Alors que le délit de presse est abrogé par la constitution, de nombreux journalistes se font toujours arrêter pour leurs écrits. Selon un rapport de RSF,   médias et journalistes subissent de nombreuses pressions

Le jour même de l’élection de l’Algérie au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour un mandat de deux ans , Nadir Kerri, journaliste et directeur du  journal électronique autojazair.dz  est interpellé à Alger par les services de sécurité et placé sous contrôle judiciaire après son audition par le juge d’instruction du tribunal de Sidi M’hamed (Alger). Son seul « tord » : la publication d’un article  sur la loi concernant l’importation de véhicules.

C’est la seconde fois qu’un journaliste est interpellé en l’espace d’un mois pour un article de presse.

Le 8 septembre dernier, Belkacem Houam, journaliste du quotidien arabophone Echorouk, est interpellé puis mis sous mandat de dépôt pour un papier évoquant l’arrêt immédiat des exportations vers la France des dattes du célèbre label algérien «Deglet Nour», au motif qu’elles contenaient des substances nocives pour la santé; à savoir  de forts taux résiduels d’un pesticide interdit dans l’Union européenne. Cette  énième incarcération  a suscité l’indignation de la corporation  qui a réclamé, dans une pétition, la libération de leur confrère.

Le Syndicat national des journalistes (indépendant)  a , pour sa part, dénoncé «une mesure extrême, hautement disproportionnée et qui va à l’encontre de tous les textes en vigueur régissant l’exercice du métier de journaliste et des médias en général en Algérie». Le 11 octobre dernier, le tribunal de Sidi M’hamed a condamné, l’activiste et journaliste Fodil Boumala à un an de prison ferme, assortie d’une amende de 50.000 DA  et à la saisie des objets confisqués (téléphone et tablette).  Fodil Boumala,  arrêté à plusieurs reprises et mis même sous mandat dépôt, a déjà passé six mois en prison durant le mouvement populaire anti-pouvoir  (hirak), avant d’être acquitté des accusations retenues contre lui dont…. « atteinte à l’unité nationale» ! 

La liste des professionnels des médias jetés en prison,  placés sous contrôle judiciaire  ou empêchés de quitter le territoire national est longue alors que la  loi algérienne dispose que le délit de presse n’est pas passible d’une peine de prison. Rabah Kareche, correspondant  à Tamanrasset de feu journal Liberté a passé huit mois en prison pour un article rapportant le point de vue de citoyens de la commune de Tazrout au sujet du dernier découpage administratif. Le simple fait d’évoquer la corruption des responsables et la répression des manifestations pacifiques peut valoir aux journalistes menaces et interpellations. Pis, parfois, il suffit d’exprimer sur Facebook une quelconque opinion politique critique à l’égard des autorités nationales ou régionales  pour se retrouver derrière les barreaux.  

En dehors de Belkacem Haouam incarcéré depuis le 8 septembre 2022, deux journalistes, Hassan Bouras et Mohamed Mouloudj, sont en détention sous des accusations liées à l’article 87 bis du code pénal  (liens avec des activités subversives ou terroristes) et non pas pour des articles ou des contenus médiatiques. El Kadi Ihsane,  directeur de la station algérienne Radio M et du site d’information Maghreb Emergent, poursuivi pour un article de presse, a été condamné en juin dernier à six mois de prison ferme. Notre confrère a  été jugé à la suite d’une plainte de l’ancien ministre de la Communication Amar Belhimer pour un article publié sur le site de Radio M sur le mouvement islamiste Rachad et les protestations pro-démocratie en Algérie.

Tout comme le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, le mouvement Rachad basé à l’étranger, est classé comme organisation terroriste depuis mai 2021 par les autorités algériennes. El Kadi était  était poursuivi  dans trois affaires pour « diffusion de fausses nouvelles », « atteinte à l’unité nationale » ou encore « appartenance à une organisation terroriste ».  Avant lui,  d’autres  journalistes étaient et sont toujours poursuivis pour le même chef d’inculpation,  Saïd Boudour, Djamila Loukil, Hassan Bouras, Abdelkrim Zeghilèche et Mohamed Mouloudj. Des poursuites surréalistes rendues possibles par l’amendement de l’article 87 bis du Code pénal introduit par Abdelmadjid Tebboune par ordonnance en juin 2021, soulignent des défenseurs des droits de l’homme.« Les détentions ou poursuites judiciaires directes à l’initiative du pouvoir exécutif contre des journalistes dans le strict exercice de leur métier ne manquent bien sur pas ces derniers mois pour soutenir le sentiment qu’il s’agit bien d’une politique de répression concertée de l’expression médiatique », observe  El Kadi Ihsane dans une tribune publiée sur le site de Radio M. « En réalité, si le recours à la case prison n’est pas systématique, la menace contre la liberté des journalistes pour leur travail professionnel n’a jamais été aussi pesante depuis l’extinction des assassinats par le terrorisme Djihadiste des années 1990 », ajoutera t-il rappelant que neuf journalistes au moins ont connu la prison sous la présidence de Abdelmadjid Tebboune depuis fin décembre 2019 : Khaled Drareni, Hassan Bouras, Rabah Kareche,  Merzoug Touati, Mohamed Mouloudj, Said Boudour, Moncef Ait Kaci, Ramdane Rahmouni, Belkacem Haouam, la majorité directement  pour des accusations liées à l’exercice de leur métier comme dans le cas des ex -correspondants de France 24 cités ici.

Pressions politiques, financières et économiques, la situation des médias d’opposition en Algérie est inquiétante. Le quotidien Liberté,  critique à l’égard du pouvoir, a fermé ses portes en avril dernier après 30 ans d’exercice. Le propriétaire du journal, Issad Rebrab, plus grosse fortune du pays, 7e plus riche homme d’Afrique pour le magazine américain Forbes, en 2021, subissait des pressions répétées de la part du pouvoir d’Alger. Son journal a été même cité nommément par le président de la République, lors d’une conférence de presse avec des patrons des médias,  pour avoir parlé du… chômage dans l’édition du jour !.

Pour Karim Kebir, journaliste à Liberté, « les arguments qui nous ont été avancés pour expliquer la fermeture étaient d’ordre purement économique, et ils sont loin de convaincre tout le monde. La loi algérienne précise un certain nombre de conditions sous lesquelles un propriétaire peut recourir à la liquidation de son entreprise – par exemple, lorsqu’elle réalise trois années de suite un résultat négatif. Ce n’est pas le cas de Liberté. Au regard de certaines attaques dont nous avons été la cible de la part des autorités ces dernières années, les causes de la fermeture me semblent plutôt politiques. En réalité, Liberté était resté une exception dans le champ médiatique algérien, car bien qu’il appartienne à un homme d’affaires, il continuait d’aborder librement les dossiers économiques et politiques du pays.

Mais ces dernières années, nous avons fait l’objet d’attaques à trois reprises de la part des plus hautes autorités du pays. Notamment un violent communiqué en avril 2020, qui nous a été adressé par le ministre de la Communication de l’époque Ammar Belhimer, suite à la publication de dossiers critiques envers la politique de gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19. Un de nos journalistes, Rabah Karèche, a été mis en prison en avril 2021, pour un reportage réalisé dans le sud algérien, et deux autres journalistes, arrêtés », témoigne  notre confrère de Liberté. El Watan, une autre référence journalistique en Algérie risque de subir le même sort. Chantages commerciaux, pressions politiques, El Watan l’un des premiers journaux crées en Algérie en 1990 dénonce sa « mise à mort programmée ».

Cette situation qui s’achemine vers la fermeture, selon le directeur du journal,  est imputable au gel  des comptes bancaires de l’entreprise depuis le mois de mars dernier, mais aussi au  tarissement des ressources publicitaires privées et de la suspension  unilatérale  d’un accord signé avec l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP, organisme public ayant le monopole de la publicité étatique). El Watan est sommé par les autorités de s’acquitter  des arriérés de la dette fiscale remontant à la période du covid, lorsque les autorités avaient autorisé les entreprises à différer le paiement de leurs impôts. « On risque la fermeture du journal », alerte le directeur de la publication. « La situation que nous vivons actuellement est liée à la volonté des pouvoirs publics de nous mettre sous une pression fiscale énorme », accuse t-il , déplorant que  « pendant la pandémie de Covid-19, le journal n’a bénéficié d’aucune aide publique, contrairement à d’autres entreprises ».La situation de la presse dans la région Afrique du Nord n’a jamais été aussi préoccupante, selon le dernier rapport 2022 de Reporters sans frontières (RSF).

Les pays dans lesquels l’organisation internationale a constaté une aggravation de la situation sont l’Algérie (134e ), où , est t-il souligné, la liberté de la presse recule de manière inquiétante et l’emprisonnement des journalistes devient chose courante, le Maroc (135e) qui maintient en prison trois figures importantes du journalisme en dépit des pressions, ainsi que la Libye (143e ) et le Soudan. « En Algérie, la situation s’est considérablement dégradée en 2021 : de nombreux journalistes ont été emprisonnés dans le pays, poursuivis en justice ou empêchés de voyager. Au Maroc, « les journalistes indépendants subissent une pression continue, et le pouvoir tente de mettre ce secteur aux ordres », alors qu’en Tunisie  l’ONG estime que « le coup de force du président Saied, en juillet 2021, fait craindre un recul de la liberté de la presse », souligne RSF dans son évaluation.

Par Ahcène Tahraoui .

Natif d’Azazga, en Kabylie (Algérie), Ahcene Tahraoui a exercé dans les principaux quotidiens francophones algériens, Le Soir d’Algérie, Liberté et El Watan.  Ses premiers papiers, il les publie au journal Horizons en 1989 alors qu’il était encore étudiant à l’Institut des sciences de l’information et de la communication de l’université d’Alger.

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