Par Dr Mohammed Mraizika (Chercheur en Sciences Sociales, Diplômé en Philosophie morale et politique, Consultant en Ingénierie culturelle)

mraizika-mohammed2Dans la vie tout est question de mesure, dit-on. Certains aiment le chocolat au point de lui dresser un piédestal de cinq tonnes. D’autres préfèrent les fleures et les offrent sans compter. Il y a même qui rêvent de droits constitutionnels (MRE). Jacques Brel, pour qui les fleurs sont périssables, préfère les bonbons. Et moi et moi !!!

  • Moi, l’enfant de l’Atlas, gelé, enclavé, recroquevillé dans un coin humide de ma chambre, je suis philosophe. Ce qui se passe en bas, à Mahaj Riad, à Rabat, ou dans des bureaux feutrés où le chocolat coule à flot par la grâce d’« une mère noël » généreuse et intentionnée, ne me concerne pas.
  • Moi, je vous l’avoue, je n’ai jamais eu une crise de foie à cause d’un trop plein de chocolat. Les affaires de fleurs et de cadeaux qui sentent la gabegie et la manigance ne me parlent pas.
  • Moi, les fleurs que je préfère sentent le thym et le romarin, l’eucalyptus et le pin. Ici, se sont des femmes dignes et courageuses qui cueillent nos fleurs et traquent, des journées entières, les quelques broussailles et morceaux de bois pour chauffer nos foyers humides le soir.
  • Moi, l’enfant d’Anfgou, comme les braves d’Azilal et d’ailleurs qui n’ont pas choisi de naître et de vivre dans ces bourgs et villages oubliés de tous sauf de la « mort blanche », je souffre dans la dignité et le silence. Ma scolarité est hachée, mon hiver glacial, mon été infernal et mon avenir incertain. Les fleurs, le chocolat, les lois organiques, la « bonne » gouvernance, la caisse de compensation, les Universités libres, la vision 2020, la villa de 800 m2, les agréments de transport et de pêche, le mémorandum de l’Istiqlal, ne me concernent pas.
  • Moi, l’enfant dépourvu de tout, menacé par la « mort blanche » qui rode impitoyablement l’hiver dans ma région, j’ai ma fierté. Fier quand j’entends ma mère,  digne et déterminée, déclarer à la face du monde que nous ne mangeons de la viande, bon an, mal an, qu’une fois par mois. Fier lorsque mon père a daigné appeler le monde d’en bas à la solidarité pour que mes frères et leurs copains aient des habits chauds et des repas réguliers pour supporter les affres du froid.

Les affaires  de fleurs et de chocolat,  qui font jaser à Mahaj Riad et Maroclear, sont tristes et écœurantes. Je vous le concède. Ce n’est pas simplement une histoire d’éthique et de morale, de valeurs et de juste mesure ; c’est pire et plus que cela. Et si ces affaires soulèvent la lancinante question de la bonne gouvernance et du bon usage des deniers publics, elles ne font bouillir ni ma marmite, ni chauffer mon foyer et mon corps ou équiper ma classe.

Si ces affaires révèlent le peu de considération qu’ont certains dirigeants de l’intérêt général, les sommes faramineuses qu’elles ont englouti n’arriveront jamais jusqu’à mon village, mon assiette et mon école.

Et si elles ont le mérite de mettre face à face deux mondes qui s‘ignorent, celui d’en haut, le mien, et celui d’en bas, elles ne seront jamais l’élément déclencheur de politiques publiques qui viendraient briser mon isolément et se pencher sur ma santé et ma scolarité.

Alors,  cette colère et cette indignation de circonstance qui agitent le petit monde d’en bas, qui ne dureront que le temps d’une chansonnette, ne me touchent pas.

Moi, l’enfant de l’Atlas, qui a entendu parler d’équité et de réconciliation, de réparation et d’indemnisation, j’appelle de tous mes vœux une colère créatrice et des décisions fortes et suprêmes  pour pouvoir venir à bout de cette malédiction qui frappe mon village et mon foyer et qui a pour nom l’isolément, la marginalisation, l’oubli, la faim et la pauvreté.

Quant à vos histoires de chocolat et de fleurs, elles sont indigestes pour moi.

By AEF