Par Said Charchira

On a souvent décrit le Maroc comme un pays des contrastes. Un constat toujours valable aujourd’hui. En effet, avec d’un côté les grands exploits comme le TGV, le port Tanger Med ou le complexe Noor, dont le Maroc est devenu pionner, le royaume a pu montrer sa volonté de maintenir sa dynamique d’investissement dans les infrastructures. Les projets initiés comme les routes et autoroutes qui ont désenclavé plusieurs régions du Maroc, ou les 100 projets réalisés dans la province d’Al Hoceima ou encore la transformation des provinces du Sud, qui sont actuellement convoitées par les plus grands investisseurs, suscitent l’admiration.

D’un autre côté, avec le lancement en pleine crise économique (2020-2021) due à la Pandémie du Covi19 qui frappe le monde entier, des travaux de construction de 5 grands barrages dans les régions de Marrakech-Safi, de Casablanca-Settat, de Béni Mellal-Khénifra, de Souss Massa et de l’Oriental, ou encore le réaménagement des villes comme Casablanca, Tanger, Fes, Rabat et sa côte atlantique, l’extension de la couverture sociale à l’ensemble des marocains qui est en soi une révolution, etc. sont autant de projets qui ont complètement transformé le pays.

Sur le plan diplomatique, depuis la reconnaissance de sa souveraineté sur son Sahara par les États-Unis et la normalisation de ses relations avec Israël, le Maroc est en train de revoir sa relation avec certains pays et particulièrement avec ses voisins. La crise avec l’Allemagne et le rappel de l’ambassadeur marocain à Berlin pour consultation ainsi que la récente crise avec l’Espagne au sujet de l’accueil du leader du Polisario sur son territoire, marquent le changement dans le traitement de relations marocaines avec ces pays.

Si aujourd’hui plusieurs pays prennent conscience de cette évolution de la politique étrangère marocaine, nos voisins Espagnols, Algériens et Mauritaniens sont directement concernées par cette nouvelle donne. En effet, Madrid est déjà préoccupée par l’escalade sans précédent provoquée par la réception du dirigeant du Polisario, et essaie de maitriser la crise via sa justice qui semble se saisir de cette affaire.

Quant à l’Algérie voisine, elle ne cesse malheureusement non seulement de soutenir le Front Polisario depuis 1973 en lui fournissant armes, munitions et entrainements, mais influence également la Mauritanie déjà sous pression du Polisario, tout en lui promettant soutien et protection contre le Maroc, qu’elle considère toujours comme un pays hostile à ses intérêts vitaux et sécuritaires.

Concernant la Mauritanie, après l’opération Guerguerat en novembre 2020 et la réception par le président mauritanien d’une délégation du Polisario, le Maroc s’est rendu compte que le contrôle de la ville d’Al Gouira actuellement sous administration mauritanienne est nécessaire, afin d’empêcher la circulation des éléments du Polisario tout au long de sa frontière avec la Mauritanie voisine.

Le souhait de récupérer le contrôle d’Al Gouira et l’annonce de la construction d’un port dans cette même localité, fait craindre la réduction de l’activité du port mauritanien de Nouadhibou, épine dorsale de son économie. Cela, fait craindre à celle-ci une éventuelle escalade avec le Maroc, qu’elle veut éviter à tout prix, malgré l’incitation d’Alger, d’où le dilemme de nos amis mauritaniens.

Il est donc clair, que le Maroc d’aujourd’hui ne semble plus disposer à ignorer les actions et les positions de certains pays qui semblent hostiles à ses efforts pour affirmer sa souveraineté sur son Sahara. Son message à ses voisins est que désormais, les règles ont changé, et que le royaume ne peut plus accepter que la Mauritanie permette aux éléments du Polisario de se déplacer librement dans les zones de frontières, ni que l’Algérie les fait déplacer des camps de Tindouf vers la Mauritanie.

En un mot, le Maroc veut rompre toute coordination possible et toute éventuelle alliance régionale contre ses intérêts et essaye d’influencer par ricochet son voisin Espagnol pour ajuster sa position sur le Sahara, ce qui pourrait complètement changer l’équation. Une bonne stratégie à mon sens à condition de maîtriser toute escalade qui ne profitera à personne.

Sur le plan politique, comme l’explique dans une interview au « Maghreb Voices », le célèbre universitaire américain John Waterbury, dans son célèbre ouvrage le « Commandant des Croyant » considéré comme un des classiques de la politique au Maroc: « actuellement, le roi Mohammed VI semble avoir la même manière de gouverner que son père », autrement dit, il concentre aujourd’hui encore l’essentiel du pouvoir, même s’il a concédé quelques ouvertures et fait amender la constitution en 2011.

Cependant, les questions des inégalités sociales, de la démocratie et des droits de l’homme, ou encore la corruption ou le chômage, demeurent toujours posées. Quant à la transition démocratique qui perdure et à laquelle personne ne croit, dans la mesure où nous sommes toujours dans un système où il y a de l’autoritarisme, un manque de clarté de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice ainsi que le retour sur certaines libertés et droits.

Pourtant, force est de constater que la monarchie n’a jamais été aussi populaire que sous Mohammed VI. En effet, il y a aujourd’hui un très large consensus sur cette monarchie. A partir de ce constat, on peut se demander, pourquoi les forces de sécurité se comportent-elles comme si nous sommes encore dans les années de plomb, alors les quelques critiques formulées ici et là, peuvent être considérées comme l’exception qui confirme la règle, c’est-à-dire que cette liberté de s’exprimer, crédibilise le Maroc dans sa transition démocratique comme on aime tant le vanter. Alors pourquoi ne pas assainir le climat politique et libérer les prisonniers d’opinion ?
D’autant plus, que la faiblesse des partis politiques, y compris le nouveau parti « administratif » créé pour soi-disant combler le vide politique et, attirer les compétences pour mettre efficacement en œuvre les orientations royales, ainsi que l’absence inexpliquée des intellectuels, laisse le champ politique libre de toute opposition.

Avec les prochaines élections en septembre 2021, il semble qu’il ne faudrait pas s’attendre à des changements, dans la mesure où on assiste toujours à une grande désaffection des Marocains vis-à-vis des urnes et, ou les élections sont encadrées par une ingénierie qui empêche toute émergence d’une majorité parlementaire, condamnant ainsi les formations politiques déjà faibles et manquantes de courage et de vision à des coalitions incohérentes.

Fait à Düsseldorf,  le 16  Mai 2021, par SaidCharchira,Auteur, acteur et observateur de la scène migratoire,

Courriel : charchira@gmx.net ,

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