Par Mraizika Mohammed (docteur en Sciences Sociales, Consultant en Ingénierie Culturelle…)

MRAIZIKALe discours royal du 30 juillet est, sans conteste, un diagnostic implacable des états de service de l’institution consulaire. Il dévoile ses travers et souligne les méfaits de ses dysfonctionnements sur ses rapports avec les MRE. Mais, en même temps, ce discours ouvre une perspective ambitieuse devant l’institution pour se réformer et évoluer. Cette approche est salutaire. Il y a de la rigueur, de la pédagogie et de la prescription au sens de recommandation thérapeutique. La question est : étant donné que le remède et son administration relèvent du Ministère de tutelle, le traitement serait-il à la hauteur du défi, des attentes du Souverain et des aspirations des MRE ?

L’arbre ne doit pas cacher la forêt

Les MRE sont en interaction continuelle avec des services publics et officines privées de toutes sortes. Cette interaction est compliquée. Elle leur donne souvent de l’urticaire. L’institution consulaire, aujourd’hui dans l’œil du cyclone, n’est en fait qu’une pièce d’un grand puzzle. Ce puzzle est aujourd’hui sens dessus dessous.

C’est un fait. Si l’institution consulaire est décriée c’est parce qu’elle n’a pas su mettre dans ses rouages de la proximité et de la modernité (nouvelles technologies de l’information et de la communication), de la performance (qualité de l’accueil, gain du temps, rationalisation des procédures) et du sang nouveau (ressources humaines qualifiées).

C’est enfoncer des portes ouvertes que de dire qu’un consulat ne doit pas être le reflet ou la reproduction à l’étranger d’une «moquata’a». Un Consulat est le dépositaire de l’image du pays, de son drapeau et de ses symboles ; il est donc tenu de veiller à leur valorisation, à leur promotion et à ce qu’ils soient, en toute circonstance, respectés. Un Consulat c’est une plateforme de services tenue à la performance ; c’est l’interface entre les MRE et leur pays. Et c’est à travers la qualité des prestations offertes qu’ils y percevront ’évolution de l’administration nationale et mesureront l’intérêt que leur accorde leur pays.

Au-delà, la fonction de Consul n’est pas une sinécure. N’est pas Consul qui veut. Le Consul est un élément clef dans les mécanismes de la diplomatie nationale au sens le plus noble du métier. Il a un rôle fondamental à jouer,au niveau de sa circonscription, dans tout ce qui touche à la « diplomatie culturelle », le partenariat institutionnel (municipalités, préfectures, décideurs, ONG, entrepreneurs).

Un Consul, centré sur sa personne et ses intérêts, enfermé dans son bunker (Consulat), coupé de son environnement est un Consul hors temps et hors contexte.

Au suivant…

Sans vouloir, outre mesure, «charger la barque », il serait juste de dire que le Consulat n’est pas le seul maillon faible de cette longue et lourde machine en charge des affaires MRE. D’autres pièces composent le puzzle. Ces pièces ne sont pas toutes à leur place et ne remplissent pas toutes leurs fonctions comme il convient, au grand désarroi des MRE.

Que penser et dire de ces nombreuses et tentaculaires officines qui sont, par la force des choses, en interaction avec les MRE, telles que la RAM, les Banques, les agences immobilières ou encore Western Union et Money gram?

Ne sont-elles pas des mammouths qui se sont engraissés grâce aux économies et transferts des MRE ? Quel est leur apport réel aux causes (culturelles, sociales et économiques) des MRE ?

Restons un instant sur la question des transferts de devises. La FIDA (Fonds International pour le Développement Agricole), estime que les transferts de l’Europe vers les pays d’origine des migrants ont atteint 109,4 milliards de dollars en 2014. Cette manne financière est, certes, une bénédiction pour les économies nationales et une aide appréciable pour les familles des migrants. Mais, ces transferts constituent surtout une « mine d’or » pour Western Union (croissance annuelle de 10%) et ses deux principaux conquérants, Travelex et Money gram. Les ponctions prélevées par ces opérateurs sur les transferts de devises des migrants sont excessives (15 % en moyenne pour 140 euros envoyés), sachant quedes commissions de 12,5% représentent (selon les experts financiers) entre 10 et 15 milliards de dollars par an.

Des experts de la Banque mondiale estiment « qu’une baisse de 5% seulement du coût de ces transactions permettrait d’augmenter de 3,5 milliards de dollars par an les sommes envoyées par les immigrés à leurs familles ». La minorisation de ces commissions apparaît, par conséquent, comme impérative et nécessaire.

Ne sommes-nous pas dans ce cas de figure face à un gigantesque abus de position dominante ?Rien qu’en 2014, les transferts de devises des MRE ont atteint 6,2 milliards de dollars. Ne seraient-ils pas gagnants si la dite baisse de 5% est appliquée à leurs transferts ? Que pense faire le gouvernement marocain pour capter ces sommes ?

La RAM et toujours la RAM…

Prenons un autre exemple, celui de la RAM, pour illustrer l’abus subit par les MRE dans le domaine du transport aérien. La RAM, avec une trentaine de destinations desservies (+ de 26 pays), s’impose aujourd’hui comme un opérateur majeur, notamment sur le Maghreb et le marché africain (l’évolution enregistrée au mois de mai 2014 est de + 48%). Elle a enregistré ces deux dernières années d’importants bénéfices :168 millions de dirhams en 2013 et 183 millions de dirhams (17 millions d’euros) pour2014 (soit une hausse de 9,3 %).

Rien d’étonnant car la RAM est la Compagnie qui ponctionne le plus ses clients, à leur tête les MRE. Son offre est la plus chère qui soit, avec en prime des tracasseries et des « ratés » (retards, pannes, perte de bagages, accueil déplorable…) à répétition. Tout cela au détriment de l’image de la Compagnie aujourd’hui ternie, pour le bonheur des Low-cost qui ont progressé de 25% (selon le PDG de la RAM).

On est donc bien loin des déclarations et promesses tenues au mois d’avril 2013 à Paris, à l’occasion de la signature d’une Convention censée apporter des avantages aux MRE. L’offre était alléchante : 40.000 sièges à bons prix, un produit sous le nom d’Omra «… pour les pèlerins désirant se rendre à la Mecque au départ de l’Europe avec un séjour au Maroc avant le départ vers les Lieux Saints »annonçait fièrement le Ministre des MRE, A. Mazouz, l’un des signataires de la Convention.

Dans les faits, cet élan de générosité de la RAMn’a pas fait long feu. Loin de franchir avec cette Convention un « nouveau pas » vers le renforcement de sa relation avec les MRE » comme le prétendait Mr Zouiten, la RAM s’acharne à les écœurer. A Orly, à New York, à l’aéroport de Trudeau (Montréal), en pleine période estivale, des MRE excédés et fatigués crient leur colère et appellent à son boycott.

Quant aux Banques marocaines, c’est une autre paire de manches. Ces Banques ont déployé depuis des décennies de véritables stratégies en vue de « canaliser et de capter » les fonds des MRE. Leurs comptes sont au beau fixe.

Mais, qu’offrent-elles aux MRE au retour ? Ont-t-elles développé des mécénats culturels, une assistance aux associations ou offert des bourses d’études pour les plus défavorisées des familles MRE ? Répondent-elles présent lorsqu’elles sont sollicitées pour le rapatriement des corps des plus démunis d’entre eux … ?

Quid de leur aide et encouragement aux MRE porteurs de projets économiques. Si les MRE attribuent en général les principaux obstacles à leur investissement dans leur pays à l’administration (lourde et compliquée) et au phénomène de la corruption et du clientélisme, ils pointent aussi du doigt les difficultés dues à l’accès au financement du fait d’un « système bancaire peu compétitif car peu tourné vers les entreprises ».

Assainir ce secteur c’est assurément débloquer des situations inextricables et encourager l’investisseur MRE à plus d’initiatives économiques et entrepreneuriales. Sinon comment peut-on inverser les tendances ? 10% seulement des transferts MRE sont destinés à l’investissement, alors que 20% vont vers des comptes d’épargne et le reste, 70%, est capté par la consommation.

Il serait aussi pertinent de regarder ce qui se passe du côté de « MDM INVEST» (Fonds de promotion des investissements des Marocains Résidents à l’Etranger) et autres dispositifs censés apporter aide et assistance à l’investisseur MRE.

L’autre point de friction et de contrariété pour les MREest représenté par une pléiade d’agences immobilières. Ces agences ne sont t’elles pas devenues des lieux de l’abus et de l’escroquerie même (vente d’appartements virtuels) ?Leurs exactions et leurs animateurs ne méritent-ils pas d’être vigoureusement sanctionnés ?

Les spoliations des biens MRE sont légion, mais tout le monde fait semblant de les minoriser. L’affaire est grave. Il suffit de relever le nombre de plaintes déposées devant les tribunaux marocains, de lire les lettres de doléances et les témoignages poignants pour se rendre compte de l’ampleur des drames et des abus que ces officines font subir aux MRE.

A bon entendeur…

Le gouvernement ne peut aujourd’hui, sous aucun prétexte, tenter de« noyer le poisson » en centrant toute l’attention sur les Consulats. Il ne peut surtout pas, après le discours royal du 30 juillet, louvoyer ou sortir avec des mesurettes.

Identifier le mal ne suffit pas à l’éradiquer. Il faudrait observer le protocole jusqu’au bout : prescrire le remède, l’injecter et veiller à ce qu’il ne provoque pas d’effets secondaires.C’est important

Il est plus que jamais nécessaire d’entreprendre, avec la rigueur et l’audace qui s’imposent, une réforme globale visant l’assainissement de tous ces secteurs qui constituent autant de « chemins de croix » pour les MRE.

Certes. La tâche n’est pas aisée ; ce n’est pas seulement une affaire d’organisation. C’est plus grave que cela. Ces officines sont des milieux où les mots lobbying, passe-droit et chasses gardées ont tout leur sens. Et si on décidait, avec toute la bonne volonté du monde, de leur appliquer la démarche pédagogique et thérapeutique promue par le discours royal du 30 juillet, il faudrait des tonnes de doses de vaccin.

Mais, comme le conseille si bien le proverbe, « qui ne tente rien n’a rien », cela vaut la peine d’essayer de dégraisser et d’alléger ce mammouth, qui s’alimente des économies et transferts des MRE, mais, ingrat qu’il est, il leur manque de respect et de reconnaissance. L’alléger c’est donner plus de fluidité, de clarté, de proximité, de rationalité, d’efficacité à tout le système en charge des affaires MRE.

N’est-il pas là le vrai sens du discours royal du 30 juillet ?

Que Dieu bénisse le Souverain.

Référence : Maghreb Canada Express, N° 08, VOL. XIII, page 17, AOÛT 2015

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