incendie-NDLe livre de Victor Hugo « Notre Dame de Paris » a connu un record de vente sans précédent, au point que la célèbre Edition Gallimard a décidé d’imprimer des milliers d’exemplaires en livre de poche.

Nous avons connu un cas similaire après les attentats terroristes islamistes à Paris, le livre de l’écrivain  américain Ernest Hemingway « Paris est une fête » s’est arraché à des milliers d’exemplaires.

Victor Hugo qui a passé sa vie à défendre la cause des pauvres dans ses écrits aurait sans doute souhaité que les dons qui affluent pour la reconstruction de « Notre Dame de Paris » aillent aux misérables, aux sans-abris ou aux réfugiés de l’Aquarius.

Générosité financée par le contribuable !

Comme on peut le lire dans le « Sud-Ouest » juste après l’incendie : « Aucun des communiqués des bienfaiteurs ne mentionnait que leur générosité serait en grande partie financée par les contribuables. Depuis une loi votée en 2003, à l’initiative de l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, le mécénat d’entreprise bénéficie d’avantages fiscaux : 60% des sommes versées sont déductibles de l’impôt sur les sociétés. Un système sans équivalent en Europe. Le musée d’art contemporain édifié par la fondation Louis-Vuitton (LVMH) à Paris a ainsi coûté la bagatelle de 500 millions d’euros aux finances publiques… »

En effet, tandis que les dons pour la rénovation de Notre-Dame de Paris devraient atteindre le milliard d’euros dans la journée, certaines personnalités de gauche pointent du doigt un manque de solidarité sur les questions sociales.

En France, il y a de la pauvreté, mais aussi une minorité  de riches qui ne payent presque pas d’impôts, et qui d’un claquement de doigt débloquent des millions d’euros pour Note Dame de Paris.

Il y a la famille Pinault qui face à la polémique a renoncé à la déduction fiscale. Bernard Arnault, qui a également annoncé que les dons de sa famille et du groupe LVMH ne seraient pas défiscalisés, a déclaré : « C’est assez consternant de voir qu’en France, on se fait critiquer même quand on fait une œuvre d’intérêt général. Dans beaucoup d’autres pays, on se serait plutôt félicité. Dieu y reconnaîtra-t-il les siens ? »

Les Gilets jaunes

Contrairement à ce que font croire les grands médias, les Gilets jaunes ont bien rendu hommage à Notre-Dame. Ce qu’ils dénoncent en revanche c’est bien l’opération d’instrumentalisation de l’incendie de Notre-Dame menée conjointement par le gouvernement et le grand patronat.

Pour la macronie, toutes les occasions sont bonnes pour tenter d’éteindre la mobilisation des Gilets jaunes qui persiste et s’ancre depuis maintenant 5 mois. Après les attentats de Strasbourg, la répression, la propagande « anticasseurs », le gouvernement a tenté cette semaine d’instrumentaliser l’incendie de Notre-Dame pour imposer aux Gilets jaunes une trêve politique les dissuadant d’aller manifester. Avec entre autres la rhétorique de l’union nationale et du deuil national. Appuyé par les médias, qui n’ont pas hésité, comme France Info, a titré : « Les Gilets jaunes doivent-ils renoncer à leurs 23ème journée après l’incendie ? » et toutes autres phrases de ce genre.

Paradoxalement, la famille Arnault, Pinault ou Betancourt, qui ont tenté de faire preuve d’un élan de solidarité, licencient des milliers de salariés au nom justement d’un soi-disant manque de bénéfices et d’argent dans les caisses… Dans une période de profonde crise sociale, que le mouvement des Gilets jaunes exprime, l’opération donation opérée par ces grandes fortunes du patronat était une manière de se faire une bonne publicité en apparaissant comme œuvrant pour l’intérêt général.

Comme on peut le lire dans certains médias, cette opération, ratée,  du patronat, n’a pas permis de réduire la fracture existante ces fortunes et les millions de personnes qui, de plus en plus précarisées, triment au quotidien pour s’en sortir. Bien au contraire, elle a cristallisé une nouvelle fois les inégalités sociales criantes et est revenu remettre en cause les discours visant à justifier les politiques antisociales et austéritaires par la crise économique, en montrant une nouvelle fois que de l’argent il y en a bel et bien : dans les poches du patronat et des classes dominantes.

Tout pour Notre Dame, rien pour les misérables

Je suis indigné par ce déferlement de dons pour reconstruire Notre Dame De Paris. Les pierres, le tourisme, la gloire, seraient-ils devenus plus importants que les hommes et les femmes ? Que faisons-nous pour sauver les migrants de la noyade, pour accueillir l’étranger sans toit chez nous, pour donner un logement décent à toutes et tous, soutenir les agriculteurs et les habitants du monde rural qui vivent dans la précarité ? L’humain serait-il moins important que de la pierre ?

C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches, disait Victor Hugo. Et comme on peut le lire dans le livre du prix Nobel Français en économie, Thomas Piketty « Le capital au XXIe siècle » :

« Dans toutes les civilisations, le fait que le détenteur du capital obtienne sans travailler une part substantielle du revenu national et que le taux de rendement du capital soit généralement d’au moins 4 %-5 % par an a suscité des réactions violentes, souvent indignées, et des réponses politiques de diverses natures. L’une des plus répandues est l’interdiction de l’usure, que l’on retrouve sous différentes formes dans la plupart des religions, en particulier dans le christianisme et l’islam.

Les philosophes grecs étaient également très partagés sur l’intérêt, qui conduit à un enrichissement potentiellement infini, puisque le temps ne cesse jamais de s’écouler. C’est ce risque d’illimitation que pointe avec insistance Aristote lorsqu’il souligne que le mot «intérêt» en grec (tocos) veut dire «enfant». Pour le philosophe, l’argent ne doit pas engendrer l’argent. Dans un monde de croissance faible, voire infinitésimale, où la population comme la production sont quasiment les mêmes d’une génération sur l’autre, ce risque d’illimitation semble particulièrement destructeur. »

Par Mustapha Bouhaddar pour Maghreb Canada Express,, page 13, Vol. XVII, N°5 , Mai 2019.

(image : Wikimedia Commons

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