Par Abderrafie Hamdi
J’imagine, en ce moment, l’écrivain algérien Boualem Sansal, lauréat du Grand Prix de l’Académie française et auteur de Le Serment des barbares et Le Village de l’Allemand, seul dans sa cellule, revisitant par flashbacks les étapes de sa vie, longue de 75 ans. Une vie qui a commencé lorsque sa mère, Khadija, avec l’aide de son père, Abdelkader, l’a lancé dans le tumulte de son destin depuis Theniet El Had, un petit village marginalisé et pauvre de Tissemsilt. Un lieu que les décideurs d’Alger n’ont redécouvert que récemment, lorsqu’Ennahar TV, une chaîne de télévision algérienne, y a mené une enquête pour remettre en question les origines et la filiation de Sansal, ternissant au passage l’honneur de sa défunte mère et de sa grand-mère, paix à leurs âmes.
Je l’imagine traversant rapidement les étapes de son parcours académique : son diplôme d’ingénieur de l’École nationale polytechnique, son doctorat en économie, et son entrée au ministère de l’Industrie, où il a gravi les échelons jusqu’à devenir directeur général. Mais, réalisant l’absence d’industrie et de réelle volonté de développement industriel, il s’est contenté d’un poste fantôme. Son ami écrivain, Rachid Mimouni, l’a alors encouragé à écrire, libérant ainsi son talent créatif. Dès lors, Boualem Sansal est devenu un auteur prolifique, jouissant d’une reconnaissance internationale.
À l’époque, les autorités algériennes célébraient son succès, lui offrant tout le soutien nécessaire pour ses activités à l’étranger. Un haut fonctionnaire du Palais d’El Mouradia aurait même déclaré à un ministre qui se plaignait de son absence : « Boualem est une personnalité importante qui sert l’État auprès des capitales, des ambassades et des forums internationaux. » Pourtant, Hachemi Djaâboub, alors ministre de l’Industrie, a écrit dans un article : « Après plusieurs mois à la tête du ministère, j’ai demandé au secrétaire général : Où est le directeur général de l’industrie ? Il m’a regardé comme si j’avais touché un sujet tabou, les yeux écarquillés, la voix bloquée, avant de répondre d’un ton hésitant : C’est le grand écrivain Boualem Sansal. »
Aujourd’hui, je l’imagine dans sa cellule, les yeux brillants, faisant les cent pas, se heurtant parfois aux murs froids avant de s’asseoir pour jouer avec une mèche de ses cheveux blancs. Il se demande : « Pourquoi et comment suis-je arrivé là ? Est-ce à cause de ma participation à un festival en Israël célébrant sa fondation, alors même que les Palestiniens commémoraient les 64 ans de la Nakba ? » Puis il se corrige : « Non, cela remonte à mai 2012, et nous sommes en novembre 2024. »
Il conclut : « Ce qui m’arrive est sûrement lié à mes positions critiques sur toutes les religions et sur la pratique de l’islam par les musulmans. Mais ce n’est pas nouveau. Je n’ai jamais caché mes opinions, et les autorités en étaient bien conscientes. » Pourtant, il semble que cette fois-ci, son “crime” soit plus grave, une transgression majeure que ni sacrifice ni repentance ne pourraient effacer.
Comment cet homme, que l’écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio ( prix Noble) qualifie de porte drapeau (traduction de Boualem en arabe), a-t-il osé toucher à la géographie et à l’histoire ? Pas pour révéler une nouveauté ou énoncer une hérésie, mais pour affirmer haut et fort ce que beaucoup savent déjà : le Maroc est une nation ancienne, riche de douze siècles d’histoire, bien avant l’arrivée du colonialisme, et les frontières orientales du pays sont une création française que les autorités algériennes n’ont jamais voulu rectifier ni respecter leurs promesses. De même, le Polisario n’est qu’un produit de la stratégie algérienne.
En se rendant en Algérie le 16 novembre 2024, Boualem Sansal savait peut-être quel sort l’attendait. Comme l’a écrit JMG Le Clézio dans Le Point : « Sa démarche est celle d’un homme sans force autre que celle des mots, affrontant la vengeance des puissants. »
L’ironie de l’histoire veut que la célèbre chanson Abdelkader Ya Boualem, popularisée en France par le trio algérien Khaled, Rachid Taha (paix à son âme) et Faudel, ait été écrite dans une prison algérienne en 1989 par le poète Haj Zgadah, connu sous le nom d’El Warshani. S’inspirant de saints soufis comme Sidi Abdelkader Jilani, il a écrit :
On raconte que peu après avoir composé ces vers, le poète a été libéré. Alors, combien de récits, de nouvelles et de saints invoqués faudra-t-il pour libérer Boualem Sansal ?
Toute ma solidarité à Boualem Sansal, dont les romans m’enchantent, mais dont les positions sur le sionisme et l’islam me laissent en profond désaccord.