Par Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)
Depuis toujours, la médiation occupe une place singulière dans l’histoire humaine. Qu’il s’agisse de traditions religieuses, de pratiques tribales ou de diplomatie moderne, elle est perçue comme un rempart contre la violence et comme l’art d’empêcher les conflits de se transformer en guerres. Être médiateur, c’est tendre un pont là où d’autres dressent des murs. C’est offrir un espace de confiance quand la peur et la haine ferment toutes les portes.
Or, ce principe universel vient d’être brutalement remis en cause. L’attaque israélienne contre le Qatar ne doit pas être lue comme un simple épisode militaire, mais comme une atteinte à la médiation elle-même. En visant un acteur reconnu pour ce rôle, Israël n’a pas seulement contesté une politique étrangère : elle a frappé une valeur universelle, celle qui fonde toute possibilité de paix.
Il y a vingt-cinq ans, j’ai eu l’occasion de me former auprès de la fondation Search for Common Ground, dont le siège est à Washington, pionnière de la médiation dans le monde. J’y ai appris que la médiation n’est pas une simple technique de négociation, mais une culture. Elle repose sur le respect et la neutralité. Le médiateur n’impose pas une vérité : il crée un espace sûr où les intérêts peuvent être conciliés. Et même dans les contextes les plus tendus, les parties reconnaissent la légitimité du médiateur, parfois jusqu’à sacraliser son rôle, y compris lorsqu’aucun accord final n’est trouvé.
Dans cette logique, le Qatar s’inscrit dans la catégorie des « puissances moyennes » (Middle Powers), ces États qui, sans être des grandes puissances, exercent une influence décisive grâce à leur diplomatie. La Norvège en est un exemple historique avec les accords d’Oslo. L’Indonésie, l’Afrique du Sud ou encore la Turquie ont également assumé des médiations. Le Qatar a choisi cette voie, en mettant à profit ses ressources, son positionnement et l’ouverture de sa diplomatie pour se forger une image de médiateur incontournable. On se souvient encore du rôle déterminant de Hamed ben Jassim, ancien Premier ministre et chef de la diplomatie qatarie, qui a fait de Doha une capitale diplomatique.
Mais le plus grave est ailleurs : en attaquant le Qatar, Israël s’en est pris indirectement à l’ensemble du système international. Car l’ONU et ses agences spécialisées reposent depuis leur création sur le principe de médiation et sur la prévention des conflits. Si demain les médiateurs deviennent des cibles légitimes, alors c’est la crédibilité de toute la diplomatie multilatérale qui s’effondre. Et à ce rythme, qui peut exclure que le siège même des Nations unies à New York devienne un jour la cible symbolique d’une telle logique destructrice ?
Michel Barnier rappelait que « le médiateur est celui qui crée un espace de confiance ». Ibn Khaldoun, des siècles plus tôt, avait déjà noté que la paix entre tribus n’est possible que grâce aux « notables » capables de se placer au-dessus des passions. L’histoire, de tout temps, nous enseigne la même leçon : les sociétés humaines ne survivent à leurs conflits qu’à travers l’existence de médiateurs.
Dès lors, défendre la médiation n’est pas défendre un État en particulier, mais protéger une valeur universelle. C’est défendre le dernier rempart contre la barbarie et contre la guerre sans fin. En visant le Qatar, Israël a attaqué l’un des rares outils qui donnent encore une chance au dialogue. Et en ce sens, refuser le médiateur, c’est proclamer haut et fort le refus de la paix elle-même.