Du haut de ses trois pommes et demi, les demis et les quarts sont importants à ces âges là, Saber se voudrait plus vieux.

Avec ses allures d’un gamin de sept ans e demi qui se voudrait plus cohérent que les chérubins de sa génération, Saber est déjà un grand monsieur, un interlocuteur à prendre au sérieux dans sa conception de l’échange avec les adultes.

Il ne rate jamais une occasion pour se faire une place dans une discussion, de s’imposer comme entité partie prenante des débats et comme un intervenant à prendre au sérieux.

Menu. Petit comme une copie masculine de Fifi-Brin d’acier. Maigrichon solide comme les cyclistes du tour de France, Saber a du nerf plus que des muscles et des mots plus que d’appétit.

Il use de son atout verbale qui lui permet d’escamoter toutes les ponctuations d’un discours qui lui coupent le sentier de l’attention tant revendiquée. Une virgule, un point, une exclamation ne sont pour lui qu’un handicap qui risque de laisser un espace temps libre à d’autres intrus pour intervenir dans son monologue. Chaque silence est une occasion pour lui voler l’exclusivité de la parole conquise, gagnée et imposée aux interlocuteurs qui sont ramenés à des oreilles passives qui devraient le suivre discourir en exclusivité.

Être meneur est pour lui une mission et une charge pour museler l’entourage et dominer les débits de la parole. Saber est un totalitariste quand il est question de monologue.

Saber a surtout cette capacité de mouliner la parole comme d’autres moulinent les pédales de leurs vélos au tour de France. Dopé par les sucreries et surtout par l’attention des adultes.  Verbomoteur, loquace, moulin à paroles, volubile et linguiste expert car les mots comme les phrases lui donnent le droit absolu de les traumatiser, de les alambiquer, de les peindre, de les enjoliver et aussi de les massacrer. Saber est le maître du mot final.

Il parle. Il réfléchit, il extrapole, il donne ses opinions sur tous les sujets et argumente avec une logique qu’il s’est approprié en apanage, loin des raisonnements infantiles des mômes de  son âge. Induction et surtout déduction.

Saber n’aime pas être soumis aux ordres des adultes mais il accepte de suivre les directives expliquées.

Je lui prends la main pendant que sa sœur aînée s’agrippe docilement à mon autre main parce que traverser la rue est non seulement un mouvement banal mais surtout un apprentissage vital.

Au retour d’une escapade à la quête de bonbons et du glacé  » Mister Freeze », La grande sœur voulant faire plus au courant des sujets des adultes, m’interpelle:

-Sais-tu ‘Ammou (Tonton) Majid que mon père a perdu son père?

-Oui je sais! J’en suis désolé. Ton papa comme moi sommes orphelins…

Saisi et interloqué, Saber prend son temps. Doucement et contrairement à ses habitudes d’interrompre abruptement les discussions, il demande:

-Tonton Majid ! c’est qui être orphelin?

J’ai  su de suite qu’il s’était déjà fait une opinion et que sa question n’est posée que pour valider l’idée qu’il vient de se faire du constat.

– Quand on perd sa mère ou son père ou les deux, on est orphelin Saber…

Il prend son temps pour rétorquer, puis d’une voix grave et posée il tatoue le silence ambiant par une publication universitaire:

– Tu sais tonton! Le plus grand orphelin au monde, c’est Dieu! Meskine le pauvre !

Par Majid Blal, Maghreb Canada Express, Vol. XII, N°9, Septembre 2014.

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