Fidèle à son engagement à enrichir le débat public par des analyses pertinentes et des propositions constructives, le Forum Économique Social et Environnemental (FORESE) a organisé, le 22 novembre dernier, à partir de Casablanca (Maroc), un webinaire consacré à l’analyse approfondie du Projet de Loi de Finances 2025.
Cette rencontre virtuelle, s’inscrivant dans une démarche proactive de contribution au dialogue national sur les politiques publiques, a réuni un panel d’experts de premier plan en matière de finances publiques.
Ont participé à cette réflexion collective MM :
· ANNAB Abdallah : Expert-comptable CPA (Canada);
· El Mehdi FAKIR : Expert-comptable (Maroc);
· Hassan BAYANE : Expert-comptable- CPA (Canada);
· Mohammed Reda NAAM : Fiscaliste (Maroc).
La modération fut assurée par M. Aziz Saidi (journaliste) .
En ouverture des travaux, les participants ont dressé un état des lieux du contexte international, marqué par de multiples défis : instabilité géopolitique persistante, pressions inflationnistes croissantes, volatilité des cours des matières premières et intensification des aléas climatiques.
Face à cette conjoncture complexe, l’exercice des projections économiques se heurte à plusieurs obstacles majeurs: D’une part, l’établissement d’hypothèses fiables concernant l’inflation et l’évolution des prix du gaz sur les marchés internationaux s’avère particulièrement délicat. D’autre part, la forte dépendance de l’économie nationale au secteur primaire, lui-même tributaire de la pluviométrie, introduit une variable aléatoire significative dans les projections de croissance. Cette particularité structurelle, où la contribution du secteur primaire s’avère déterminante dans la trajectoire économique du pays, complexifie davantage l’exercice de prévision.
L’analyse des quatre axes structurants du PLF 2025 soulève plusieurs observations critiques :
Le renforcement de l’État social : le chantier de généralisation de la protection sociale, bien qu’ambitieux et socialement nécessaire, soulève des interrogations quant à sa soutenabilité financière. Avec un coût annuel de 51 milliards de dirhams (Ministère de l’économie et des finances, 2020), ce projet exerce une pression considérable sur les ressources budgétaires de l’État, nécessitant la mobilisation de fonds additionnels substantiels.
La dynamisation de l’investissement : l’enjeu central réside dans la capacité des projets envisagés à générer une croissance économique suffisamment robuste pour assurer le financement pérenne des programmes sociaux. La question de l’efficience et du retour sur investissement se pose avec acuité.
La promotion de l’emploi : fait face à un défi majeur, illustré par des taux de chômage qui atteignent des niveaux historiquement élevés (13,6% selon le HCP durant le troisième trimestre 2024), questionnant l’efficacité des politiques d’insertion professionnelle actuelles.
La préservation des équilibres macroéconomiques : demeure problématique, notamment en raison d’un déficit budgétaire structurel (4,4% selon les chiffres du ministère de l’économie et des finances) dont la résorption repose principalement sur le recours à l’endettement extérieur, soulevant des questions sur la soutenabilité à long terme des finances publiques.
Les discussions ont permis de dégager plusieurs recommandations stratégiques pour renforcer la politique fiscale et budgétaire :
1. Élargissement de l’assiette fiscale et modernisation
¨ Mise en place d’une stratégie intégrée d’inclusion du secteur informel dans l’économie organisée (Encourager le système d’auto-déclaration fiscale);
¨ Accélération de la transformation numérique pour optimiser la collecte fiscale et améliorer la relation avec les contribuables (Confiance et traçabilité);
¨ Renforcement des dispositifs de lutte contre l’évasion et la fraude fiscale via un système d’échange de renseignements en temps réel.
2. Réformes structurelles
¨ Révision prioritaire de la loi organique N° 130-13 (La LOF) relative aux finances publiques pour renforcer la transparence et la reddition des comptes;
¨ Reprise du débat sur la réforme fiscale globale, notamment concernant les mécanismes de contrôle;
¨ Instauration d’un système de péréquation financière entre les régions pour réduire les disparités territoriales dans le cadre de la régionalisation avancée.
3. Innovations fiscales et financières
¨ Diversification des sources de recettes fiscales à travers l’identification de nouveaux gisements fiscaux;
¨ Introduction progressive d’un impôt sur la fortune avec un barème progressif;
¨ Développement des incitations fiscales en faveur de la transition écologique, notamment pour les véhicules hybrides et électriques, avec une exonération de la vignette et une prime à l’achat plafonnée à 50.000 MAD.
4. Gestion de la dette et fiscalité spécifique
¨ Privilégier l’endettement interne en monnaie locale pour réduire l’exposition aux risques de change;
¨ Réévaluation des exonérations accordées aux sociétés représentant la FIFA au Maroc, avec une proposition de limitation temporelle jusqu’à 2030.
Un point de divergence a émergé concernant la contribution libératoire : certains participants préconisent sa prorogation pour six mois en 2025 afin de renforcer les recettes de l’État, tandis que d’autres s’y opposent, considérant qu’elle contrevient au principe d’équité fiscale.
En conclusion, ce webinaire a souligné l’importance d’une approche holistique de la réforme fiscale, conjuguant modernisation des outils de collecte, équité fiscale, innovation dans les mécanismes de financement et la prise en charge des recommandations des assises nationales sur la fiscalité tenues à Skhirate. La mise en œuvre de ces recommandations nécessitera un engagement fort des pouvoirs publics et une coordination étroite entre les différentes parties prenantes (Parties politiques, députés, syndicats, associations professionnelles, experts….) pour garantir leur efficacité et leur acceptabilité sociale.
Par El Mostapha Abkari pour Maghreb Canada Express, Vol. XXII, N°10, page 04, Édition de Décembre 2024