Par Pr Moha Ennaji (*) (Fès, Maroc)
La chute inattendue du dictateur syrien Bachar al-Assad, survenue décembre dernier, marque un moment charnière dans la trajectoire de la guerre civile dévastatrice de treize ans en Syrie. Alors que les groupes rebelles ont pris le contrôle de Damas, ce bouleversement majeur a des implications profondes, non seulement pour la Syrie, mais aussi pour le Moyen-Orient et la communauté internationale dans son ensemble. L’effondrement du régime d’Assad a suscité des célébrations massives à travers le pays, incarnant un sentiment collectif de libération après une dictature brutale qui a infligé des souffrances incommensurables : meurtres, tortures, spoliations et déplacements de millions de personnes. Cependant, les défis à venir pour stabiliser et reconstruire la Syrie sont aussi redoutables que la victoire elle-même.
Implications pour les acteurs régionaux et mondiaux
La chute d’Assad a provoqué des répercussions dans le paysage géopolitique. La Russie et l’Iran, dont l’intervention avait sauvé Assad en 2014-2015, voient désormais leur influence en Syrie et dans la région considérablement diminuée. Engagées dans des conflits persistants, notamment la guerre en Ukraine, ces puissances ne pouvaient plus soutenir le régime vacillant d’Assad. Cette défaite stratégique affaiblit leur ancrage au Moyen-Orient, signalant un tournant majeur dans les dynamiques régionales. Pour les États du Golfe, la chute d’Assad suscite des réactions mitigées. Alors que le Qatar pourrait saisir l’opportunité de financer le gouvernement émergent, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis restent prudents face à un éventuel gouvernement islamiste et hésitent à fournir une aide financière sans garanties claires. Leur approche dépendra probablement de la nature de la direction post-Assad en Syrie.
Israël, quant à lui, se trouve dans une position tout aussi ambivalente, confronté à l’incertitude quant à l’identité des remplaçants d’Assad. Néanmoins, l’affaiblissement récent du Hezbollah, un allié clé d’Assad, pourrait lui offrir un levier pour engager des discussions avec les nouveaux dirigeants syriens en vue de sécuriser sa frontière nord.
La Turquie se distingue comme une exception notable, ayant récolté les fruits de sa stratégie envers la Syrie. En s’opposant à Assad tout en négociant avec ses alliés, en accueillant des millions de réfugiés syriens et en soutenant l’opposition, Ankara s’est positionnée comme un acteur clé dans la reconstruction de la Syrie. L’implication politique et militaire de la Turquie lui confère désormais une influence considérable sur le processus de stabilisation, ainsi que la reconnaissance de nombreux Syriens.
Le rôle des États-Unis et de la communauté internationale
Les États-Unis se trouvent à un moment crucial pour définir leur rôle dans la Syrie post-Assad. Une action directe de l’administration Trump est essentielle pour prévenir une descente dans le chaos. Les priorités incluent le financement accru de la reconstruction des infrastructures, la fourniture de soins de santé et la facilitation du retour des réfugiés et des déplacés. Cependant, en s’engageant en Syrie, les États-Unis devront également composer avec les complexités posées par Hayat Tahrir al-Cham (HTC), le groupe rebelle ayant mené l’offensive sur Damas. Bien que HTC ait été classé comme organisation terroriste par les États-Unis, son rôle prépondérant dans la transition nécessite son inclusion dans les premières discussions. Cela présente des risques, car les promesses de HTC de respecter les droits des minorités pourraient rappeler les engagements non tenus des talibans lors de leur ascension au pouvoir.
Pour que l’opposition syrienne obtienne un soutien significatif de la part des États-Unis, elle doit agir rapidement pour présenter une vision pragmatique et unifiée d’un gouvernement de transition, d’élections démocratiques et d’une gouvernance durable. Cette clarté est d’autant plus cruciale que le président élu Donald Trump a exprimé son désintérêt pour une implication plus profonde des États-Unis en Syrie. La communauté internationale doit également faire preuve de prudence dans l’octroi d’aides étrangères. Les efforts de reconstruction post-conflit menés par des donateurs échouent souvent en raison de plans fragmentés, de rivalités politiques et de projets non coordonnés. Une gouvernance efficace en Syrie dépendra de lier l’aide à des jalons clairs et de favoriser la coopération entre les donateurs pour éviter ces écueils.
Voies vers la stabilisation
Stabiliser la Syrie nécessitera un effort diplomatique concerté impliquant les principaux acteurs régionaux et mondiaux, notamment la Turquie, les pays du Golfe et la Jordanie. Promouvoir un dialogue entre États adversaires pourrait réduire les tensions, favoriser des accords de sécurité coopératifs et empêcher la Syrie de devenir un champ de bataille par procuration pour des intérêts concurrents. Avec le levier accru de la Turquie et la volonté potentielle du Qatar d’investir, il existe une opportunité de façonner une approche équilibrée pour reconstruire la Syrie. Cependant, assurer une stabilité à long terme exigera des négociations minutieuses, une surveillance vigilante de la gouvernance de HTC et un engagement international soutenu pour des efforts de construction étatique inclusifs et transparents.
En conclusion, la situation en Syrie représente à la fois un moment d’espoir et un défi de taille. Bien que le peuple syrien ait remporté une victoire durement acquise, le chemin vers la reconstruction, la réconciliation et une paix durable nécessitera des actions délibérées et coordonnées de la part des acteurs nationaux et de la communauté internationale. Au Maroc, nous souhaitons un avenir meilleur au pays frère syrien, en espérant que la sécurité et la paix prévaudront dans toute la région.

(*) Pr Moha Ennaji est un chercheur universitaire et écrivain marocain. En plus de ses travaux en linguistique, il a publié sur l’éducation, la migration et le genre. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages, dont trois romans : L’Olivier de la sagesse (éditions Karthala), Douce lumière (éditions Marsam) et Trahison et Châtiment (L’Harmattan).