Par Nasser Bensefia
« Le raciste est celui qui pense que tout ce qui est trop différent de lui le menace dans sa tranquillité. » Tahar Ben Jelloun.
La triste histoire du décès tragique de l’afro-américain George Floyd, mort asphyxié sous le genou d’un policier «blanc», lors d’une banale arrestation, a fait retentir tel un écho, les pratiques du racisme et de la discrimination systémique que vivent les minorités ethniques aux États-Unis et partout dans le monde, et ce, malgré le syndrome de l’autruche qui a touché en plein fouet les sociétés dites ouvertes, multi-ethniques et démocratiques.
Le racisme et la ségrégation raciale sont-ils nés depuis quelques siècles, ou sont-ils ancrés dans nos sociétés depuis l’aube des temps, quelles sont les différentes formes du racisme?
Pour répondre à ces questionnements, un travail de recherche historique était nécessaire et apodictique.
Le racisme peut se traduire ostensiblement par le biais de blagues racistes, de propagation d’idéologies racistes, d’insultes, d’actes violents motivés par la haine, etc.
On peut aussi le dépister plus intensément enraciner dans des attitudes, des valeurs et des croyances stéréotypées.
Le racisme peut être présent à tous les niveaux de la société – chez les individus, au sein d’un groupe, voire d’une société entière, et dans tous les domaines de la vie sociale – dans la rue, dans le quartier, dans les transports publics, à l’école, dans la famille, etc.
Le racisme, parce qu’il énonce une relation de pouvoir et de prépotence d’une personne sur une autre, d’un groupe sur un autre, est une forme de violence qui peut prendre différents faciès :
- Violence verbale;
- Violence physique;
- Harcèlement moral, sexuel…
- Profanation de biens symboliques (exemple: drapeaux, cimetière);
- Comportements d’évitement ou d’isolation de la personne;
- Traitement inégal ou refus de prestations auxquelles la personne a droit.
Il peut arriver que la personne auteur d’un acte raciste n’ait pas conscience de la portée de son comportement et il est toujours important de réagir lorsque l’on en est témoin ou victime.
En fait, d’autres termes se camouflent derrière celui du « racisme », Lorsqu’on évoque celui de « races », s’agissant de l’humanité, on entend aussi souvent, comme un grincement importun: racisme, esclavagisme, colonialisme, ségrégation, génocide, etc. Autant de comportements humains outranciers qui trouvent leurs apologies dans la catégorisation scientifique des races humaines.
L’acquiescement de conduites, souvent ethnocentriques, ont caractérisé plusieurs peuples qui ont eu à protéger, de tout temps, leurs propres groupes et leurs pratiques.
Le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) définit l’ethnocentrisme comme suit : Comportement social et attitude inconsciemment motivée qui conduisent à privilégier et à surestimer le groupe racial, géographique ou national auquel on appartient, aboutissant parfois à des préjugés en ce qui concerne les autres peuples.
L’apparition du terme « racisme » est survenue à la fin du XIXème siècle, les allégories et les praxies auxquelles il renvoie sont antiques et ne sont pas l’exclusif des sociétés occidentales. Les Grecs, ensuite, les Romains considéraient que les barbares étaient certes des êtres humains mais perçus comme singulièrement inférieurs. Mais d’autres sociétés autour de la Méditerranée ou des sociétés asiatiques ont aussi connu des formes de rejet qui s’apparentent au racisme. Son développement dans la modernité coïncide avec l’émergence d’une nouvelle idéologie individualiste, pour reprendre les analyses de L. Dumont (1966) : « L’hypothèse la plus simple consiste à supposer que le racisme répond, sous une forme nouvelle, à une fonction ancienne. Tout se passe comme s’il représentait, dans les sociétés égalitaires, une résurgence de ce qui s’exprimait différemment, plus directement, dans la société hiérarchique. Rendez la distinction illégitime, et vous aurez la distinction, supprimez les modèles anciens de distinction, et vous avez l’idéologie raciste » (p. 320).
Quelquefois, le racisme s’affiche comme une doctrine, une thèse explicative des disparités entre les hommes et propose alors une hiérarchie entre les groupes humains. Le racisme idéologique s’est développé à partir du XIXe siècle, avec des auteurs comme Vacher de Lapouge, qui ont voulu donner une base biologique au racisme, mais il est devenu un véritable système politique avec l’apartheid en Afrique du Sud et le nazisme du Reich allemand.
L’esclavage était très répandu durant l’antiquité, d’après le site VIKIDIA : l’esclavagisme était un des points importants de la société de l’époque. Cependant l’esclavage n’était pas dirigé envers un peuple en particulier et il ne visait pas les Africains noirs en particulier.
Durant l’Antiquité, il n’y aucune preuve de négrophobie dans la littérature latine, l’œuvre de Benjamin Isaac, écrite en 2006, intitulée « L’invention du racisme dans l’antiquité » (titre traduit de l’anglais), démontre qu’il n’y a aucune preuve de racisme dans la littérature latine à l’antiquité et que les Grecs comme les Romains étaient nationalistes et fiers de leurs civilisations.
À cette époque, l’esclavage était déjà couramment pratiqué (mais il y avait aussi des serviteurs) : par exemple dans le monde arabe, à l’encontre des populations européennes et africaines, ou chez les Romains dès le IIe siècle avant Jésus-Christ. Ces derniers installèrent un marché aux esclaves dès -166 dans le port de Délos. Et souvent, les personnes réduites en esclavage ou maintenues dans la condition d’esclave, provenaient d’autres peuples conquis, ce qui se manifestait généralement par une couleur de peau ou de langue différente de celle des maîtres.
Par contre, concernant l’Égypte des pharaons, les théories varient : selon certains, l’esclavage y aurait été pratiqué, notamment pour permettre la construction des pyramides ; selon d’autres, les découvertes archéologiques ne le démontreraient pas et cette idée aurait simplement été véhiculée par les textes bibliques (Ancien Testament).
Le racisme peut être institutionnel, culturel et même scientifique.
Racisme institutionnel
Le principe du racisme institutionnel vise à déployer l’étendue de l’analyse du racisme et à en modifier le centre de gravité : des individus ou des situations interactionnelles vers des processus institutionnalisés et structurels de production d’inégalités et de racisation, c’est à dire; d’imputation et de traitement de groupes comme « races ». Ce concept s’avère approprié avec la conjugaison des démarcations ethniques.
Valérie Sala Pala, dans ses travaux sur le logement social en France, « Le racisme institutionnel dans la politique du logement social », Sciences de la Société, n° 65, mai 2005, pp. 87-102, définit d’ailleurs la notion de racisme institutionnel comme « production institutionnelle de frontières ethniques ». Elle nuance ultérieurement cet usage, en parlant « de racisme institutionnel lorsque, en dehors de toute intention manifeste et directe de nuire à certains groupes ethniques, les institutions ou les acteurs au sein de celles-ci développent des pratiques dont l’effet est d’exclure ou d’inférioriser de tels groupes »
Le racisme systémique, parce qu’il est plus tartufe, peut-être plus âpre à discerner.
La Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) le définit « comme la somme d’effets d’exclusion disproportionnés qui résultent de l’effet conjugué d’attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l’interdiction de la discrimination. » (p. 6).
Cette forme de racisme, nonobstant son aspect parfois sournois, a pour fin d’entretenir les disparités vécues par les personnes discriminées, particulièrement en matière d’accès aux services citoyens.
Racisme culturel
L’Anglais M. Barker amorçait les premières analyses du racisme culturel, et ce, dès la fin des années 60 du siècle passé. L’idée principale de ce mouvement consent que les dissimilitudes entre les humains ne se basent pas sur un quelconque désavantage biologique, mais sur la différence culturelle. Ce racisme affirme la menace que dépeint la différence des groupes authentifiés par rapport au groupe dominant et qui altère l’homogénéité nationale du pays.
Selon P.-A. Taguieff (1988) : ‘’on assiste en France et par la suite en Grande Bretagne, à l’émergence de ce racisme qu’il appelle différentialiste. Celui-ci s’incarne dans ce schéma à la fin des années 1970 en France dans la Nouvelle droite et dans des groupes de réflexion tels que le GRECE, né en 1968, ou le Club de l’horloge fondé en 1974.’’.
Racisme scientifique
Selon Ahmed Lemligui, sociologue chargé de mission au Pôle ressources et (…) expertises en travail social à l’IRTS de Bretagne, dans son article : Histoire d’un racisme au long cours, Quelques pistes pour un travailleur social, paru dans la revue LE SOCIOGRAPHE, 2011/1 (n° 34), ‘’Tout un mouvement européen tentera de corréler des phénomènes sociaux et historiques avec d’autres biologiques. D’autres représentants mettront en relief d’une manière ouverte, les hiérarchies entre les races et la dégénérescence que représenteraient les mélanges entre elles tels que le Suédois K. Von Linné ou le Français G. Vacher de LaPouge. Le Français A. de Gobineau crée le mythe des aryens. Autant d’auteurs qui sont venu contester le projet développé à partir de la Renaissance et tout au long des XVIIème et XVIIIème siècles d’égalité entre les hommes. Un foyer de contestation qui, selon Z. Sternelhell (2006), représente un prélude à l’émergence du fascisme et du nazisme. Mais malgré la défaite du nazisme et tous les contre arguments que de nombreux scientifiques ont apporté, les idées prônées par le racisme scientifique ont persisté. Face aux preuves irréfutables apportées par les généticiens qui contestent l’existence des races humaines, une diversification des formes de racismes apparaît, moins ouverte, moins explicite. Des formes qui renvoient le racisme à des intentions qui ne sont pas conscientes, non avouées, comme nous l’observons dans le racisme institutionnel.’’
Présentement, dans les démocraties occidentales, seuls des mouvements extrémistes encensent des dogmes racistes, mais il est plus fréquent de croiser le racisme au quotidien, dans le logement, le travail, les loisirs, particulièrement sous forme d’injures, d’agressions et de refus de services. Racisme rime souvent aussi avec immigration.
Conséquemment, les programmes d’éducation contre le racisme sont primordiaux, dès l’école, et que des actions de prévention sont soutenues par des associations, des syndicats et par l’ensemble des institutions. Tous les ans, de nombreux pays organisent la Semaine contre le racisme, qui permet d’organiser des manifestations et des actions de solidarité contre le racisme, notamment dans les écoles.
« Il a été décidé qu’on reparlerait, dès les petites classes, d’éducation civique, d’honnêteté, de courage, de refus du racisme et d’amour de la République. Il est dommage que l’école ne soit fréquentée que par les enfants… » André Frossard.
Par Nasser Bensefia (Montréal, Canada) pour Maghreb Canada Express, (Édition électronique) Vol. XVIII, N°07 , pages 05-06, JUILLET 2020.