L’une des leçons à tirer de cette cris ukrainienne et que l’Union Européenne reste ce qu’elle a toujours été : Un géant économique, mais un nain politique !
Le 21 novembre 2013a commencé le phénomène de contestation contre le pouvoir en place en Ukraine qui a rapidement pris des tournants de révolution. La contestation populaire qui regroupait essentiellement des ukrainiens non-russophones avait d’abord pour origine le refus de l’ancien président Ianoukovitch de signer les accords avec l’Union européenne. La contestation se radicalise et les affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre sont, de plus, en plus violents et finissent par la destitution et le départ du président Ianoukovitch du pays et son refuge naturel en Russie.
L’une des premières décisions de la Rada après avoir doté le pays d’une nouvelle constitution est d’abolir le statut régional de la langue russe qui prévalait dans 13 des 72 subdivisions administratives dont la capitale Kiev. Cette nouvelle élite dirigeante visiblement tournée vers Bruxelles et résolue à couper tous les ponts avec Moscou est très mal perçue par la minorité russe du Pays qui voit leur statut menacé à l’image des habitants de Crimée. Dès fin février, la Crimée annonce qu’elle refuse de reconnaitre les autorités provisoires du pays. Le Parlement ne tarde pas à voter l’organisation d’un référendum concernant le rattachement à la Russie. La région séparatiste proclame son indépendance le 11 mars, et une semaine plus tard Vladimir Poutine ratifie l’accord confirmant l’annexion de la Crimée par la Russie.
Au cours des semaines qui ont suivi l’ensemble des intellectuels, qu’ils soient juristes ou historiens, ont été invités pour débattre quant à la légalité ou pas de la séparation de la Crimée de l’Ukraine. D’aucuns étaient partisans de l’argument du droit à l’autodétermination soulignant que la Crimée a historiquement toujours été russe, qu’elle renferme un nombre important de russophones qui ne sont pas considérés dans la nouvelle Ukraine et que les attaches identitaires de la population sont davantage tournés vers la Russie que l’Europe occidentale. D’autres blâment cette décision qui va à l’encontre d’un autre point fondamental du droit international qui est la souveraineté nationale.
DÉBAT D’INTELLECTUELS
Pour ces derniers, il appartenait aux nouvelles autorités de Kiev seules, de déterminer si la Crimée doit rester en Ukraine ou peut demander son indépendance, voir son rattachement à un pays tiers. Le débat entre les partisans du droit à l’autodétermination et ceux de la souveraineté est vieuxc omme le monde, la vérité, c’est que les mêmes qui utilisaient ces arguments pour le cas de la Crimée ont utilisé les arguments inverses concernant l’indépendance du Kosovo.
En effet, tandis que Moscou soutient l’autodétermination dans le cas de la Crimée, elle y était formellement opposée dans le cas du Kosovo et inversement Washington et la plupart des chancelleries occidentales qui soutiennent la souveraineté nationale dans le cas de la Crimée n’en ont eu que faire dans le cas du Kosovo. En somme, indépendamment des deux positions juridiques et au delà de la conception philosophique des deux arguments, tout le monde l’aura compris : c’est naturellement d’abord les intérêts géostratégiques qui priment.
Il était inconcevable que la Russie puisse perdre la Crimée et la base de Sébastopol qui aurait eu pour conséquence l’impossibilité pour la marine russe d’avoir accès aux mers chaudes. De la même manière, il était dans l’intérêt direct des États-Unis et de l’Union européenne de réduire l’influence russe en se basant sur les nouvelles autorités ukrainiennes davantage tournés vers l’occident.
LA RUSSIE A CHANGÉ
Il y a deux leçons géopolitiques à tirer de cette crise européenne : La première d’entre elles est de prendre conscience que la Russie de Vladimir Poutine n’est plus celle qu’Eltsine a légué il y a un peu moins de 15 ans. Il faut préciser que les autorités russes sont sorties de la guerre froide avec une grande dignité quant à ce qui attrait à leurs négociations avec les Américains; l’une des clauses des accords bilatéraux était que l’Europe de l’Est ne rejoigne pas l’OTAN et qu’elle reste une zone neutre à l’abri de l’influence des deux superpuissances.
Néanmoins de 1999 à 2004, poussé par les États-Unis, l’OTAN a élargit son adhésion aux pays de l’est, dont l’Estonie et la Lettonie qui ont une frontière terrestre avec la Russie. Moscou depuis ce temps ne perçoit plus l’OTAN comme un partenaire fiable et de confiance.
Ainsi, fort des revenus gaziers du pays, Poutine renoue le pays avec l’idée de puissance, avec la volonté de peser dans les grands dossiers du monde, au premier rang duquel l’Europe de l’Est que la Russie voit comme sa zone d’influence naturelle, un peu comme Paris voit l’Afrique sub-saharienne.
Vladimir Poutine ne transigera pas sur le dossier de la Crimée, il s’agit en plus d’un intérêt géopolitique primordial, d’une fierté nationale, l’idée pour les Russes de corriger les erreurs de l’histoire due à la faiblesse passée de la Russie. Enfin, les sanctions européennes et américaines n’ont pas de quoi effrayer la Russie, qui vient de signer un contrat énergétique avec la Chine de 400 Milliards de $. Or, lors de son passage à Alger les 2 et 3 avril dernier, John Kerry, le Secrétaire d’État américain, avait souhaité que l’Algérie lui promette de pallier une éventuelle baisse des livraisons de gaz russe en Europe dans les mois prochains. Mais les autorités algériennes ont été incapables de répondre favorablement à cette demande, la production du gaz national est en chute depuis quelques années déjà. La Russie a donc trouvé un débouché commercial pour son gaz, tandis que les Européens sont dans l’incapacité de remplacer le gaz en provenance de l’est.
L’UE : UN NAIN POLITIQUE
La deuxième leçon à tirer de cette cris ukrainienne et que l’Union Européenne reste ce qu’elle a toujours été : un géant économique et un nain politique. En effet, les Européens n’arrivent toujours pas à dépasser leurs divisions entre les maximalistes anti-russes comme la Pologne ou le pays baltes et ceux comme l’Allemagne et la France qui veulent garder la Russie dans les négociations.
La Commission européenne est idéologiquement anti russe de peur de déplaire aux pays membres anciennement soviétiques, qui pèsent sur les institutions communautaires. Néanmoins, les principales puissances européennes n’ont pas intérêt à continuer l’escalade avec Moscou, à l’image de l’Allemagne qui reste très dépendent du gaz russe ou du Royaume-Uni qui connait un investissement massif à Londres et dans la City de la part de nombreux oligarques russes. La Crise Ukrainienne apparaît d’abord comme un bras de fer entre Washington et Moscou et Bruxelles relayé au deuxième plan. À l’image de la Bosnie ou du Kosovo, l’Union Européenne est dans l’incapacité de régler les crises politiques aux portes de ses frontières.
Nous avons jusque là compris les divergences européennes, et les intérêts russes et américains. Mais qu’en est-il de l’Ukraine ?Où réside l’intérêt de Kiev ?Doit-elle se rapprocher de l’Union Européenne ou développer une relation spéciale avec la Russie ?Cette question fondamentale est paradoxalement celle que personne ne se pose en Ukraine. En effet, les considérations linguistiques développent une approche identitaire quant au rapport à la politique. Les personnes soutenant un rapprochement avec Moscou le font parce qu’ils sont russophones et vice et versa. La question sociale et le ras le bol de la corruption et du clientélisme qui était à la base de la contestation à la place Maïdan ont totalement été écartés au profit d’une politique de division identitaire. Les nouveaux dirigeants ukrainiens se laissent entrainer dans une nouvelle guerre froide dont la seule perdante sera l’Ukraine.
En effet, actuellement les choix qui s’offrent à l’Ukraine de par cette bipolarisation vont à l’encontre des intérêts politiques et économiques du Pays. Il est certain qu’il est irresponsable de la part des Ukrainiens de se jeter dans les bras de l’OTAN, sachant que l’Ukraine n’est qu’une petite pièce pour les états unis dans la partie d’échec qui l’oppose à la Russie. La maison blanche n’hésitera pas à lâcher Kiev pour une contre partie intéressante de la part du Kremlin sur la question syrienne ou iranienne. De la même manière, il n’est pas dans l’intérêt économique de l’Ukraine d’intégrer l’Union européenne, les secteurs industriels du pays ne sont pas du tout compétitifs avec ceux de l’Europe occidentale. Il faudra des dizaines de milliards de dollars d’investissement massif rien que pour remettre l’industrie du pays au niveau de l’Europe occidentale. De plus, la seule réponse que peut apporter Bruxelles aux problèmes structurels que connaît l’Ukraine, c’est une politique d’austérité et de compétitivité qui passe inéluctablement par une dégradation des politiques sociales du pays, déjà très pauvre. Enfin, les régions industrielles de l’est du Pays sont totalement dépendantes de l’énergie russe.
L’intelligence politique aurait été de s’inspirer des modèles structurels européens pour développer une industrie compétitive à la Russie, qui est une puissance importatrice. Cette politique aurait permis à l’Ukraine de garder les tarifs préférentiels du gaz russe, de se rapprocher de l’Union européenne avec la confiance de Moscou, et au niveau diplomatique d’être le pont qui manque cruellement aujourd’hui entre l’Union européenne et la Russie. Au lendemain de la chute de président Ianoukovitch, les dirigeants ukrainiens ont eu la possibilité de reconstruire le pays sur de nouvelles bases, en reconnaissant la minorité russe et donner un statut particulier à la langue Russe. L’union nationale est la condition sine qua non pour redresser un pays qui est miné par la corruption, la pauvreté le chômage et une inégalité sociale criante.
Néanmoins, mettre la lumière sur les problèmes du pays aurait eu pour conséquence de mettre fin aux privilèges de ces mêmes politiciens à la tête du pays, qui ont trouvé plus faciles de s’attaquer à la minorité russe plutôt que de s’attaquer aux problèmes économiques et sociaux de l’État. On prend les mêmes et on recommence !
Par Anas Abdoun, Maghreb Canada Express, Volume XII, N°6, Juin 2014.