On ne le répétera jamais assez, le changement climatique est une donne à intégrer impérativement dans toutes les politiques publiques de l’Etat en termes d’atténuation et d’adaptation. A fortiori, au Maroc où ce fléau mondial sévit avec acuité depuis le milieu des années 1970. Son impact négatif est on ne peut plus claire sur les ressources naturelles, l’eau en particulier, les écosystèmes écologiques, l’avancée de la désertification, et plus globalement sur tous les secteurs socioéconomiques productifs, sans parler des impacts sociaux tels que la perte de l’emploi en milieu rural et son corollaire, l’exode rural engendrés par les sécheresses récurrentes notamment celles ayant durée six années consécutives de 1979 à 1985.

Ce constat alarmant a poussé le Maroc à adopter au milieu des années 1980 des mesures palliatives et anticipatives dans les secteurs les plus impactés par le changement climatique, en l’occurrence l’eau et l’agriculture. Le Royaume a par ailleurs mis en place depuis les années 1960 les soubassements d’une politique de maitrise de l’eau et du développement de l’irrigation moderne à grande échelle qui ont permis au secteur de l’eau d’accompagner le développement socioéconomique du pays et d’être plus résiliant face aux caprices du climat. Selon les derniers chiffres du Ministère de l’équipement, du transport, de la logistique et de l’eau, le pays compte actuellement 149 grand barrages d’une capacité de stockage d’environ 19 milliards de m3, 133 petits barrages en exploitation et 13 systèmes de transfert d’eau interbassins versants. Cette importante infrastructure hydraulique, couplée à une gestion intégrée et participative des ressources en eau, a permis au pays de satisfaire sans grandes difficultés malgré des sécheresses récurrentes, ses besoins en eau potable, le développement de l’irrigation moderne sur plus de 1,5 million d’hectare et la production de l’énergie hydroélectrique qui contribue en moyenne à 10% de la production électrique du pays selon l’hydraulicité de l’année.

Mais aujourd’hui, le changement climatique impose au Maroc des défis plus ardus que de par le passé. Aux principaux secteurs classiquement impactés par ce fléau tels que l’eau et l’agriculture précités, s’ajoutent des secteurs émergeants comme celui de l’industrie qui a connu un essor considérable ces dernières années dans le sillage de la mise en œuvre du Plan d’Accélération Industrielle (PAI 2014-2020). Ledit plan a été le catalyseur du développement du secteur industriel marocain, traduit entre autres par l’accroissement de la part industrielle dans le PIB national de 9 points, passant de 14% en 2014 à 23% en 2020 et la création d’un demi-million d’emplois, pour moitié provenant des IDE et pour moitié du tissu industriel national rénové (chiffres du Ministère de l’Industrie, du commerce et de l’économie verte et numérique marocain). A noter également selon la même source que la part des exportations à contenu technologique élevé et moyennement élevé s’est située à 55% en 2017, en progression de 17 points par rapport à 2007.

Malgré cette prouesse industrielle qui honore le Maroc, le changement climatique s’invite encore une fois chez les faiseurs de la politique publique en apportant une contrainte de taille: le verdissement des produits industriels faute d’être pénalisés par la taxe carbone qui se profile à l’horizon très proche. L’Europe, un des principaux clients du Maroc, compte en effet instaurer en 2023 une taxe carbone sur ses importations en produits et services. C’est une menace réelle pour des secteurs clés comme l’automobile, l’aéronautique, voire l’industrie extractive qui constituent l’ossature de l’industrie marocaine. C’est donc une course contre la montre que doit engager le Maroc pour décarboniser son industrie s’il veut préserver ses acquis et les renforcer davantage dans le futur. Pour y parvenir, la décarbonation, terme qui a pris le dessus sur la décarbonisation, est sans le moindre doute une mesure urgente à adopter par le pays pour préserver les avantages comparatifs de ses produits industriels.

‘’C’est le moment ou jamais de mobiliser une partie des énergies renouvelables du Maroc au service d’un ancrage industriel’’, dixit le ministre de l’Industrie, du commerce et de l’économie verte et numérique, Moulay Hafid Elalamy. Le comment reste tout de même une question cruciale et urgente posée à toutes les parties prenantes, gouvernement, parlement et secteur privé qui doivent tous mutualiser leurs moyens et efforts pour apporter les bonnes solutions. Car, il s’agit bien de politiques publiques adéquates et concertées à adopter, de mesures incitatives à accorder aux acteurs privés, de texte de loi à promulguer et de fonds d’investissements publics et privés à lever, ensemble pour un objectif commun : développer les énergies renouvelables et les orienter vers l’industrie destinée à l’export. Ce challenge est loin d’être facile à gagner sans une vision stratégique concertée sur les besoins et l’usage des énergies renouvelables actuellement produites et projetées au Maroc. Le Royaume envisage en effet de produire 52% de son électricité à partir de sources renouvelables à l’horizon 2030.

A aujourd’hui, les puissances installées en énergie renouvelable sont de 700 MW pour le solaire, répartis entre 5 centrales, 1012 MW pour l’éolien, répartis entre 10 parcs en exploitation et 1770 MW pour l’hydroélectricité répartis entre 29 barrages et Stations de Transfert d’Energie par Pompage (STEP). Le défi est de savoir par exemple comment orienter la production électrique de la méga-centrale solaire Noor Ouarzazate vers les industries exportatrices, distantes quand même de centaines de Km du lieu de production? la même question se pose par rapport à la production du parc éolien de la dorsale calcaire près de Tanger qui a par contre l’avantage d’être à proximité géographique de l’usine de Renault ? D’autre part, qu’on est-il des futurs projets destinés eux aussi à produire de l’énergie propre comme Noor Midelt, projet plus ambitieux que Noor Ouarzazate (800 MW de puissance solaire installée pour Midelt contre 580 pour Ouarzazate), ou les parcs éoliens inscrits dans la stratégie 2010-2030 des énergies renouvelables ?

Indépendamment de ce que peut faire le Maroc pour décarboniser sa production industrielle et améliorer ainsi sa compétitivité et renforcer son attractivité, l’Union Européenne, premier bastion des exportations nationales avec une part de 65%, s’est fixée l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et compte imposer une taxe carbone à ses frontières d’ici 2023. Ainsi, les produits ne respectant pas des normes environnementales élevées seront pénalisés sur le marché européen. Ce risque est à prendre au sérieux dès maintenant par le Maroc pour ne pas perdre ses avantages comparatifs sur ce grand marché européen, ce qui lui permettra de se prémunir contre une chute drastique de ses exportations industrielles.

La clairvoyance royale a permis au Maroc de s’orienter très tôt vers les énergies renouvelables qui constituent un atout majeur pour gagner le pari de la résilience industrielle, pourvu que le pays sache orienter sa production électrique ‘propre’ vers le secteur industriel. En fait, il est plus sensé d’affecter cette énergie à une usine industrielle que de l’injecter dans le réseau national. Heureusement que le ministre de l’Industrie, du commerce et de l’économie verte et numérique, Moulay Hafid Elalamy en est conscient au vu d’une de ses dernières déclarations. Mais, qu’en est-il pour les autres acteurs dont la contribution est aussi cruciale que le ministère de tutelle?

En somme, le pays est cité en exemple pour son engagement ferme dans la lutte contre le changement climatique conformément à ses engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat en 2015. Le Royaume gagnerait toutefois à afficher la même volonté pour assurer une résilience du secteur industriel aux défis du changement climatique et de la décarbonation en particulier. Doté d’une enveloppe budgétaire de 34 MMDH, le Plan de relance industrielle 2021/2023, visant à substituer à l’importation les industries marocaines, est une chance pour se saisir de cette question, avec bien entendu le concours de toutes les parties prenantes.

Par Mohamed Alaoui, Dr, Ing., Expert Senior en eau et développement durable, pour Maghreb Canada Express, Vol. XIX, N°07 , pages 11-12 , Juillet 2021

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