Les chantiers structurants lancés par SM Le Roi Mohamed VI depuis son intronisation ont permis au Maroc de réaliser des avancées notables dans plusieurs domaines comme en témoignent les réalisations de ces deux dernières décennies. Pour continuer sur cette lancée, à même de permettre au pays de réaliser la transformation tant attendue de son économie, les politiques de développement sectoriel devraient tenir compte des facteurs endogènes et exogènes pouvant accélérer ou ralentir l’atteinte des objectifs qu’elles se sont fixés. Il est une évidence implicite que l’eau est de loin l’un de ces facteurs clés à prendre en compte eu égard au contexte naturel très contraignant qui conditionne la disponibilité spatio-temporelle de cette denrée vitale à l’échelle du pays.
Comparativement au reste du monde, l’eau au Maroc est un bien plutôt rare et marqué par une grande variabilité dans le temps et l’espace. Les ressources en eau naturelles renouvelables dont dispose le pays avoisinent actuellement les 650 m³/hab/an et sont de ce fait en deçà du seuil de 1000 m³/hab/an, communément admis comme seuil critique indiquant l’apparition de pénuries d’eau.
Les précipitations au Maroc sont rares et irrégulières : les moyennes annuelles enregistrées varient fortement du nord vers le sud du pays (de 800 mm au nord à moins de 25 mm au sud) et de l’ouest à l’est (de 600 mm à 100 mm) avec une amplification sur les reliefs du Rif et de l’Atlas (jusqu’à plus de 1200 mm). En moyenne, le potentiel en ressources en eau de surface est évalué sur l’ensemble du territoire à environ 18 milliards de m³/an et peut varier dans un rapport de 1 à 9 selon l’hydraulicité de l’année (47 milliards de m3 d’apports d’eau de surface en 1962 contre 5 milliards en 1992).
Rapportées à la population, les ressources en eau renouvelables disponibles par habitant sont marquées par une grande disparité spatiale entre les régions. Elles peuvent varier dans un rapport de 1 à 8 : 140 m3/habitant/an dans le bassin du Bouregreg- sans tenir compte du transfert du bassin de l’Oum Erbia- et 1180 m3/habitant/an dans le bassin du Loukkos. Cette variabilité spatiale peut être aussi illustrée par le fait que 7,4% de la superficie du Royaume s’accapare 51% du potentiel global en eau de surface du pays. Cette situation est malheureusement en train d’empirer sous l’effet du changement climatique qui a tendance à accentuer les phénomènes extrêmes, sécheresses et inondations.
Conscient de l’importance vitale de l’eau pour accompagner son développement socioéconomique, le Maroc s’est engagé depuis les années 60 dans la voie de la maîtrise de ces ressources en eau à travers la réalisation d’importante infrastructure hydraulique qui lui a permis jusque-là d’assurer ses besoins en eau sans difficultés majeures. Des avancées importantes ont été également enregistrées dans la modernisation du cadre réglementaire et institutionnel à travers la promulgation de la loi 10-95 sur l’eau qui a jeté les bases en 1995 d’une gestion intégrée, décentralisée et participative des ressources en eau, avec la création des Agences de Bassins Hydrauliques (ABH). Cette loi a été révisée en 2015 par la loi 36-15 pour combler les lacunes constatées durant 20 ans de sa mise en œuvre.
Ces importants acquis ont permis au Maroc de satisfaire sans grandes difficultés ses besoins en eau malgré des périodes de sécheresses sévères telles celles vécues durant les périodes 1980-1985 et 1990-1995. Le pays a réussi depuis plusieurs années le pari de généraliser l’accès à l’eau potable en milieu urbain et il est en passe de faire de même pour le milieu rural. L’irrigation moderne s’est développée sur plus de 1,5 millions d’hectare, dont 2/3 équipés par l’Etat, et contribue en moyenne à 45% de la valeur ajoutée agricole.
En plus de la satisfaction des besoins en eau potable et d’irrigation, les grands barrages équipés en usines hydroélectriques contribuent en moyenne à hauteur de 10% de la production totale du pays en énergie électrique. Ils permettent également de protéger les grandes plaines contre les inondations (Gharb, Moulouya, Loukkos, Tafilalet, Chaouia,…) ainsi que plusieurs villes et centres urbains se trouvant à leur aval.
Le Maroc devrait faire face dans le futur à des défis liés à l’eau plus ardus que ceux relevés de par le passé
Malgré leurs succès, les politiques hydriques du Maroc ont laissé des séquelles à traiter et font face à des défis plus ardus que ceux affrontés de par le passé. Ces challenges sont relevables pour autant que le pays réadapte sa politique hydrique en s’offrant les moyens humains et financiers pour sa mise en œuvre. Mais avant de rappeler ces insuffisances, il y a lieu de préciser que le plus grand défi à relever par le Maroc dans le secteur de l’eau est d’abord d’ordre humain. En effet, on assiste depuis quelques années à rythme effréné d’érosion du savoir-faire hydrique due essentiellement au non renouvellement des compétences qui étaient à l’origine des grandes réalisations du Maroc dans le domaine de l’eau ayant suscité admiration et respect de la part de la communauté internationale. D’ailleurs, le Maroc a eu le privilège d’abriter en 1997 à Marrakech le premier Forum Mondial de l’Eau qui depuis, consacre un Prix international au nom de Feu Hassan II aux chercheurs et organismes distingués par leurs travaux dans le domaine de l’eau.
Les grandes réalisations de la politique de l’eau au Maroc ne doivent pas cacher les insuffisances dont elle souffre et les séquelles qu’elle a laissées. Le développement de l’irrigation à grande échelle n’a pas été sans conséquences néfastes sur les nappes qui sont surexploitées d’environ 1 milliard m3/an et qui subissent en plus une dégradation de leur qualité par les pesticides et les nitrates issues de la percolation des eaux d’irrigation. Ce sur-pompage est une réelle menace pour la durabilité de l’exploitation de plusieurs nappes soit par déstockage cumulatif de leurs eaux non renouvelables, comme c’est le cas des nappes du Souss et du Saiss, ou par l’intrusion des eaux marines dans les nappes côtières comme c’est le cas de la nappe des M’nasra dans le Gharb. Ce pompage excessif a entrainé également une réduction alarmante de l’étendue de certains lacs, voire leur disparition, comme c’est le cas dans la région d’Ifrane, (Dayet Aoua, Hachlaf et Ifrah).
Le secteur de l’assainissement n’est pas en reste. Il accuse un retard, notamment en milieu rural, qui porte préjudice à la santé publique et au milieu naturel puisque près de 600 Mm3 d’eaux usées sont déversés annuellement sans traitement dans le milieu naturel. La pollution de l’eau par les rejets industriels et domestiques a atteint des seuils alarmants au niveau de certains oueds comme le Sebou et certaines nappes comme celle de Tadla. A l’opposé, des montants mirobolants ont été investis ces dernières années dans des émissaires en mer au niveau des agglomérations de Tanger, Rabat-Salé et Casablanca qui déversent en Méditerranée et en Océan Atlantique des volumes importants d’eaux usées qui auraient pu être réutilisés après un traitement adéquat.
En année normale, le secteur de l’irrigation consomme près de 88% des ressources en eau mobilisées au Maroc. Seulement, l’eau destinée à l’irrigation, régularisée par les barrages n’a pas encore atteint sa valorisation quantitative et économique escomptée pour deux raisons essentielles : i) la faible efficience de l’usage de l’eau d’irrigation au niveau des systèmes gravitaires, encore dominants malgré la reconversion à l’irrigation localisée menée dans le cadre du Plan Maroc Vert, et ii) le retard considérable d’aménagement hydroagricole des superficies dominées par les barrages, El Wahda en l’occurrence, qui avoisinerait les 100.000 ha.
Par ailleurs, le rythme et l’ampleur de l’action de l’Etat en matière d’aménagement des bassins versants ne sont pas en adéquation avec les besoins réels pour pallier l’effet de l’érosion des sols qui fait perdre au Maroc près de 750 Mm3/an de capacité de stockage au niveau des barrages.
Sous l’effet du réchauffement planétaire qui a tendance à se confirmer, les perspectives de l’évolution du climat du Maroc ne sont pas rassurantes en ce sens qu’elles laissent présager une diminution des précipitations et une accentuation des épisodes secs et des inondations. L’impact de ce bouleversement climatique est d’ores et déjà décelable sur la fréquence et la distribution des cycles hydrologiques au niveau du pays. Les dernières années ont vu une augmentation nette de la fréquence des sécheresses et des inondations. Le changement climatique a eu, et aura, un impact significatif sur l’accentuation de la variabilité spatio-temporelle qui caractérise les ressources en eau au Maroc. Sur la période 1940-2010, les années les plus sèches ont été enregistrées durant la période 1980-2010 qui a accusé une baisse de la moyenne des apports en eau de surface de l’ordre de 15 à 20% par rapport à la moyenne de la période 1940-2010.
La récurrence et l’intensité des sécheresses vécues par le Maroc ces dernières décennies leur confèrent un caractère structurel qui s’accentue sous l’effet du changement climatique. Durant les périodes de sécheresses généralisées, 1980-1985 et 1990-1995, le bilan hydrique était déficitaire dans pratiquement tous les bassins versants du pays. L’intensité et la fréquence des inondations vécues par différentes régions du Royaume ces trois dernières décennies sont des témoins de l’accentuation de ces phénomènes par le changement climatique qui aura tendance à les amplifier davantage durant les années à venir.
Le Maroc dispose d’importants atouts pour relever les défis liés à l’eau
Le cadre institutionnel et réglementaire qui régit le secteur de l’eau au Maroc, les politiques sectorielles lancées ces dernières années par l’Etat, notamment la stratégie nationale de l’eau, le Plan Maroc Vert, la stratégie énergétique et autres, devraient permettre au pays de relever les défis qui s’imposent au secteur de l’eau pourvu que leur mise en œuvre soit intégrée, concertée et participative.
Le Plan National de l’Eau (PNE), en cours de finalisation, devrait doter le pays d’une vision intégrée et intersectorielle pour le secteur de l’eau. Il devrait plus particulièrement se pencher sur les questions d’ordre stratégiques telles que les priorités de l’Etat en matière de développement des ressources en eau, le grand transfert de l’eau du nord au centre du pays, l’adaptation du secteur à la régionalisation en cours de mise en place, …
De nombreuses solutions existent pour faire face aux défis de l’eau au Maroc. Leur mise en œuvre dans le cadre d’une stratégie innovante et intégrée de tout le secteur de l’eau devrait permettre au Royaume de régler les problèmes les plus urgents et de faire de l’eau un facteur décisif de son développement durable. Ceci passe inéluctablement, et en premier lieu, par la qualification des ressources humaines du secteur de l’eau et le renouvellement de l’ancienne élite qui a hissé le Maroc au rang des plus grandes nations dans ce domaine.
Le Maroc devrait asseoir et mettre en œuvre une politique hydrique à même d’assurer une adéquation permanente entre la demande et l’offre en eau en puisant d’abord dans les solutions offertes par la gestion de la demande. Toute mobilisation additionnelle des eaux, somme toute inéluctable pour couvrir la demande sans cesse croissante, devrait combiner et les techniques conventionnelles et celles non-conventionnelles comme le dessalement et la réutilisation des eaux usées traitées. La préservation de la qualité de l’eau et des milieux naturels, la protection contre les dégâts des inondations et la solidarité inter-régionale et intergénérationnelle devraient être pris en compte pris en compte dans tout programme de développement des ressources en eau.
La nature joue un rôle unique et fondamental dans la régulation des différentes fonctions du cycle de l’eau, au sein duquel elle peut agir comme régulateur, nettoyeur ou fournisseur d’eau. Les faiseurs de la politique de l’eau au Maroc ne devraient pas négliger les opportunités qu’offrent les processus naturels qui régissent différents éléments du cycle de l’eau. Les solutions qui y sont basées gagnent de plus en plus la confiance des spécialistes de l’eau, elles sont connues sous le nom de Solutions Fondées sur la Nature (SfN) pour l’eau.
Enfin, le financement du secteur de l’eau doit se pencher davantage sur le développement du Partenariat Public-Privé (PPP). Le Maroc a eu le mérite de lancer le premier projet PPP en irrigation dans le Monde dans la région de Taroudant et a adopté ces dernières années une politique volontariste pour le développement de ce mode de partenariat.
En somme, les défis et insuffisances passées en revue constituent un véritable challenge pour le pays. Des mesures urgentes sont nécessaires pour que l’eau ne soit pas une entrave à la remarquable dynamique économique menée par le Maroc ces dernières années. Car tout simplement, l’eau au Maroc est la ressource naturelle par excellence qui conditionne la faisabilité et la durabilité de tout projet quel qu’il soit.
Par Dr, Ing. Mohamed Alaoui, (Expert Senior en eau et développement durable) pour Maghreb Canada Express, (Édition électronique) Vol. XVIII, N°06 , pages 8-9, JUIN 2020.
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