A l’instar de la majorité de mes concitoyens, j’ai été amené à répéter des mots, voire des slogans quasiment absurdes, dont j’ignorais le vrai sens et qui n’avaient aucun rapport avec la réalité. Parfois, et c’est plus grave, nous étions obligés d’accepter presque « des monstruosités léguées » par nos ancêtres et que nous imposaient nos pères et mères.
Je me rappelle que pendant mon enfance, je devais presque « vénérer » un vieux figuier qui a élu domicile au fond d’une vallée. Plantée par un paysan dont j’ignorai l’identité jusqu’à présent, qui tenait à avoir un repère ou ne borne naturelle pour marquer la frontière de sa parcelle avec celles de ses voisins. Ce « figuier marabout » et, vu le lieu choisi pour sa plantation, avait certaines particularités qui la singularisait des autres « figuiers normaux ». C’était un arbre dont les branches n’étaient pas totalement couvertes de feuilles- un figuier partiellement chauve-, ce qui la différenciait des autres figuiers du voisinage immédiat. C’était aussi un figuier « stérile » qui ne donnait pas de fruits. Mais pour des raisons obscures, personne n’osait recourir à la méthode pratiquée à l’époque pour à savoir si c’était un « figuier mâle- caprifiguier ou un figuier femelle ». Fortement craint, notre figuier fétiche n’a jamais fait l’objet d’une tentative de fécondation qui devait nous renseigner sur son genre et le rendre utile. Notre figuier avait aussi la caractéristique d’avoir une racine dont une bonne partie a été détachée du sol. Ceci est dû au fait que chaque année, et lorsque les précipitations pluviométriques atteignent un certain niveau pendant l’hiver, une source jaillit brusquement du sol que la racine de notre figuier partageait avec quelques roches. Ce qui donne naissance à un cours d’eau dont le débit était moyen ( une séguia comme on dit au bled ) et qui s’offrait le luxe de pouvoir sillonner les méandres de la vallée avant de tarir vers la fin du printemps .
Singulier à plusieurs titres, notre mystérieux figuier était connu sous le nom de « Lalla Karma ». Tous les habitants du « Douar »- ensemble de maisons dans la campagne marocaine appelé aussi « Dcher » dans le Nord du Maroc – l’appelaient ainsi sans se donner la peine de s’interroger sur le pourquoi de ce titre distinctif. Pour ceux qui ne parlent pas la « darija », langue populaire de communication entre marocains, « Karma », signifie figuier et « Lalla » est un terme, qui serait d’origine amazighe, signifie « Madame ». Il est utilisé par les nord- africains comme un titre de distinction accordé aux femmes importantes et respectées. C’est aussi un terme très utilisé pour des raisons religieuses. Ce qui permet de donner naissance à des « femmes maraboutes ». Pour les hommes, on utilise le terme « Sidi » au lieu de « Lalla », réservé aux femmes.
A ce titre, « Lalla Karma » recevait des bougies dès la tombée de la nuit par des femmes jeunes et d’un certain âge qui voudraient, exprimer de cette façon, leur respect indéfectible dû à cet arbre qui serait « doté d’un pouvoir surnaturel conféré par Dieu ». Ses branches sont ornées par des morceaux de tissus de différentes qualités et différentes couleurs par de jeunes femmes qui espéraient, ainsi, endiguer ou conjurer le mauvais sort « qui les empêchaient d’ être des candidates au mariage ». Personne n’avait le droit de remettre en question le titre conféré au figuier en question. Le plus grave, serait de s’interroger sur les raisons qui ont conduit nos parents et grands-parents à accorder ce titre hautement distinctif à un figuier, un figuier avare, qui ne fournissait ni ombre utile ni fruits.
Un autre exemple peut paraitre aussi édifiant que celui que je viens de citer. Je me rappelle que les manuels scolaires de l’époque post -indépendance ambitionnaient de nous inculquer une assertion complètement fausse sur le niveau de développement de l’agriculture marocaine et les atouts dont disposait le Maroc dans ce domaine. Selon ces manuels, « le Maroc était présenté comme un pays à vocation agricole ». A cette époque, les outils de raisonnement logique et les connaissances acquises au prix d’un grand effort de mémorisation, ne nous permettaient pas de nous poser les interrogations qu’il fallait se poser pour être convaincus, ou non, de la pertinence scientifique d’une telle assertion . En tant qu’élève du collège et à l’instar de tous les enfants de ma génération, j’avais le devoir d’apprendre sans comprendre, et de rendre aux enseignants « la marchandise reçue », le jour des contrôles périodiques ou des examens finaux. Ceci était dû au fait que la pédagogie adoptée et le modèle de transmission des connaissances dans des écoles dites modernes ne différaient pas beaucoup de la méthode sclérosée qui sévissait dans les « M’sids ( écoles coraniques des quartiers populaires) ». Les élèves, que nous étions, devaient écouter, apprendre et réciter. L’esprit critique était le grand absent du système scolaire marocain de l’époque.
Lorsque j’ai commencé à m’infliger un autre exercice d’une autre nature, un exercice qui me permettrait de recouvrer la pleine liberté de raisonner autrement, je me suis aperçu que cette assertion était erronée et sans rapport avec la réalité . En effet, la superficie limitée de la Surface Agricole Utile ( SAU) , les conditions climatiques ( une agriculture soumise aux aléas climatiques), les compétences techniques et scientifiques des agriculteurs , le morcellement et l’exiguïté des parcelles agricoles, ne prédisposaient pas le Maroc à acquérir le statut de « pays à vocation agricole ». Les techniques culturales et les facteurs de production traditionnels ou archaïques de cette époque ne permettaient pas au Maroc de réaliser un rendements moyen par hectare qui pouvait lui permettre d’appartenir au club fermé des vrais pays à vocation agricole dans le monde. Signalons au passage, que pendant les années qui ont suivi l’indépendance du Maroc, la mécanisation agricole était l’apanage de l’Etat-exploitant agricole- et les grands agriculteurs. A cette époque, la céréaliculture qui dominait largement le paysage agricole marocain à cause, certainement de la survivance de l’agriculture de subsistance, était caractérisée par un taux de rendement trop faible pour être comparé à celui réalisé par les agriculteurs des pays développés. Et pourtant, selon le cours de géographie, que nous devions apprendre par cœur, le Maroc était considéré comme « pays à vocation agricole ».
Récemment, tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à la gestion des affaires publiques au Maroc ont été amenés à présenter sous le titre « séisme politique », l’événement qui s’est produit au Maroc, le 24 octobre 2017, et notamment le limogeage de 3 ministres et un Secrétaire d’Etat. Faute de mieux, j’ai été conduit à adopter la même position.
Heureusement et en ce qui me concerne, le matraquage médiatique exercé par les faiseurs d’opinion au Maroc, n’a eu qu’un effet éphémère sur ma façon d’apprécier les événements, politiques ou autres, que connait le Maroc. Ce qui m’a conduit à recouvrer, sans trop tarder, le droit et le devoir de m’interroger sur le bien fondé de ce terme et sa capacité à refléter la réalité.
Un cours sur le séisme, même pour des débutants en géologie, doit nécessairement nous conduire à connaitre la signification d’au moins quatre éléments qui le caractérisent. C’est à dire le foyer et la zone de failles, l’épicentre, la magnitude ainsi que l’intensité des dégâts causés par les répliques. Qualifiées de « séisme politique », les sanctions prises par le Roi Mohammed VI à l’encontre d’anciens ministres ou des ministres en activité n’ont pas été profondément étudiées par la presse marocaine qui s’est contentée de relater les faits sans aller jusqu’ à renseigner le lecteur sur les éléments caractérisant le soi-disant « séisme politique ».
Personnellement, j’estime que les nombreuses informations livrées ou relayées par la presse marocaine sur le « séisme politique » ne m’a pas permis de localiser, d’une façon claire et nette, son foyer ou le lieu de rupture . Celui -ci se situerait-il- à Al Hoceima ( Hirak du Rif), à Zagora ( manifestations contre la soif) , à Kelaat Sraghna ( colère contre un imam) ou quelque part au Maroc ? Une question qui reste presque sans réponse, jusqu’à présent.
Par contre, nous savons que l’épicentre de ce « séisme politique » se situerait à Rabat et non ailleurs. C’est pourquoi, ses premières victimes sont des membres du gouvernement. Le principe de la solidarité entre les membres d’un gouvernement devrait être à l’origine d’une généralisation ou au moins d’un élargissement du champ d’action des sanctions ; car il y a des responsabilités directes mais aussi des responsabilités politiques et morales qu’il faut assumer. Viser les uns tout en épargnant d’autres nous conduit à nous poser des questions sur le critère « choisi » pour rétrécir la zone d’action de l’épicentre du « séisme politique » en vue d’en limiter les dégâts.
Le séisme est la conséquence d’un phénomène naturel qui se produit, en profondeur. Mais, ses conséquences et ses effets désastreux sont observées sur la partie superficielle de l’écorce terrestre. Par conséquent, la force de destruction est déclenchée en profondeur et non pas à la surface.
Or, le « séisme politique » dont on parle a été déclenché à partir du sommet de la hiérarchie. La base n’y a joué aucun rôle. Peut être, une autre gestion du « Hirak du Rif » pourrait nous faire croire à un « séisme politique ». Pour toutes ces raisons et certainement d’autres que nous ignorons, j’estime qu’il il serait plus judicieux de croire que la décision royale serait plutôt un coup de matraque et un rappel à l’ordre. Le vrai « séisme politique » auquel le Roi Mohammed VI a fait allusion lors de son discours, prononcé à l’occasion de l’ouverture de la session d’automne du parlement , serait peut être reporté à une date ultérieure.
Enfin, il serait vivement souhaitable que ce coup de matraque ne soit pas utilisé, par une certaine presse, pour déplacer le débat vers des questions subsidiaires n’ayant aucun rapport avec la question centrale, à savoir la corrélation évidente entre le développement et la gestion du temps et des deniers publics . Une gestion confiée, le plus souvent, à une élite politique choisie par un électorat, malheureusement, mal encadré.
Par A. Saber, Diplomate à la retraite, pour Maghreb Canada Express.