lien entre eux et éphémères. Mais à trois reprises, les syndicats montréalais tentent de se regrouper en association plus large : en 1834, pour obtenir la journée maximale de travail de 10 heures; en 1867, pour former la Grande Association; enfin, en 1872, pour obtenir la journée de 9 heures. Toutefois, ces associations ne survivent que quelques mois, et peu de syndicats passent à travers la crise économique de 1873. À l’époque, les travailleurs se manifestent aussi collectivement en faisant grève (on en compte 137, de 1815 à 1880) et en mettant sur pied des sociétés de secours mutuels, qui versent des prestations en cas de maladie ou de décès. Ces premières organisations, syndicales et autres, grandissent rapidement à partir de 1850, et marquent le développement d’une conscience collective chez les travailleurs, désireux de se protéger contre l’insécurité de la vie urbaine et de civiliser le marché capitaliste du travail, qui les traite comme une marchandise.

Syndicats catholiques

La première menace vient des syndicats nationaux, espérant établir un mouvement qui soit véritablement canadien; ils s’étendent à tout le Canada, mais ne réussissent pas à attirer beaucoup de membres. La plus grande menace pour les syndicats internationaux provient de syndicats catholiques mis sur pied, à partir de 1907, par des membres du clergé, qui lui reprochent de pratiquer un syndicalisme de confrontation et de diffuser des idées « socialistes et anticléricales ». Ces syndicats nés dans divers diocèses du Québec forment une centrale syndicale en 1921 (Confédération des travailleurs catholiques du Canada) et commencent alors à transformer leur pratique syndicale pour l’orienter vers la négociation de bonnes conventions collectives de travail. Cependant, même avec l’appui clérical, ils ne réussissent pas à attirer plus du quart des syndiqués au Québec, la majorité restant fidèle aux syndicats internationaux.

En 1931, les syndicats comptent environ 72 000 membres, ce qui représente 10 % des travailleurs salariés, un pourcentage similaire à celui de l’Ontario. Ce sont surtout des cheminots, des ouvriers de la construction et des travailleurs de métier dans l’industrie manufacturière. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le syndicalisme se répand parmi les travailleurs semi-qualifiés et non qualifiés dans les industries de production de masse comme le textile et la métallurgie. Les syndicats catholiques organisent une portion de ces travailleurs, mais ce sont surtout les syndicats internationaux affiliés à la centrale américaine Congress of Industrial Organisations (CIO) qui font les gains les plus importants.

Pendant les années 1950, les centrales syndicales deviennent un foyer d’opposition au conservatisme du gouvernement de Maurice Duplessis, combattant les lois pour restreindre les droits syndicaux et réclamant un plus grand interventionnisme de l’État dans le domaine social. Leur lutte pave la voie à l’avènement de la Révolution tranquille. Au cours des années 1950, les syndicats internationaux représentent 50 % de l’effectif syndical contre 30 % pour les syndicats catholiques, dont la centrale modifie son nom en 1960 pour celui de « Confédération des syndicats nationaux » (CSN).

Nationalisme

Le nationalisme des trois principales centrales évolue depuis la fin des années 1960 vers un appui à l’indépendance politique du Québec. C’est évident après l’échec de l’Accord du lac Meech, en 1989, alors qu’elles deviennent la principale force sociale derrière le « Oui » au référendum de 1995.

Le syndicalisme est beaucoup moins radical au Québec dans les années 1980 et 1990, mais les syndicats continuent à jouer un rôle majeur pour revendiquer de meilleures conditions pour les travailleurs québécois. Un marché libre est perçu comme la meilleure façon d’encourager la croissance économique de la province. Les syndicats doivent s’adapter à cette nouvelle conscience politico-sociale. Par contre, les politiciens profitent de ce temps de changement pour redéfinir les règles régissant les syndicats et les employés, et pour introduire des mesures comme le Conseil des services essentiels. Ce dernier est mandaté de veiller à ce que la santé et la sécurité de la population générale soient garanties en cas de grève légale.

Malgré la prise de position moins radicale des syndicats québécois dans les décennies récentes, ils maintiennent leurs pressions pour obtenir des réformes sociales. Vers la fin des années 1990, les syndicats manifestent contre les coupures budgétaires dans le secteur public, qui visent à réduire le déficit provincial.

Références bibliographies 

  • Salah Sakhri (www.alterinfo.net / 04 mai 2014)
  • www.congresdutravail.ca
  • www.thecanadianencyclopedia.ca

Par Nasser Bensfia pour Maghreb Canada Express,, pages 14-15, Vol. XVII, N°5 , Mai 2019.

Pour lire  l’édition de Mai 2019, cliquer sur l’image:

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