Il y a 20 ans, le 21 mai 2003, un séisme de magnitude 6,8 sur l’échelle de Richter ébranlait le nord de l’Algérie. La forte secousse tellurique, dont l’épicentre avait été localisé en mer à 7 km des côtes de Zemmouri (wilaya de Boumerdes) avait été ressentie dans tout le centre du pays. Bilan : 3000 morts, plus de 10 000 blessés et 200.000 sans abri recensés. Les rapports faisaient également état de 1 243 bâtiments complètement ou partiellement détruits.
Le 10 octobre 1980, un tremblement de terre plus dévastateur (7,2) a ébranlé la ville d’El-Asnam, actuellement Chlef, faisant 2 633 morts, des milliers de blessés, de disparus et de sans-abri. Dans certaines zones 70 des bâtiments ont été détruits. Avant et après ces deux séismes majeurs, le pays en avait enregistré d’autres mais de moindre amplitude, fort heureusement.
La menace sismique est permanente car le nord de l’Algérie est situé à la frontière entre la plaque africaine et la plaque eurasienne, créant ainsi une zone de compression qui se manifeste par plusieurs poussées et des failles. En raison de cet emplacement entre deux plaques tectoniques, de nombreux séismes se sont déjà produits dans la région. Une centaine de secousses par mois sont dénombrées mais la plupart ne sont pas ressenties, selon un chercheur au Centre de Recherche en Astronomie Astrophysique et Géophysique (Craag).
L’Etat a-t-il retenu la leçon de Boumerdès ?
L’Algérie a toujours été un pays sismique depuis au moins 6 millions d’années, selon les résultats de travaux de plusieurs décennies. Ces données géologiques ravivent les craintes après chaque secousse surtout quand on sait que les pouvoirs publics ne semblent pas avoir tiré les enseignements qui s’imposent suite aux tragédies passées.
L’urbanisation anarchique, le vieux bâti, les études sismiques à la limite de l’aléatoire, l’absence de voies de communication d’urgence, l’inexistence de plans Orsec appropriés et actualisés, l’absence de structures spécialisées dans la gestion des catastrophes naturelles et des organismes d’intervention spécialisés mettent la population en danger.
« La malédiction des séismes n’est pas que géologique dans notre pays. Terre sismique depuis 6 millions d’années, l’Algérie est face aux défis de l’application des normes antisismiques » résume un confrère. Lors du procès intenté à 38 cadres, travailleurs, ingénieurs, architectes et entrepreneurs accusés d’avoir eu une responsabilité dans les dégâts provoqués par le séisme de mai 2003, le professeur Chelghoum Abdelkrim, spécialiste en génie parasismique, désigné par la justice pour expertiser les bâtisses effondrées, avait martelé devant les juges, contredisant les experts du Craag et ceux désignés par le gouvernement afin de mener une enquête sur le terrain : « A Corso (Boumerdes, ndlr) en particulier, ce sont les études du sol, erronées, qui sont à l’origine de l’effondrement des bâtisses », laissant entendre que les dégâts occasionnés ne sont pas dus à la force du séisme mais aux négligences dans l’urbanisme . « Est-ce que ce n’est pas la forte magnitude de la secousse ? », l’interroge le juge.
« La malédiction des séismes n’est pas que géologique »
« Ce serait une catastrophe si on pouvait dire cela, car dans ce cas, il faudrait carrément changer de pays. Le séisme du 21 mai 2003 était un séisme normal, modéré, vu la sismicité de la partie nord de notre pays. Il y a eu tous ces dégâts parce que les études de sol n’étaient pas fiables et le zonage était loin d’être adéquat. C’est sur la base de ces 2 éléments que nous lançons la construction», expliquera le professeur.
Autrement dit, la responsabilité des dégâts occasionnés est imputable aux laboratoires ayant effectué les études de sol et les parties chargées du suivi de leur travail contrôlés par… l’Etat algérien. Ce spécialiste est catégorique : « C’est à cause de la nature de ce sol, qu’il y aurait eu effondrement, quoi que l’on ait fait ».
Cette action en justice, a, pour rappel, été enclenchée suite à une plainte déposée par le ministère de l’Habitat pour rechercher et situer d’éventuelles responsabilités humaines dans une catastrophe naturelle.
Poursuivis pour « homicide involontaire, fraude sur la qualité et la quantité des matériaux de construction, le non-respect des règles de construction et de la réglementation », 27 accusés ont écopé d’une peine de 2 ans de prison ferme tandis qu’un autre a été condamné, par contumace, à 3 années de prison ferme. Ce dernier (Abdelkader H.) a été déclaré « en fuite ». Les 10 autres accusés, dont des ex-responsables d’entreprises étatiques de promotion et de gestion immobilières (OPGI, EPLF) de Boumerdès, et un promoteur privé ont été simplement acquittés.
« C’est plutôt le ministère qui devrait être poursuivi pour n’avoir pas pris au sérieux le zonage sismique. Car, dans beaucoup de cas, même si les normes avaient été totalement respectées, les bâtisses se seraient effondrées », selon des témoignages de nombreux experts présents à ce procès, rapportés par la presse.
« Le procès devait être celui de l’Etat qui a failli à ses devoirs : mauvaise classification des zones sismiques malgré l’existence d’études et d’écrits scientifiques édifiants datant de l’ère coloniale, importation de matériaux de construction (rond à béton et ciment) de très mauvaise qualité et qui s’étaient avérés d’une dangerosité fatale, l’absence d’un organe de contrôle ayant des pouvoirs répressifs s’agissant du non-respect des normes, le CTC (organisme national de control technique et de la construction) n’ayant qu’un rôle consultatif et autres lacunes », pointait un confrère d’El Watan exerçant dans la région.
A-t-on retenu les leçons de ces négligences meurtrières ?
L’Algérie est-elle suffisamment outillée pour faire face à une catastrophe naturelle majeure ? Interrogé par Le Quotidien d’Oran (13 février 2023), Mustapha Meghraoui, sismologue à l’Institut de physique du Globe de Strasbourg plaide pour l’application à la lettre le code parasismique. «J’insiste pour dire que les ingénieurs du Centre national de recherche appliquée en génie parasismique de Hussein Dey, et leurs collègues du Craag de Bouzaréah, font convenablement leur travail. Si les constructeurs appliquent à la lettre le code parasismique, il n’y aura pas de grands dégâts en cas de séisme, sauf que l’Etat, en tant que puissance publique, doit sévir en cas de manquement au respect des règles de construction parasismique. Les cahiers des charges, qui contiennent des clauses obligatoires relatives aux normes parasismiques, doivent être absolument respectés. On ne doit surtout pas essayer de gagner du temps dans la réalisation des projets ni encore moins calculer pour économiser des sous quand il s’agit de sauver des vies humaines. En Californie (USA), le non-respect des normes parasismiques est passible de lourdes peines de prison», a soutenu ce sismologue.
Un rapport élaboré par un cabinet d’expertise privé français au lendemain du séisme de 2003, à la demande du ministère de l’Habitat algérien pour faire une analyse indépendante des causes des multiples endommagements et effondrements de bâtiments et de proposer des actions prioritaires à mettre en place dans l’immédiat conclut à de nombreuses manquements dans le processus de la construction s’interrogeant sur des choix qui ne sont pas compatibles avec la construction en zone sismique.
Entre autres actions jugées prioritaires préconisées par ces experts :
- Provoquer un choc dans la culture de construction en général et dans la construction parasismique en particulier, en imposant des constructions avec voiles en béton armé, en lieu et place des portiques (poteaux et poutres) et murs de remplissage. Les bâtiments avec des voiles en béton armé ont prouvé de leur efficacité aux actions sismiques les plus sévères, depuis le Chili (1960) et jusqu’au Japon (1995) en passant par la Roumanie (1977) et la Turquie;
- Etablir clairement la chaîne des professionnels (responsables) intervenant dans la construction de bâtiments, faciliter l’émergence des bureaux d’études spécialisées, éditer en urgence un document comportant les compléments et les modifications aux Règles RPA 99 (règles parasismiques algériennes) .
Par Ahcène Tahraoui pour Maghreb Canada Express, Vol. XXI, N°10, Page 04, Édition du mois d’Octobre 2023.