La politique culturelle et cultuelle que l’Etat marocain destine aux Marocains établis à l’étranger est déterminée par deux préoccupations majeures : renforcement des liens culturels et affectifs des jeunes générations de la diaspora marocaine avec la mère-patrie et leur préservation des dérives sectaires et influences étrangères, tels le wahhabisme et le chiisme. La question est : ladite politique répond-elle véritablement aujourd’hui aux attentes et aspirations de ces mêmes générations ? Est-elle à même de permettre à l’État marocain d’atteindre les objectifs stratégiques qu’il s’était fixés en la matière ?
PRIMO – A l’observation, la politique culturelle et cultuelle en question semble relever globalement du même substrat théologico-politique et la stratégie d’ensemble, que la politique destinée aux marocains de l’intérieur : une pratique de la religion qui fait du malikisme, de l’acharisme et du soufisme d’al-Jùnayd, les trois éléments de base de son socle et de son modèle religieux. Cette pratique, placée sous la bannière spécifique au Maroc de « imârat al-mu‘min?n », s’est affinée et instituée à travers les décennies grâce aux réformes successives qu’a connues le champ religieux intérieur. Le déploiement vers l’Afrique d’une « diplomatie culturelle » éclairée et inclusive donne à « imârat al-mu‘min?n » une dimension particulière.
Mais ce qui fait la différence entre les deux situations (intérieure et extérieure) réside dans la spécificité des aires géographiques et culturelles étrangères dans lesquelles est déployée cette politique cultuelle et culturelle nationale. La diaspora marocaine ne constitue certes pas un bloc ethnique, linguistique et culturel homogène. Néanmoins ses membres se rencontrent, dans leur grande majorité, au même point de convergence sur le plan religieux, celui d’un Islam modéré et du juste milieu. Ce facteur a toute son importance.
Il constitue indéniablement un atout pour la consolidation de l’identité culturelle et la cohésion sociale de la diaspora marocaine et contribue à son intégration dans des pays arabo-musulmans ou africains de culture musulmane. Le fait que ces pays pratiquent des madahibs (écoles juridiques) autre que malikite (Hanbalite, chafiite, hanafite) n’a aucune incidence directe notable sur la vie spirituelle et sociale de ses membres.
Les vraies difficultés auxquelles se trouve confrontée la diaspora marocaine en Europe, au même titre que les autres communautés musulmanes, ont pour causes une perception et un sentiment d’hostilité et de rejet à l’égard de l’Islam et des étrangers en général, de la part des sociétés occidentales.
Ces sociétés sont aujourd’hui travaillées par des mouvements populistes et extrémistes mais aussi indisposées par des pratiques et des comportements socio-culturels qui se manifestent dans les espaces publics avec une certaine « agressivité » et une touche communautariste surtout lorsqu’ils deviennent l’expression d’une posture idéologique et politique. L’impression (invasion, remplacement) et les craintes (terrorisme) que ce genre d’attitude engendre au sein des sociétés d’accueil sont poussées à leur paroxysme par les attaques perpétrées en Europe par un terrorisme aveugle et criminel semant la mort et la destruction au nom de l’Islam.
Le Maroc s’est résolument attaché, depuis des décennies, à rendre plus aisées les conditions d’exercice de la liberté du culte et plus apaisée la vie spirituelle des membres de sa diaspora. Il a mis en œuvre des dispositifs diversifiés destinés à assurer la promotion de son modèle religieux, qui prône le dialogue et la tolérance et appelle à l’apaisement et à la concordance, et en même temps, à préserver sa communauté des influences néfastes dans le cadre d’une stratégie placée sous le concept d’al-amn a-rohi, dans le sens de sécurité spirituelle.
Des volets budgétaires conséquents accompagnent cette politique culturelle portée par différentes institutions nationales chargées de l’accompagner et de la traduire sur le terrain. L’envoi chaque année à l’étranger de plusieurs centaines d’imams pendant le mois de Ramadan, la formation de jeunes imâms, de prédicateurs et de conférenciers à Rabat (plus de 600), la mise à disposition d’enseignants au service de l’Enseignement de la langues et culture d’origine (ELCO) sont quelques-uns des volets marquants de cette action culturelle.
Deux institutions en particulier, le Ministère des Habous et la Fondation Hassan II veillent à la bonne mise en œuvre de ces dispositifs. Mais, il est vrai aussi que le CCME mène des actions (Salon du livre, publications, etc.) qui s’inscrivent dans la même perspective de promotion de la culture nationale. Le Ministère chargé des MRE consacre pour sa part différents dispositifs pour soutenir la vie culturelle des MRE.
Des universités d’été sont organisées depuis 2009 et des colonies de vacances sont proposées aux jeunes marocains chaque année. Ces moments de rencontres et d’échanges leur offrent l’opportunité de se familiariser et d’être plongés (durant environ deux semaines) « dans le bain » linguistique et culturel national. Le programme Dar Al Maghrib, centré sur la construction de centres culturels complète utilement ce dispositif. Le premier de ces centres, inauguré en juin 2012 à Montréal, propose des cours, des ateliers et différents types d’activités artistiques. Celui d’Amsterdam, dont la réalisation est lancée au mois de mai 2014, se donne pour ambition d’être une « une véritable vitrine du Maroc, dans tous ses aspects, authentique et moderne (déclaration à la MAP). Mais quelles que soient les critiques dont font l’objet ces Centres, ils ont le mérite d’exister.
SECUNDO – Au regard de ces efforts et cette intention soutenue que le Maroc accorde à la question culturelle et cultuelle de ses ressortissants installés à l’étranger, n’est-il pas opportun de faire sans tarder une évaluation rationnelle et sérieuse des résultats de sa politique ? N’est-il pas temps de mettre en œuvre des stratégies actualisées et se doter des moyens nécessaires en vue de renforcer ou d’adapter les différents dispositifs actuellement en vigueur pour une meilleure efficacité ?
Le Maroc apporte un soutien conséquent aux initiatives et activités cultuelles et d’enseignement des associations gestionnaires des mosquées et autres lieux de culte. Il est vrai que, sur le plan stratégique et politique, il a su et pu avoir, grâce à la création d’Unions, de Confédérations ou de Fédérations, s’imposer (depuis les premières élections du CFCM en 2003) comme la première force religieuse en France et dans différents pays de l’Union Européenne. Actuellement c’est un marocain qui préside le Conseil Français du Culte Musulman suite à une victoire importante lors des élections de 2019. Il reste que la compétition que livrent certains Etats (Algérie, Turquie) au Maroc est rude. L’activisme du chiisme (Iran), du wahhabisme (Arabie Saoudite) et de l’offensive de certains émirats du Golfe, nécessitent une vigilance de tous les instants.
Par conséquent, il est plus que jamais nécessaire, pour contrecarrer ces menaces de la radicalisation religieuse ou le risque de délitement et de marginalisation de la culture d’origine, de conduire une réflexion plus profonde et de proposer des mesures plus conformes aux exigences des sociétés d’accueil comme au profil sociologique de la diaspora marocaine en constante mutation. En somme, pour permettre à la politique culturelle déployée par le Maroc à l’étranger d’atteindre ses objectifs culturels et stratégiques, il est nécessaire :
- De mettre en place dans les principales capitales européennes ou dans les plus importantes villes, des centres culturels marocains dont la gestion doit être confiée à des personnes qualifiées capables de les doter de programmes à la hauteur des défis du moment. L’ouverture du Centre Culturel Marocain de Paris (Bd Saint Michel), tant espérée, se fait toujours désirée;
- Compte tenu du fait que l’aide dévolue aux mosquées est conséquente, il est normal que leur gestion et administration soient confiées à des cadres compétents au-dessus de tout soupçon ;
- Initier des programmes et des séminaires de formation au profit des dirigeants d’associations afin de leur permettre de remplir naturellement et efficacement leur rôle de relais et d’être de véritables acteurs culturels ;
- Mettre en place un contrôle et un suivi réguliers des fonds ministériels accordés aux différentes mosquées et associations ;
- Éviter l’envoi du Maroc de personnel peu qualifié et moins sensibilisé à la culture du pays d’accueil et des attentes des MRE en matière culturelle ;
- Encourager les artistes, les écrivains et les sportifs MRE en leur donnant les opportunités et les moyens nécessaires pour faire connaitre leurs travaux et œuvres artistiques.
Le code de la nationalité a certainement réalisé une avancée notable au profit des enfants de la diaspora marocaine, en leur permettant, depuis 2007, de prétendre à la nationalité. Avoir la possibilité de jouir de la double nationalité est aussi un atout important. Seulement, cette double qualité pose (cas des Pays-Bas notamment) d’une manière persistante et même conflictuelle la question de la double appartenance et allégeance. Comment donc dépasser ce problème qui risque de se généraliser et de prendre d’autres dimensions ? L’État marocain a mis également en place différents dispositifs qui visent à stimuler le volume des transferts en devises et favoriser l’investissement des marocains de l’étranger. Mais là aussi de réelles difficultés et contrariétés (spoliation des biens, lenteur etc.) interviennent comme frein à leur volonté et désir d’entreprendre au Maroc. S’ajoute à cela, comme motif de répulsion, la question de l’exercice de la citoyenneté et le bénéfice des dispositions de la Constitution de 2011 relatives aux droits politiques toujours en suspens.
En tout état de cause, toutes les avancées accomplies dans le domaines économique et politique, en dépit de leur importance, ne peuvent remplacer ou dispenser de la valorisation du sentiment d’appartenance à la culture nationale et l’attachement à l’identité marocaine dans ce qu’elle a de divers et de spécifique (Voir Préambule de la Constitution de 2011). Il faut donc que les pouvoirs publics, mais aussi la Commission pour le nouveau modèle de développement, intègrent dans leur réflexion politiques et stratégique, l’idée que c’est par la culture que le sentiment d’appartenance à une identité spécifique, à des valeurs, à une histoire et à une nation, peut se renforcer et s’inscrire dans la durée.
Par Mohammed Mraizika (1), pour Maghreb Canada Express, Vol. XVIII, N°09 , pages 12-13, Septembre 2020.
(1) Mohammed MRAIZIKA est Docteur en Histoire (EHESS-Paris), Diplômé de Philosophie Morale et Politique (Sorbonne IV), Consultant en Ingénierie Culturelle, écrivain et conférencier.