Par Anas Abdoun, Étudiant en Sciences Politiques à l’Université de Montréal
Cela fait maintenant un peu plus d’une dizaine d’années que les relations internationales au Moyen-Orient sont rythmées par la rivalité éternelle entre le royaume d’Arabie-Saoudite et la république islamique d’Iran.
L’identité islamique fondamentale des deux pays rivaux sont à la base de leurs influences au Moyen-Orient. En effet, l’Arabie saoudite aime répéter qu’elle est le berceau de l’islam et terre de naissance du prophète Mohamed, ce qui lui confère son caractère sacré. Le contrôle des lieux saints donne ainsi au royaume un magistère religieux important dans l’ensemble du monde musulman. La religion, en plus d’avoir une place centrale au royaume est à la base même de sa légitimité internationale et ce sur quoi s’appuie tout son soft power.
La république Islamique d’Iran quant à elle, se considère comme le seul véritable régime islamique. Après la révolution en 1979, l’Ayatollah Khomeiny donne ordre d’exporter la révolution à d’autres pays et fait de l’Iran la puissance protectrice des minorités chiites du Moyen-Orient. L’affrontement politico-religieux entre les deux pays est alors inévitable, en effet le wahhabisme saoudien décrit violemment le chiisme comme sectaire et hérétique. Tandis que l’Ayatollah Khomeiny voit dans l’Arabie Saoudite une monarchie corrompue et ne reconnait pas son statut de garante des terres saintes de l’islam.
Ainsi, l’affrontement régional entre les deux puissances bien qu’il avait un caractère religieux s’est cantonné dans un premier temps à une lutte d’influence dans la région.
À l’image du Liban où en 2006, il était connu de tous que le Hezbollah recevait son soutien financier et militaire de l’Iran. Ainsi, la résistance de la milice libanaise face à Israëla eu un écho dans tout le monde arabe faisant passer l’Iran comme championne de la résistance musulmane. Aussi tôt, l’Arabie Saoudite réagit avec sa traditionnelle diplomatie du chèque, et se classe en tête des pays donateurs pour la reconstruction du Liban, en vue de contrebalancer l’influence iranienne.
Cet exemple d’influences et de contre influences peut être généralisés à tous les autres pays de la région pendant les années qui ont suivi.
Nous pouvons jusqu’à ce stade analyser la situation géopolitique du Moyen-Orient comme une rivalité politique, comme l’on en a vu dans tant de régions du globe et tant de fois dans l’histoire.
Néanmoins, force est de constater que cette pseudo-guerre froide, s’est brusquement réchauffée à la suite de ce que l’ont appelé communément le printemps arabe.
L’arrivée des soulèvements populaires contre les régimes en place, ont donné lieu en Syrie, à une guerre interposée entre les deux puissances, les Iraniens soutiennent le régime d’Al Assad, tandis que les Saoudiens financent et arment la rébellion.
Cette guerre, a provoqué un changement dans les relations internationales au Moyen-Orient, le tournant qui à été opéré depuis quelques années à été de transformer cet affrontement politique en guerre religieuse, fait peser au Moyen-Orient une atmosphère dangereuse, et dès plus triste, celle d’une guerre fratricide qui se déroule sous nos yeux.
Ce tournant de la guerre entre sunnites et chiites initiés par les Wahhabites, instrumentalisés ensuite par les Alaouites tend à pousser toute la région vers les plus sombres heures de notre histoire celle de la division et de l’affrontement intra-communautaire. Au moment où le monde arabe a le plus besoin d’unité et de réconciliation, certains veulent rejouer la version contemporaine de la bataille de Siffin.
Les Saoudiens ne retenant pas les leçons de l’Afghanistan, continues de financer et d’armer les groupes extrémistes religieux sans savoir qu’ils finiront par se retourner contre la main qui les a nourris à l’image des Moujahidins. Al-Nosra et les autres combattent la dictature en place sans aucune volonté de démocratisation du régime, ou d’alternance politique, mais à la seule fin, que les dirigeants du pays sont de confession alaouite. L’occasion est trop belle pour le régime en place, de marginaliser l’opposition et de faire miroiter à la Syrie un choix qui n’en n’est pas un, la stabilité de la dictature ou le chaos des djihadistes.
Il est important de prendre conscience de la conséquence de l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques, les précédents dans l’histoire ne manquent pas à l’image de l’affrontement particulièrement sanglant entre Catholiques et Protestants au 17ème siècle.
La guerre de trente ans en Europe s’est déroulée de 1618 à 1648, avait pour origine des rivalités commerciales et hégémoniques importantes entre les différentes principautés. Ces dernières se sont servies de l’opposition religieuse grandissante entre les partisans de Luther et de la contre-réforme en vue d’assouvir leurs ambitions politiques. Le résultat est aujourd’hui connu de tous, beaucoup de régions en Allemagne ont vu leurs populations décimées, les exactions ont été nombreuses, sans compter, la période de disette et d’épidémies qui ont suivi après la guerre. Certaines régions comme la Saxe ou l’Alsace ont perdu jusqu’à la moitié de leurs populations.
Ce petit aperçu de la guerre de 30 ans nous renvoie tous à ces vastes camps de réfugiés installés en Turquie et en Jordanie, où la population syrienne paye le prix de cette guerre folle et meurtrière. Cela nous renvoie également à la multiplication des attentats contre les musulmans chiites en Irak ou au Pakistan, à chaque fois très lourd en bilan humain. Il nous importe peu de savoir quel est le camp qui est à blâmer et lequel mérite notre soutien, l’expérience nous montre trop souvent que les questions internationales sont loin d’être aussi binaire qu’un échiquier noir et blanc.
Ce qui m’’importe en revanche, c’est de comprendre, pourquoi cette guerre fratricide entre sunnite et chiite gagne les esprits ici au Canada, où il n’est plus rare d’entendre les refrains de comptoir habituels, contre les musulmans chiites. Nous sommes par le biais de l’ensemble des chaines satellitaires du golf arabo-persique entrain d’absorber cette vision de fermeture, de rejet et de haine de l’autre, qui est contraire aux valeurs musulmanes et à la tradition d’ouverture et de tolérance que l’on vit dans notre vie quotidienne ici. C’est précisément le contraire qui doit être fait, exporter notre expérience de vivre ensemble, notre tradition de dialogue inter religieux, et le respect de nos différences. Il s’agit de montrer aux pays d’origine à la lumière de la réalité qu’est la nôtre qu’un autre modèle est possible, une cohabitation dans le respect et la tolérance.
La nation arabe tend tout juste de sortir d’une division politique qui dure depuis 30 ans entre la mouvance de l’islam politique d’une part et la vision nationaliste laïque de l’autre. Les deux mouvements politiques ayant enfin compris qu’ils ne pouvaient pas simplement éliminer l’autre courant et que la coexistence était somme toute inéluctable.
À ce titre, le printemps arabe à été une formidable démonstration de la capacité à faire fit de ces petites différences. Ces manifestations plurielles en Égypte avec les laïcs, les coptes et les musulmans dans la même foule portant tous le même message contredisant l’ensemble des orientalistes dans leurs visions binaire du monde arabe. Cette vision du tant entendue dans les capitales occidentales, celle de la dictature dite éclairée et donc par définition laïc ou celle des islamistes philosophiquement et fondamentalement incompatible avec un quelconque exercice démocratique du pouvoir.
Force est de constater aujourd’hui que l’on à remplacer une division par une autre, que l’affrontement n’est plus politique mais religieux, que les moyens ne sont plus politiques mais militaires que ce soit, dans les rues d’Alep, dans les marchés de Bagdad, ou encore dans les quartiers sud de Beyrouth. Au Liban, nous avons vu depuis la guerre civile syrienne la multiplication des attentats et des affrontements communautaires, et avec eux la crainte croissante de la population qui sait plus qu’aucune autre, le lourd tribu à payer d’une guerre au nom de Dieu.
Tandis que le monde arabe s’enfonce un peu plus dans la polarisation et la division, le pays qui profite le plus de ce chao régional est incontestablement Israël, accélérant ses projets de colonisations et développant une diplomatie plus offensive que d’ordinaire. Ces derniers jours, la mairie de Jérusalem a approuvé les projets de constructions de 184 nouveaux logements à Har Homa. De plus, la semaine dernière l’aviation israélienne a bombardé des positions du parti islamiste sunnite du Hamas à Gaza, ainsi que des installations du parti islamiste chiite du Hezbollah au sud Liban. Les frappes ont été ordonnées par Benjamin Netanyahu, Premier ministre d’un gouvernement de coalition comprenant, des nationalistes, des laïcs et des religieux ultra-orthodoxes, pas d’accord sur beaucoup de dossiers, mais qui se retrouvent toujours pour l’intérêt suprême de l’État. Un exemple à méditer…
Citer cette article : Source : Maghreb Canada Express, N°04, Vol. XII, Avril 2014, page 14.