Quand dans un cas médical, le médecin ne dispose pas de toutes les données fiables sur la nature de la maladie, il a de fortes chances de se tromper de diagnostic. C’est ce qui arrive à la délégation ministérielle dépêchée le mois dernier sur Al Hoceima, et par ricochet au gouvernement. D’emblée, les deux bottent en touche.
Certes l’autorité de l’État doit prévaloir; mais il est parfois sage que celui-ci ne s’entête pas ; ce qui ne semble pas le cas, à entendre les deux voix les plus autorisées, Mr El Othmani et Mr El Khalfi pérorer en sens contraire. Rien d’étonnant de la part d’un gouvernement dont la répartition partisane – à quelques exceptions près- n’est en fait que la reproduction et le prolongement de l’Exécutif précédent, de Mr Benkirane- avec quelques rafistolages de surface – dont la responsabilité personnelle et institutionnelle est totale dans l’affaire, ayant passé ces mois de crise à, plutôt, manœuvrer pour se raccrocher, finalement vainement, au siège. Ce qui n’exclut pas non plus celle directe de quelques membres de la délégation en question qui portaient déjà individuellement la responsabilité de la détérioration de la situation, chacun dans le cadre de son département.
Mais il faut rendre à César ce qui appartient à César !
Que pourrait-on attendre, d’une institution qui depuis des lustres a toujours été réduite à la gestion et non au stratégique. Auquel s’ajoute malheureusement un échiquier politique dans son ensemble laminé qui passe son temps à préparer des congrès bidons et à s’étriper pour des raisons de propagande, de strapontins, et à l’arrière plan, de prébende.
Les provinces d’Al Hoceima et Nador- qu’il faut forcément inclure dans le canevas- souffrent d’un hiatus administratif qui grève l’harmonie de ces deux entités. Ces dernières ont toujours été ethniquement, linguistiquement, matrimonialement, socialement et commercialement comme deux sœurs jumelles sinon siamoises. Leur rattachement, l’une à la région de Tanger et l’autre à celle d’Oujda est perçue comme une sorte de césarienne, une violation d’un tissu social originellement homogène fondé sur une communion mentale ancestrale et sur une réciprocité d’intérêts obéissant à des règles et comportements souvent familiaux et tacites.
Une révision de l’assiette territoriale en vue d’une réintégration de ces deux entités en une communauté régionale homogène pour que tant Al Hoceima que Nador n’apparaissent pas comme de simples bouts d’une omelette- pour reprendre la célèbre expression d’Alain Juppé- dans laquelle ces deux provinces ne se reconnaissent pas socialement. Il leur semble que le Rif est, au mieux, inaudible à Rabat, sinon comme un mal aimé, c’est à dire pas totalement intégré politiquement et sentimentalement comme composante essentielle de l’ensemble national.
La Fronde, de son côté, doit recadrer son discours qui charrie un ressentiment aberrant, assimilant l’existence de la zone militaire d’Al Hoceima et le déploiement des troupes qui y stationnent à une sorte d’épée de Damoclès sur la région pour les raisons que j’ai invoquées dans la 1ère partie de cet article. Elle traduit, en fait sur ce plan, un manque de discernement et une ignorance d’un fait généralisé dans les quatre coins du monde où les déploiements militaires se superposent souvent à l’assiette territoriale administrative selon les impératifs de l’agenda militaire.
Ces déploiements sont au contraire toujours accueillis favorablement- et souvent même réclamés par les populations- parce qu’ils participent, pour le moins, à l’essor économique, dont Al Hoceima a grandement besoin. Pour rester à domicile, l’exemple de la Zone Sud à Agadir est patent. L’érection d’un espace militaire n’est pas significatif d’état de siège, mais obéit à un canevas stratégique relevant de la souveraineté, par conséquent du ressort exclusif du Roi, et échappant, donc, constitutionnellement, à toute ingérence et encore plus à la contestation.
Pour solder le compte définitivement de cette fronde, il faut que la démarche à envisager emprunte une voie inédite et s’exprime par une voix en mesure de transcender les stéréotypes d’usage. Il ne faut, donc, pas se tromper de diagnostic dans cette affaire, et surtout ne pas la laisser trainer en longueur ni la confier à des mains qui ne sont pas, pour le moins, à la hauteur de l’enjeu. Elle nécessite la nomination d’un ‘ Procureur spécial’ relevant directement du Roi pour qu’il puisse agir en toute liberté et sérénité, sans crainte ni complaisance, et pouvoir mener une enquête sereine et objective en mesure d’informer honnêtement le souverain sur les véritables tenants et aboutissants. La balle est à ce niveau. La dévier dans toute autre trajectoire reviendrait à éteindre provisoirement la flamme en négligeant les braises.
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LE GRAIN DE SABLE
La fronde d’Al Hoceima peut à juste titre être considérée comme la première confrontation ouverte avec le nouveau règne. À côté, le Feb 2O de 2O11 parait une simple kermesse, bon enfant. Si l’événement a été mouvementé dans une certaine mesure dans cette ville, il a fait, aussi, vibrer au niveau national un sentiment de solidarité. Pour la première fois un mouvement du genre est parvenu à se doter d’une structure d’expression hors des traditionnelles banderoles récriminatoires sans consistance, exprimant des slogans somme toute assez consommés au fil du temps.
Il a, également, donné par certains côtés l’impression, à défaut de vouloir en découdre avec le Pouvoir, de lui tenir la dragée haute. Il s’est caractérisé, en effet, par trois faits marquants assimilables à un diktat : il a trop duré, au-delà de toute prévision. Il a donné lieu à l’émergence d’un leader, en la personne d’un illustre inconnu, Nasser Zafzafi. Il a emprunté une expression aux relents particularistes, ethnique- emblème amazigh- et nostalgique- emblème et référence à l’épopée rifaine de Abdelkrim El Khattabi. L’intention était indubitablement significative ; à défaut de couper les ponts avec le Pouvoir, lui faire craindre le pire, soit une radicalisation aux allures insurrectionnelles et aux conséquences im(prévisibles).
En face, quatre faits qui, eux, ont, plutôt, caractérisé le Pouvoir négativement: une administration prise en porte-à-faux de vigilance, une absence de structure officielle et efficiente de communication, une indigence de relais de médiation entre la base et le sommet, et enfin un gouvernement que l’on sait aux bottes du Pouvoir, qui, pour une fois qu’il crut pouvoir emboiter le pas à ce dernier et ouvrir ‘ son bec’ à vif, a, malheureusement, versé dans l’irrationnel, avant de se voir obligé d’opérer un virage à 18O degrés en moins de vingt-quatre-heures, sans pour autant arriver à gommer sa gaffe. Mieux encore, dans une deuxième incohérence il prit le contre-pied de sa position initiale, s’attirant, en sus, des railleries de toutes parts.
Ces quatre carences ont permis à la fronde de se maintenir, de se développer et de hisser le seuil des revendications au-delà du correctement politique et du rationnellement tolérable par le Pouvoir. Celui-ci a-t-il préféré faire sienne la maxime ‘ see and wait’, comptant sur l’usure du temps ? Cette tergiversation a-t-elle été dictée par un souci de prudence et de tempérance pour ne pas amplifier un événement jusqu’alors circonscrit localement, prêter du coup le flanc aux ingérences étrangères et ternir une image de marque qui a nécessité plus d’une décennie d’efforts pour la restaurer ? Ou attendait-il tout simplement qu’un grain de sable vienne enrayer la mécanique frondeuse. Il semble que c’en fut le cas. Ce grain de sable a été offert sur un plateau d’argent par celui-là même sur lequel comptait son camp pour mener la fronde à bon port, et dont on craignait, dans le camp opposé, un dérapage regrettable.
En bon novice politique, emballé par les effluves d’une victoire qui lui paraissait à portée de main, et qui lui ont tourné la tête, Nasser Zafzafi finit par tomber dans le piège. Imbu d’une aura inattendue, il enveloppa son discours d’un ton d’où suintait petit à petit un égo surdimensionné. Il crut le moment venu de pousser le bouchon un peu plus loin : braver tout simplement l’État et défier le principe sécuritaire, deux fautes impardonnables. Cette évolution le poussa à déplacer le champ d’action hors de son contexte, dans des conditions de temps et d’espace inappropriées, en plein prêche dans une mosquée ; se plaçant d’emblée, probablement sans trop y réfléchir, victime de sa propre vanité, dans une posture difficilement excusable et défendable. La même attitude, les mêmes propos seraient sûrement passés plus indulgemment à quelques mètres seulement hors de cette enceinte.
L’arrestation de Nasser Zafzafi, le 29 mai, a-t-elle éradiqué définitivement une contestation, qui se serait révélée, tout compte fait, un simple feu de paille qui aura simplement un peu trop duré, ou a-t-elle uniquement estompé un épisode qui mal agencé semble se retourner contre ses auteurs ? Le communiqué, de ce jour, du Parquet général de la Cour d’Appel de Casablanca, en charge du suivi de l’affaire, est lourd d’accusations et de sens.
Affaire à suivre
Par Mohamed Mellouki, Colonel à la retraite.
Maghreb Canada Express, Vol.xv, N° 06, 10 juin – 09 juillet 2017
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