MustaphaJe n’ai pas l’habitude d’écrire sur des écrivains que je n’ai point lus, mais après avoir hésité un moment, j’ai décidé d’écrire sur ma compatriote ces quelques lignes pour rendre hommage à son talent de poète et d’écrivaine.

En effet, ses livres sont écrits en hollandais, et hélas ne sont pas traduits, et c’est frustrant de ne pas pouvoir les lire. Elle a fait une lecture admirable à la télévision, des poèmes du poète et écrivain américain Charles Bukowski devant un public médusé et admiratif. A la fin de la lecture, elle a eu un standing ovation.

Naima El Bezzaz, avait un caractère bien trempé et n’avait pas la langue dans sa poche. C’était un esprit libre. Elle dit ce qu’elle pense sur tous les sujets, y compris l’islam, ce qui lui a attiré la foudre de la communauté musulmane résidante au pays bas. Une communauté qui a fini par avoir sa peau.

En effet, ses écrits audacieux sur le sexe et la religion en Hollande étaient très mal vus par certains membres de sa communauté, et elle a, à plusieurs reprises, reçu des menaces de mort.

Écrire ou mourir

L’écrivaine Naima El Bezaz est née en 1974 à Meknès au Maroc, et a vécu depuis l’âge de 4 ans aux Pays-Bas. À 18 ans, la jeune Naima participe à un concours de poèmes et le remporte.

En 1995, elle entame sa carrière d’écrivaine et publie son premier livre « De weg naar het noorden », grâce auquel elle remporte le premier titre du prix Jenny Smelik-IBBY, son livre est classé dans le top 10 des livres les plus achetés au Pays-Bas.

Nul n’est prophète en son pays, j’ai découvert l’existence de Naima El Bezzaz, il y a seulement quatre ans, lors d’un voyage à Amsterdam. Je l’ai vue dans une  émission de télévision, alors je suis allé sur wikipedia où j’ai lu sa biographie. A part la communauté marocaine des pays bas, rares sont les Marocains (es) qui connaissent son existence. Et pourtant, en 2006, elle sort son livre « De verstotene », où elle incarne le personnage de Mina, une jeune fille avec une double culture, occidentale et orientale, qui peine à s’intégrer dans la société.

A propos de ce livre elle a dit : « j’ai choisi exprès une fille ayant deux cultures. C’est une métaphore de la société occidentale actuelle. Il s’agit ici d’un déracinement de la culture marocaine. Elle peut s’intégrer autant qu’elle veut à la société, les autres la verront toujours différente. Ton ADN d’étrangère restera toujours en toi, et les autres le remarquent via ta façon de parler, de réfléchir et de penser »

Ses positions, notamment ses propos dans ses ouvrages traitant différents sujets tels la condition féminine, la sexualité, l’immigration, l’identité, la religion et la dépression. S’en suivent des insultes et des menaces de mort émanant des ses propres compatriotes. C’est le début de la fin.

Son dernier ouvrage, « Au service du diable », est apparu en 2013, l’écrivaine plonge dans une grave dépression et se fait interner dans un hôpital psychiatrique.

En mois de juillet dernier, Naima a fait son retour sur les réseaux sociaux, et à peine un mois après, l’écrivain marocain Abdelkader Benali a fait l’annonce de son suicide sur son Twitter.

En effet, Naima El Bezaz s’est défenestrée depuis le 6? étage de l’appartement de ses parents à Alphen-sur-le-Rhin, à l’âge de 46 ans, laissant derrière elle deux filles, comme rapporté par plusieurs médias.

La dureté de l’exil

Naima El Bezaz  était discriminée et moquée à l’école par rapport à ses origines nord-africaines. Adolescente, elle déménage à Zaandam dans le quartier de Vinexwijk. Âgée seulement de douze ans, elle révèle à l’école son envie d’écrire un livre. Victime de moqueries, elle décrit dans un livre : « Même mes professeurs ne me prenaient pas au sérieux. Les gens me regardaient et se disaient constamment: celle-ci ne va jamais réussir.

Âgée de dix-huit ans, elle participe à un concours de poèmes et remporte le concours avec une invitation au Meervaart. Elle y participe devant un public de quatre cent personnes. Lorsqu’elle rentre sur scène, une partie du public lui jette des cacahuètes.

Si Naima El Bezaz a fini par abandonner son combat contre la dépression, elle n’avait en revanche jamais abandonné sa bataille contre les tabous sous toutes leurs formes, dans le pays qui l’avait accueillie, et dans lequel elle s’était forgé une grande réputation.

Sa renommée, elle la doit entre autres à l’un de ses livres, Vinex Woman (2010), du nom de son quartier de résidence, Vinexwijk, dans la ville de Zandaam.

Paru pour la première fois voici dix ans, ce roman est une analyse impitoyable de la sexualité, telle qu’elle est vécue dans ce quartier. Ce roman, le troisième de Naima El Bezaz, avait énormément dérangé une certaine bien-pensance, car il évoquait sans fards la double culture et son corollaire, les problèmes identitaires, ainsi qu’une impossible intégration, sans compter un certain racisme dont souffrent de nombreux membres de sa communauté.

En 2013, elle avait publié son dernier ouvrage, ‘’Au service du diable’’, et avait été invitée par le Conseil supérieur de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) à participer à l’évènement « Marocaines d’ici et d’ailleurs ». Ceux qui avaient eu le plaisir de la rencontrer à cette époque se souviennent d’une écrivaine à la fois talentueuse et torturée.

Pendant que les Européens érigent des statues à l’effigie de leurs écrivains, nos compatriotes marocains résidants aux Pays-Bas les torturent et les poussent au suicide.

Une fin tragique pour une écrivaine pleine de promesses. Qu’elle dorme en paix!

Par Mustapha Bouhaddar, pour Maghreb Canada Express, Vol. XVIII, N°09 , page 7, Septembre 2020.

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