Ma carte de séjour vint à échéance quelques semaines avant l’obtention de mon diplôme à L’École Nationale des Sciences Géographiques sise, ces temps-ci, à Saint-Mandé (France).

Ce fut en 1977.

Comme la loi de ‘’l’emm… maximum ‘’ commençait à faire partie du quotidien maghrébin en France ces temps-ci, je n’ai pas voulu prendre de risque et courir la chance de me faire arrêter, le jour de l’examen final par exemple, lors d’un contrôle policier de routine qui, délit de faciès oblige, touchait davantage le bougnoule qu’une autre ethnie.

J’ai donc décidé d’aller renouveler cette carte auprès des autorités compétentes.

1977 ! Ce fut à peine 21 ans qui se sont écoulés depuis le divorce entre la France et ses deux colonies le Maroc et la Tunisie. Les Français nés dans ces deux (ex) colonies françaises au moment de la séparation sont maintenant majeurs et vaccinés contre tous les virus… sauf contre celui de la haine. Et Dieu sait combien c’était facile de canaliser cette haine entre membres de même famille chassés de pays qu’ils croyaient être les leurs !

Ces temps-ci, les blagues sur les Arabes et les remarques racistes étaient à la mode. Et j’en connaissais quelqu’un qui, après avoir demandé son chemin pour se rendre à un foyer d’ouvriers maghrébins, s’était fait répondre ‘’Tu n’a qu’à suivre la saleté sur le trottoir là-bas. Tu ne pourras pas rater le foyer’’ ou ce condisciple (qui osa demander au prof d’être moins méprisant et de se concentrer davantage sur son cours de cartographie que de perdre son temps à dénigrer le pays d’origine des autres) qui se fit répondre du tac au tac : ‘’Tout le monde sait que l’Homme est descendu du singe, mais vous, mon vieux , vous en avez dégringolé !’’

Mais ce n’est pas le mépris des français qui me poussa à mépriser l’idée de m’établir en France. Nous les marocains, nous en souffrions moins que les algériens, par exemple, qui, eux, n’avaient obtenu leur indépendance qu’en 1962 après une guerre de libération qui aurait fait un million de morts; côté algérien ! Et les blessures étaient encore béantes en ces fins des années 1970 de part et d’autres ! D’autant plus que la Haine ne s’adresse plus spécifiquement à l’Arabe, mais dérape pour commencer à se focaliser sur le Musulman.

Aussi, quand le fonctionnaire chargé de renouveler ma carte de séjour,  en conditionna le renouvellement à une signature de déclaration sur l’honneur, de ma part, spécifiant de quitter la France sitôt mes études terminées, j’ai signé le document illico-presto tout en éclatant de rire !

Je retournai donc au Maroc  en aout 1977; décidé à faire honneur à ceux qui ont versé leur sang pour libérer mon pays de naissance, et ce, en me consacrant corps et âme à son développement.

Et puis vint ce stage à Ottawa en 1986.

Je découvris alors un peuple accueillant, humain et curieux d’en apprendre sur l’Autre et qui s’enrichit en s’ouvrant à autrui dans un respect mutuel !

5 ans plus tard je fis du Canada mon pays d’adoption et celui de l’avenir de mes enfants.

31 plus tard, un certain Alexandre Bissonette, âgé de 27 ans, exécuta lors de leurs prières, et en profanant une mosquée, 6 musulmans. 26 mois plus tard, et à l’autre bout du Monde, un australien de 28 ans prit Bissonnette comme modèle pour perpétrer un carnage à Christchurch (Nouvelle-Zélande) dans 2 mosquées. 27 mois après cette tragédie, la terreur prit un masque encore plus jeune et c’est un autre jeune-homme, à peine âgé de 20 ans qui décida d’ôter la vie à 4 membres d’une même famille musulmane au cours de leur promenade paisible; du moins l’était-elle avant d’être fauchés intentionnellement par le camion du criminel !

Qu’est-il arrivé à mon Canada de 1986 ?

A chaque fois que nous essayons de chercher une réponse à des questions de ce genre,  on nous crache à la figure « La théorie du complot » . Autant parler aussi, et pourquoi pas ?, de Théorie de la Haine ou de Théorie de la Peur insensée du Musulman ! La haine qui serait engendrée par la peur de l’autre ! Et la peur de l’autre qui serait engendrée par le Complot !

Or la Haine existe ! Or la peur existe ! Et, n’en déplaise; le Complot lui aussi existe ! Il serait donc temps de prendre son courage par les deux mains et se pencher sereinement sur ce problème . Il serait temps aussi de se poser la question si certains européens, entre autres, n’avaient-ils pas réussi machiavéliquement à faire de leur conflit avec certains de leurs ennemis (que le hasard a voulu qu’ils soient de confession musulmane) un conflit contre l’Islam… Pour rallier à leur cause bon nombre de démocraties contre une croyance présentée comme anachronique !

Les coups échangés avec ces ennemis ne le furent pas parce que les adversaires étaient musulmans mais parce qu’il y a, ou qu’il y a eu par le passé, litige. Le boucher de Christchurch explique son geste par ce qu’il avait ‘’appris’’ sur l’islam lors de son voyage en Europe. Est-ce aussi le cas des deux terroristes ici au Canada ? Nous employons le mot ‘’terroriste’’ quoiqu’au moment où nous rédigeons ces lignes aucune accusation de terrorisme n’est déposée contre l’Assassin de London (Ontario) ; ni par le juge ni par l’opinion publique. Serait-ce pertinent de souligner que si c’était un musulman, les accusations de la rue seraient sans appel ? Car la rue croit hélas que l’islam n’est pas une religion, mais une race ; une race monolithique.

Mais qu’importe l’accusation et, par conséquent, la peine qui sera infligée au criminel ! Car elle ne fera de lui qu’une victime de plus… Car , pire encore, elle pourrait n’être que la graine, semée dans le terreau fertile de l’ignorance juvénile de l’Autre; graine qui fera pousser une autre haine encore plus meurtrière ! Non ? Allez demander ça au Boucher de Christchurch qui adopta comme héros  (et modèle d’action) celui qui perpétra avant lui la tuerie de masse de la grande mosquée de Québec !

Que dire de plus ? Sinon essayer de lancer un appel à tous ceux et celles qui ne tolèrent pas cette violence, qui sont peinés par l’injustice qui touche de plus en plus de femmes et d’hommes de confession musulmane, de miser sur l’éducation des générations à venir, en leur enseignant que la barbe et l’apparence ne font pas le terroriste mais font de plus en plus d’innocentes victimes parmi les musulmans. Qu’ils fassent aussi de leur mieux pour que les quelques membres ‘’pourris’’ des générations présentes ne finissent pas par gâter leur entourage en lui inculquant leur ignorance et leur haine déraisonnable de l’Autre.

Par Abderrahman El Fouladi pour Maghreb Canada Express, Vol. XIX, N°06 , page 03 , Juin 2021

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