moha ennajiPar  Pr Moha Ennaji (*) , pour Maghreb Canada Express, Vol. XVIII, N°11 , page 10, Novembre 2020

La pandémie a révélé les failles dans la capacité des universités marocaines à dispenser un enseignement à distance de manière équitable, inclusive et innovante. L’apprentissage et la persévérance des étudiants dans l’environnement en ligne ne peuvent être améliorés que si les enseignants sont mieux préparés à dispenser de manière créative un enseignement engageant et pertinent pour le marché du travail d’aujourd’hui.

Le partenariat universitaire maroco-canadien vise à faire profiter les universités marocaines de l’expérience canadienne pour le renfoncement des compétences institutionnelles et la gestion organisationnelle des établissements, la mise en place des programmes sur la base d’initiatives pédagogiques innovantes, et l’établissement d’une collaboration durable entre les universités et le secteur privé, pour une meilleure intégration des jeunes dans le marché du travail.

Pour servir les étudiants pendant la pandémie et au-delà, les universités doivent non seulement innover et adapter leurs approches de l’apprentissage, mais aussi leurs approches de l’enseignement. Personnellement, je prévois que l’avenir de l’enseignement supérieur sera plus «coaching» que «enseignement». Ainsi, il est nécessaire de développer un programme qui prend en compte les différences d’intérêts et de capacités parmi les étudiants et cherche à maximiser le potentiel des étudiants.

En ce qui concerne les solutions à long terme, l’expansion de la technologie de l’intelligence artificielle, des compétences générales et de l’éducation en ligne signifie que les universités doivent repenser leurs programmes d’études et leurs pratiques d’apprentissage – et également mieux préparer les enseignants à les dispenser.

Pour répondre aux besoins de leurs étudiants actuels et futurs, les universités doivent veiller à ce que les enseignants soient préparés pour cette prochaine approche d’apprentissage. Ils doivent évoluer à un rythme comparable à celui des demandes du marché du travail afin de garantir que les étudiants soient équipés académiquement et technologiquement pour répondre aux opportunités présentes et futures sur le marché du travail.

L’enseignement à distance dans les écoles a eu des conséquences mitigées, de nombreux jeunes étant désengagés d’apprendre ou incapables de profiter de l’offre en ligne. Les preuves en faveur de l’enseignement supérieur sont moins claires, mais on craint de plus en plus que des modèles similaires puissent être trouvés et on craint que la crise ait exacerbé les niveaux d’inégalité qui existaient déjà.

Cela peut être dû à la fragilité d’une grande partie de notre infrastructure sociale et à la longue période de domination politique néolibérale. Au cours de cette période, l’enseignement supérieur s’est développé, mais dans la poursuite d’un objectif de capital humain fondé sur les compétences, et il y a eu un rétrécissement de l’objectif qui impliquait que l’enseignement supérieur consistait principalement à acquérir des compétences et des diplômes liés à la carrière. La forme d’engagement prédominante de l’université entrepreneuriale concerne les intérêts commerciaux et industriels, plutôt qu’un programme social progressiste. L’un des résultats de la crise sanitaire pourrait être un doublement de ce programme économique restreint, justifié par la nécessité de reconstruire l’économie.

Nous pourrions voir une évolution vers un enseignement supérieur démocratique axé sur les priorités d’équité, d’inclusion et de durabilité. La crise sanitaire nous a rappelé l’importance de la solidarité sociale, et la nécessité d’institutions sociales et civiques résilientes et d’un enseignement supérieur démocratique pouvant fournir une piste pour un engagement renouvelé en faveur des valeurs et des pratiques démocratiques dans la société dans son ensemble.

Nous avons besoin de médecins en ce moment. Nous avons besoin de chercheurs scientifiques. Mais nous avons également besoin d’enseignants, d’avocats, d’écrivains, de philosophes, de linguistes, d’historiens, de sociologues, d’avocats, de politologues. Ce seront eux qui traceront les défis sociaux, culturels et politiques de cette pandémie. En termes de restauration de la confiance dans le système universitaire, ils sont au-delà de l’essentiel.

Le pourcentage d’étudiants diplômés en sciences humaines pourrait diminuer au cours de la prochaine décennie, d’autant plus que la pandémie incite davantage les gouvernements à rediriger l’argent des sciences humaines vers les sciences exactes, car c’est là que se trouvent les subventions importantes pour la recherche biomédicale.

La pandémie a exacerbé les inégalités existantes et mis en évidence la faiblesse des capacités de nos principales institutions sociales et civiques. L’université doit être perçue en tant que force de changement social positif. Pour que ces espoirs se réalisent, il faudra un engagement en faveur d’un enseignement supérieur démocratique, basé sur un partenariat avec les communautés de toute la société, et un programme d’enseignement et de recherche qui vise à aborder et surmonter les grands défis sociaux que sont la pauvreté, les inégalités et l’injustice.

Pratiquement, l’élargissement de l’accès à l’enseignement supérieur est l’un des meilleurs moyens d’atténuer les inégalités parce qu’il peut contribuer à rendre la société plus juste et plus productive. L’université est également essentielle dans un monde où la technologie et la mondialisation nécessitent une plus grande adaptabilité et éventuellement une reconversion pour répondre à la demande changeante du marché du travail. La crise sanitaire est susceptible d’entraîner de nouveaux changements rapides et profonds dans nos économies. Mais nous ne devons pas voir ces changements avec effroi si la pandémie propulse également une transition vers un enseignement supérieur meilleur et plus universel.

Pour que ce type d’enseignement soit possible, la culture des établissements universitaires doit être modifiée de manière innovante. Les universités devraient être fondées sur un leadership et une organisation solides, avec plus de programmes sur la science et la technologie. Je cite l’exemple de Google, Zoom et d’autres dispositifs technologiques comme exemples d’ingénierie culturelle réussie.

(*) L’Auteur (Moha Ennaji) est président du Centre Sud-Nord pour le dialogue interculturel et les études sur les migrations au Maroc. Parmi ses livres les plus récents : Migrants musulmans marocains en Europe et Managing Cultural Diversity in the Mediterranean.

By AEF