Recep Tayyip Erdo?an  déjoua tous les sondages, et fut réélu le 28 mai dernier à l’issue du deuxième tour de l’élection présidentielle en Turquie.

Malgré un début de campagne difficile et un fort mécontentement des Turcs envers sa gestion de l’économie, le président islamo-conservateur et autoritaire, à la tête du pays depuis 20 ans, a su tirer profit de la fibre nationaliste de son électorat, désenchanté de l’Occident… De quoi soulager son ami Valdimir Poutine.

«Il est temps de mettre de côté les disputes de la campagne électorale et de parvenir à l’unité et à la solidarité autour des rêves de notre nation», a  déclaré Erdogan à la foule rassemblée devant le palais présidentiel à Ankara.

Autour de 23h00 heure locale, l’agence officielle Anadolu lui donnait 52,1% des suffrages, contre 47,9 % pour son rival social-démocrate, Kemal Kiliçdaroglu. La commission électorale a ensuite confirmé sa victoire. Il aura donc droit à un autre mandat de cinq ans, au terme de cette élection qui l’a contraint pour la première fois à un second tour.

 D’après plusieurs spécialistes de la Turquie, Erdo?an a su détourner le débat public en faveur de son discours islamo-nationaliste. Il a aussi misé sur le fait que la Turquie devient une force géopolitique importante sous sa gouverne, entre son rôle dans l’OTAN et ses affinités avec la Russie.»

Le président russe, Vladimir Poutine, a d’ailleurs félicité son homologue turc. «Votre victoire à cette élection est le résultat logique de votre travail dévoué à la tête de la République turque, preuve évidente du soutien du peuple turc à vos efforts pour renforcer la souveraineté de l’État et mener une politique étrangère indépendante», a-t-il indiqué, selon le site Web du Kremlin.

Le président américain, Joe Biden et le premier ministre britannique, Rishi Sunak, ont plutôt rappelé, le soir du 28 mai dernier, que leurs pays étaient alliés au sein de l’OTAN, tout en félicitant le dirigeant turc. Justin Trudeau a déclaré qu’il avait hâte de « renforcer davantage » les liens entre le Canada et la Turquie. De plus, le président français, Emmanuel Macron, a souligné qu’Erdo?an et lui avaient de nombreux défis à relever ensemble, dont celui de rétablir « la paix en Europe ».

Pouvoir autoritaire

Dans son discours, M. Erdo?an a qualifié sa réélection de victoire pour la démocratie. Or, à l’image de Vladimir Poutine, le président turc a multiplié les tentatives autoritaires de faire taire ses opposants depuis 20 ans.

Rappelons qu’il a fait emprisonner son opposant kurde, Selahattin Demirta?, ainsi que plusieurs autres voix critiques, surtout depuis une tentative de coup d’État contre lui en 2016. La liberté de presse est également limitée en Turquie, où des lois brident le droit de parole sur les réseaux sociaux. « À l’instar de Viktor Orbán, en Hongrie, il se maintient au pouvoir par le populisme et la démagogie ».

Ainsi, ni le désir de changement d’une partie de l’électorat, ni les restrictions aux libertés, ni l’hyperprésidentialisation du pouvoir n’ont pesé, face au désir de sécurité et de stabilité des Turcs.

Le président affrontait pourtant son opposition la plus féroce à ce jour. Mais Kemal Kiliçdaroglu, le chef de l’Alliance de la nation, un regroupement de six partis d’opposition, n’a pas été en mesure de tirer avantage de l’inflation record qui mine le pays et des conséquences des séismes qui ont fait 50000 morts et 3 millions de déplacés depuis février dernier.

M.Kiliçdaroglu a exprimé dimanche soir sa « tristesse » pour l’avenir de la Turquie. « Nous avons vécu l’un des processus électoraux les plus injustes de ces dernières années », a-t-il dit, ajoutant que de « nombreuses difficultés attendent le pays ».

Pari risqué Kiliçdaroglu

Pendant les deux semaines qui séparaient les deux tours de l’élection, M. Kiliçdaroglu a tenté le pari risqué de séduire davantage d’électeurs de droite. Il avait notamment promis d’expulser les réfugiés syriens vivant en Turquie, et ce, « dans la prochaine année ». Cette déclaration, faite lors d’une conférence de presse commune avec le politicien d’extrême droite Ümit Özdag, du parti anti-immigration dit « de la Victoire », marquait un changement de son par rapport à ses propos plus rassembleurs au début de la campagne.

D’après M.Aoun, Erdo?an a contraint son opposant à se tourner vers la droite, alors qu’il est laïque, républicain et socialiste ».  Les électeurs ont donc perçu des contradictions dans le discours de M. Kiliçdaroglu, ce qui a avantagé le président sortant.

Toujours d’après Aoun, l’électorat turc devient « de plus en plus nationaliste et conservateur ». Erdo?an a misé, dit-il sur leur « désenchantement de l’Occident, rappelant le passé impérialiste de l’Europe qui a vaincu et démembré l’Empire ottoman ».

C’est aussi pourquoi le président sortant a davantage mobilisé les diasporas turcophones à l’étranger et les électeurs musulmans sunnites. M. Erdo?an les a maintes fois insultées et instrumentalisées pour attaquer l’opposition et l’accuser de vouloir détruire les valeurs familiales.

Plusieurs dossiers pressants attendent le chef d’État, notamment sur la scène internationale, où la Turquie joue un rôle de plus en plus influent. Les alliés de l’OTAN attendent entre autres que la Turquie lève son veto à l’entrée de la Suède dans l’Alliance atlantique, bloquée depuis mai 2022. Sans compter, bien sûr, les nombreux défis auxquels le président fait face dans son propre pays, qui se relève encore des séismes de février.

Le 28 Mai, Erdogan a conclu son discours en récitant un poème d’un poète nationaliste turc, Arif Nihat Asya, qui s’apparente à une prière. Il a suscité un « Amen » de la part des dizaines de milliers de personnes rassemblées à l’extérieur du palais présidentiel.

A 69 ans, Erdogan reste, de très loin, l’homme politique le plus populaire du pays depuis Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne, qu’il a dépassé en termes de prérogatives et de longévité à la tête de l’Etat. Adulée par ses partisans qui le voient comme un père, honni par ses détracteurs qui s’insurgent de le voir cultiver une stature de sultan, la personnalité dominante de la scène politique turque ne laisse personne indifférent.

Par Mustapha Bouhaddar pour Maghreb Canada Express , Vol. XXI, N°05, Page 3, Édition de Mai_Juin 2023.

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