El Fatin AbdelfettahA-t-on besoin de diplomates en ce temps de crise sanitaire mondiale? La réponse est affirmative. Et on a tout à  faire vivre la négociation qu’on voit s’atrophier au fil du temps , comme disait B. Badie. L’intervention du diplomate , en ligne de front, nous mènera à nous arrêter à trois espace-temps (l’avant crise – en cours de crise et le post-crise). Notre lecture portera sur des questions liées à la fermeture et à la réouverture des  frontières et les aides en période de crise  comme expression du terrain où la diplomatie s’exerce. En tout cas et loin de l’idée d’alimenter ou de renouveler l’idée du complot , certains États avaient besoin de la Covid 19 pour se repositionner sur l’échiquier diplomatique au moins au niveau bilatéral.

L’avant-crise et la diplomatie  bilatérale de concertation

L’aspect le plus matériel est bien évidemment la fermeture des frontières; et ceci s’est produit suite à un activisme diplomatique , au delà de la protection des nationaux, en concertation avec les partenaires stratégiques.  Cette fermeture des frontières (ou restrictions de voyage pour les personnes physiques) se voit  comme une attitude bien naturelle à tout Etat soucieux de se protéger; c’est ce qui a été souligné par  le premier ministre canadien Justin Trudeau :  « la plupart des pays dans le monde ont restreint les voyages et les États-Unis ne font pas exception ». Ces deux Etats se sont concertés bien avant le 21 mars, date à laquelle ils ont décidé la fermeture des frontières pour 30 jours. La proximité de quelques États (New York- le Québec et  l’Ontario ) conjuguée aux flux important de mobilité entre ses deux Etats ont amené les deux chefs de l’exécutif  à accorder leurs violons. Une autre illustration de concertation bilatérale est bien le cas du Maroc et de ses partenaires de l’autre côté de la méditerranée à savoir la France et l’Espagne. Le ministre espagnol  de l’intérieur a annoncé que la fermeture des frontières Marocco-espagnole était d’un commun accord défendant une relation permanente et loyale entre les deux Etats. Les exemples ne manquent pas mais traduisent l’aisance avec laquelle la diplomatie bilatérale a dû s’appuyer sur les relations stratégiques entre les Etats pour mener de concert l’entrée en matière de protection anticipée des vies humaines par la fermeture provisoire des frontières.

Le diplomate et la gestion de la crise: Consolidation et reconsidération possible 

Deux tendances  semblent définir des comportements des Etats au cours de cette pandémie: Une  qualifiée de « constructive  et réaliste » et l’autre décrite comme  » arriviste et indifférente ».

    La seconde parait la plus visible et la plus sentie  surtout au niveau européen. Depuis le début de la pandémie et l’évolution des pertes humaines surtout en Italie suivie de l’Espagne , la Commission européenne a semblé tourner le dos aux demandes urgentes manifestées par les Italiens. Faut dire aussi que l’incohérence était de table entre les différents États membres concernant le budget européen  alloué à cette crise sanitaire. Ajoutons à cela le détournement des commandes françaises de masques qui a suscité  l’accusation par de nombreux  responsables politiques français  les États-Unis (Le Canada également). Les précédents ne manquent guère à travers le monde.

L’autre diplomatie à la fois constructive et réaliste peut être illustrée par deux exemples; d’abord celui de l’appel du Roi Mohamed VI aux Etats africains à la coordination des stratégies de lutte conte le coronavirus. L’OMS  avait déjà prévu un avenir effrayant du nombre de personnes pouvant être frappés par la Covid 19. Ce qui faisait de cette initiative une occasion en or pour partager les expériences entre pays africains. L’autre illustration  est l’envoi spectaculaire de la République de Cuba des médecins pour intervenir auprès des autorités italiennes dans la lutte contre la propagation de la pandémie Covid 19. Ils étaient affectés à la région de la Lombardie, la plus touchée par le virus. L’exemple aussi de la diplomatie chinoise est élogieux;  une équipe de neuf membres du personnel médical chinois est arrivée pour aider le pays à faire face à la crise en apportant  du matériel (des fournitures médicales  des masques et des respirateurs ) en provenance de Shanghai . De son côté l’Allemagne , l’un des forts piliers de la construction européenne n’ a pas hésité à répondre à la République française pour qu’elle vienne à bout de la pandémie; Depuis fin mars, l’Allemagne vient au secours  des hôpitaux français  alsaciens et mosellans, allant même à une prise en charge les  coûts  des soins des patients .

Quant aux  présidents diplomates – Poutine et Erdogan – , ils  n’ont pas manqué  à s’exposer et se présenter sur une scène internationale où quelques uns se sont remplis sur eux mêmes. L’aide russe   , par une opération qualifiée de « démonstrative » par les médias,  consistait  en la présence sur le sol italien des médecins militaires russes. De son côté, La présidence Turque  a envoyé des équipements médicaux aux Etats Unis en exprimant   son espoir , une lettre officielle de solidarité au président Trump accolée, que l’appareil législatif américain ( Le Congrès) et le 5ème pouvoir ( les médias) comprendront les relations stratégiques liant son pays et les États-Unis.

Le diplomate et le post-crise; Une carte diplomatique entre les mains  des diplomates

C’est certainement le moment le plus sensible et  représentatif pour décrire les relations bilatérales entre les Etats. La réouverture des frontières avec quelques Etats et non d’autres , indépendamment de l’évolution de la situation sanitaire , verra l’esquisse de nouvelles alliances bilatérales dans le sens de  consolidation ou de – au moins-  une reconsidération et une réévaluation  . Le diplomate est amené plus que jamais à faire plus d’effort d’argumentation et de rhétorique pour pouvoir , avec pragmatisme et rationalité, tenir les ficelles et d’essayer de trouver le juste milieu entre les intérêts de l’ Etat dont il relève et les engagements internationaux tenus au niveau multilatéral.

A-t-on besoin de diplomates? la réponse est « oui » mais ce sont eux dans l’action multidimensionnel ( politique, économique et culturelle) qui dessineront une nouvelle carte d’alliance bilatérale de consolidation ou de reconsidération  de l’après Covid 19. C’est la question à laquelle ils doivent répondre avec intelligence indépendamment des objectifs communiqués (déclarés) ou de possession ( cachés) ! Il leur revient de créer les conditions d’émergence de nouvelles alliances, et des possibilités futures d’action. L »heure est grave,  et que  Balzac me pardonne ici  de décontextualiser son énoncé , elle  est d’une adresse à désespérer un diplomate!

Par Dr Abdelfettah El Fatin pour Maghreb Canada Express, (Édition électronique) Vol. XVIII, N°06 , page 5, JUIN 2020.

Avis : Eu égard à la conjoncture spéciale relative à la COVID-19, Maghreb Canada Express sursoit temporairement à l’Édition Papier du journal.

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