Le Qatar avec ses 200000 habitants manque cruellement de ressources humaines. C’est un pays qui brasse des milliards, et investit dans le monde entier. Mais on ne parle jamais de cette main d’œuvre immigrée, payée aux lances pierres, et qui vit dans des conditions inhumaines. Dans le numéro du quotidien français « 20 minutes » du 27 mai 2013, le journaliste Alexandre Sulzer rapporte le cas de Shahabuddin, un bengalais de 45 ans et qui exerce le métier de plâtrier. Sa journée de travail commence à 5h du matin et s’achève à 16h dans la canicule de Doha. Comme l’explique le reporter cité ci-dessus, ce bengalais fait partie de ces centaines de milliers de travailleurs asiatiques qui construisent, au sens propre, le Qatar, micro-Etat aux chantiers tentaculaires. C’est le reporter qui souligne : « Arrivé il y a trois mois, Shahabuddin ne se plaint pas. Il touche 200 euros par mois. Au Bengladesh, il en gagnait à peine la moitié. »
Nombre d’immigrés asiatiques et africains travaillent au Qatar dans des conditions inhumaines. Ils n’ont pas le choix, la plupart acceptent de travailler dans ces conditions pour pouvoir nourrir leurs familles restées au pays. Car le Qatar interdit le regroupement familial. Comme le cas de notre bengali qui vit dans un dortoir qui appartient à son employeur où s’entassent des salariés originaires du Bengale comme lui ! Le bâtiment est situé dans l’ « industrial area », vaste zone poussiéreuse d’entrepôts et de garages, parsemée de cadavres de voitures, sans éclairage public. Au sud de la ville, loin de la corniche, le front de mer orgueilleux du centre ville où trône les plus grands buildings qui fascinent les touristes.
Le reporter de « 20 minutes » souligne : « Shahabuddin partage une chambre spartiate avec quatre collègues et des blattes. Seul luxe : la climatisation, bruyante, mais fonctionnelle. L’ouvrier fait visiter la cuisine, où un réchaud à gaz hors d’âge trône devant les murs dégoulinant de graisse et les toilettes recouvertes de crasse. Dans le couloir, où des pneus, des bols de plastique usagés et des papiers forment une drôle de moquette, il se fait apostropher par un collègue : « Tu aurais dû nous dire que tu avais invité, on aurait un peu nettoyé….. »
Et dire que le Qatar organisera le mondial de foot de 2022. le jour «J», personne ne se souviendra de Shahabuddin ainsi que tous ces immigrés qui vont y laisser leur santé s’ils continuent à travailler dans ces conditions. Et je pense que le Qatar n’est pas prêt à améliorer leur quotidien, car on ne fait pas l’argent avec des sentiments.
Plusieurs ONG dénoncent le « Kafala », système de parrainage qui lie le migrant à son employeur, son « parrain » qatari. Sans le consentement de ce dernier, le travailleur étranger ne peut pas quitter le Qatar ni changer d’emploi. Parmi ceux qui violent les droits des travailleurs, il y a aussi des étrangers. Notamment des ambassades des pays d’origine qui se font concurrence pour fournir au Qatar la main-d’œuvre la moins chère possible », reconnaît Doha, un activiste indépendant, sous le sceau de l’anonymat.
Tous les médias parlent de ce footballeur franco-algérien qui est resté coincé au Qatar malgré lui. La carrière de Zahir Belounis âgé de 33 ans a pris une autre tournure.
Dans une interview qu’il a accordé à « Jeune Afrique » et rapportée par le journal « La Nouvelle République » sous la plume de H.Hichem , il explique ses péripéties. «J’ai signé avec Al-Jaish, le club de l’armée, en 2007», explique-t-il et à la fin de son contrat en 2010, il informe ses dirigeants qu’il allait quitter le club. Mais «ils voulaient que je revienne… J’ai accepté de les rencontrer à Vienne en Autriche.» Depuis cette rencontre, contrats sur la table, ils arrivent à le convaincre et lui promettent de tout effacer et de recommencer à zéro avec un salaire plus intéressant et ce, en référence à ses conditions de retour au club. «Ils m’ont fait signer un contrat de cinq ans, avec un salaire revu à la hausse. Le club était en Division 2, avec l’ambition de monter. Pari tenu, «on accède à la D1, j’étais capitaine de l’équipe, et entre-temps, on m’a donné la nationalité qatarie pour disputer la Coupe du monde militaire au Brésil à l’été 2011. Et j’apprends que les nouveaux dirigeants ont engagé trois étrangers, dont Karim Ziani (Algérie).» Une fois sur le sol qatari, il apprend que seuls trois étrangers par club sont autorisés à y aller. Le club, pour éviter toute remise en cause de ses engagements, trouve une solution, en l’occurrence le prêter au club Al-Markhya qui évolue en D2, avec l’assurance de garder son salaire «et ce, en plus de celui que me donnera Al-Markhya. Or, Al-Jaish ne m’a rien versé. À la fin de mon prêt, j’ai attendu, et j’ai demandé à être payé.» Ne voyant rien venir, Zahir engage deux avocats, mais ces derniers «étaient de mèche avec certains dirigeants d’Al-Jaish lesquels m’ont fait baladé. Et puis un jour, ils me disent la chose suivante : «Tu signes ce papier affirmant qu’on ne te doit rien, et on te donne ton chèque.» J’ai refusé, alors que mes avocats voulaient que je signe. Face à ce refus, pas d’autorisation de sortie du territoire. « Le directeur sportif d’Al-Jaish m’a fait comprendre que si je ne signais pas le document, le club ne validerait pas l’autorisation de sortie de territoire. Et sans cela, je ne peux pas partir.» Pour sauver sa peau, il fait virer ses anciens avocats, «j’en ai pris de nouveaux, des anglais. Je suis décidé à aller au bout. Un expert vient d’être nommé. Youssef Dasmal, le directeur sportif d’Al-Jaish dit que je n’appartiens plus au club, mais que j’ai toujours été payé. C’est faux ! J’ai un contrat valable jusqu’au 30 juin 2015. Ce contrat, ils ont réussi à me le subtiliser. Mais j’ai des éléments qui prouvent que j’appartiens toujours à ce club. Ils ne le savent pas, mais ce sont des documents que je vais produire lors du procès. D’ailleurs, j’habite toujours une maison qui appartient au club…»
Le joueur pris ainsi dans le filet du club, ne peut malheureusement pas quitter ce riche pays tant que la justice n’aura pas tranché. Oui mais quand ? Telle est la question qui ruine sa famille sans salaire. La situation devient une spirale qui l’étouffe, et sa famille avec. «Où est passé mon argent ? Il est bien tombé dans certaines poches ! Cela fait 21 mois que je n’ai pas été payé. Pensant quitter le Qatar, je n’ai pas scolarisé ma fille aînée. Ma femme supporte très mal ma situation. L’ambassade de France à Doha suit désormais notre dossier. Ce que je souhaite, c’est qu’elle m’obtienne un visa de sortie très rapidement. Pour qu’en suite, je puisse revenir pour le procès».
Aux dernières nouvelles, Zahir Belounis ne compte pas retirer sa plainte. « Je suis prêt à me battre », clame-t-il. Mais, lucide, il ajoute : « Footballistiquement, ça va être dur maintenant. Je sens que je vais devoir raccrocher les crampons. »
par Mustapha Bouhaddar