Le Maroc a suscité, et continue, l’intérêt des chercheurs russes qu’ils soient de l’époque soviétique ou après, la preuve en est la quantité de titres publiés chaque année sur ce pays en Russie. En 2003, N. Podgornova, chercheur à l’Institut d’Afrique de Moscou, a publié une bibliographie annotée sur le Maroc qui recense pas moins de 2750 titres, outil de travail précieux entre les mains du lecteur russe.
Cette pléthore de titres ne concerne cependant pas les relations entre les Empires marocain et russe, période encore insuffisamment étudiée aussi bien par les chercheurs russes que marocains ou étrangers. Mais les russes restent quand même les précurseurs en ce domaine à l’image de B. Dantzig qui a publié, en 1959, un premier et intéressant article sur les relations russo-marocaines à la fin du 18e siècle. Les travaux d’autres spécialistes du Maroc (N. Loutskaia et autres) effleurent partiellement la période du 19e siècle, ainsi que quelques thèses universitaires en Russie dont une assez originale soutenue en 2014 (N. Soukhov) sur les relations humaines entre le Maroc et la Russie. Mais il y a avant tout T. Moussatova auteure de plusieurs travaux dans les années 1980 couronnés en 1990 par l’imposant » Russie – Maroc : un passé lointain, mais tout proche » LE livre-référence en la matière qui puise largement sa matière dans les riches archives du Ministère russe des affaires étrangères. Dans ce domaine N. Podgornova est également à l’origine de l’édition, en 1999, d’un corpus de documents diplomatiques (1777-1916) provenant principalement des archives de la politique extérieure de l’Empire russe, source d’inestimables informations sur le sujet.
Peu d’écrits occidentaux traitent de ce sujet. On trouve certes quelques références éparses dans certains ouvrages d’histoire sur la politique extérieure du Maroc, mais aucun, à notre connaissance, n’est consacré exclusivement au thème des relations avec la Russie. D’une manière générale, c’est dans la citation de quelques faits épisodiques, à la limite de l’anecdote, que se confine la littérature de recherche occidentale, sinon on passe souvent sous silence l’existence même de ces liens dans des chroniques détaillées des relations extérieures du Maroc aux 18e et 19e siècles.
Côté marocain, si l’intérêt pour le sujet est grand chez une certaine intelligentsia et une communauté russophone au Maroc se comptant par dizaines de milliers, qui préfère plutôt lire les publications russes, il n’est pourtant traité que par une minorité de chercheurs. L’académicien Abdelhadi Tazi a commencé à s’intéresser au sujet depuis les années 1960 dans plusieurs articles sans toutefois lui consacrer entièrement un travail approfondi. En 2011, la Faculté des lettres de Rabat publie une synthèse en arabe des travaux de Moussatova et Podgornova. En 2014, le Haut commissariat aux anciens résistants publie également un recueil d’articles et de traductions. Et c’est tout. Excepté peut-être un récent ouvrage (La diplomatie dans le Maroc d’autrefois, 2018. 480 p.) préfacé et encensé par un ancien Ministre des affaires étrangères, et qui se veut exhaustif dans son balayage historique, dont l’auteur, diplomate de carrière, passe sous silence l’existence d’un Consulat général russe à Tanger et ne cite la première ambassade marocaine à Saint-Pétersbourg (1901) que pour lui coller un « caractère touristique » sans plus de détails. Cela ne manque pas d’être frustrant pour un sujet aussi important, se rapportant à une période phare de l’histoire des mondes arabo-musulman et africain.
L’actuel travail n’a nullement la prétention de combler un vide en révélant des pans encore inexplorés de l’histoire des relations maroco-russes d’avant le 20e siècle. Il se veut seulement une synthèse pratique, facilitant aux chercheurs l’accès à une information dispersée et parcellaire. Si les chercheurs russes ont été à peu près exhaustifs dans l’exploitation des archives de leur pays, nous pensons qu’il existe encore des niches potentiellement porteuses de bonnes surprises, dans les archives des pays occidentaux mais surtout au Maroc et en Turquie, berceau des Ottomans, les voisins directs communs aux empires marocain et russe pendant un certain temps.
Un des mérites de la présente modeste contribution, est de soulever des questions et de poser des hypothèses qui peuvent titiller la curiosité des chercheurs et les pousser à approfondir l’investigation dans un sens ou un autre. Dans un style qui cherche à être le plus fluide et attrayant possible, il offre à lire, dans un premier chapitre, le roman historique des premiers contacts entre les mondes slave et musulman, à travers les récits de voyage de plus d’un explorateur venu du lointain occident musulman voir de près les us et coutumes dans l’aire géographique de l’actuelle Russie.
Dans les chapitres qui suivent, il ambitionne de jeter un regard marocain aussi aiguisé que possible sur ce sujet par une approche mettant en rapport les facteurs linguistiques, culturels, religieux, économiques, politiques, etc., qui conditionnent les relations entre les peuples et les Etats, ne négligeant l’importance d’aucun élément de ce qui trace leur cadre historique et géopolitique. Ce rétro-éclairage, qui balaie plusieurs périodes où les rapports entre les deux nations étaient faits souvent de rendez-vous manqués, peut aider à comprendre les enjeux et les défis des relations actuelles.
Par Brahim Ounir, Maghreb Canada Express, Vol. XIX, N°01 , page 12 , Janvier 2021