Avec son histoire millénaire, Tanger est l’une des plus anciennes cités du monde. Et si ses murailles pouvaient parler, elles auraient tant de choses à nous raconter. Cette cité ancestrale berbère a été arabisée, christianisée, islamisée…

Histoire et mythes bâtisseurs

Ces multiples visages de Tanger, son mystère, l’ont toujours accompagnés. Ils font partie des mythes fondateurs de cette cité.

Tanger fut construite par Syphax en hommage à sa mère Tingis, femme d’Antée fils de Gaia, la terre et Poséidon dieu des mers.

Par ailleurs Hercule, est celui, dit-on, qui sépara l’Afrique de l’Europe, formant le Détroit et en plaçant deux colonnes sur les côtés, le mont Calpé à Gibraltar et le mont Hacho (jbel Moussa) à Sebta.

L’arche de Noé vogue et se confie aux flots. Des jours après (6 selon l’épopée de Gilgamesh et 40 selon les autres versions), le soleil fait son retour mais on ne sait pas si les autres continents ont réapparu. C’est le sauveur qui envoie un oiseau, pour s’informer sur la situation. Le volatile revient avec une branche au bec et de l’argile sur les pattes, signe de recul des eaux.

Si dans l’épopée de Gilgamesh on indique le lieu où l’arche a accosté, dans la version de Noé il n’y a nulle indication ; mais une histoire populaire marocaine croit savoir que le port de salut de Noé était Tanger. En voyant la colombe revenir avec de l’argile dans les pattes, il s’écria “Tin Ja” ! (l’argile est arrivée ). Et depuis ce jour là, on appelle cette ville Tanger.

La cité la plus ancienne au Maroc ?

Dès la séquence phénicienne, qui a lancé les bases d’un Maroc côtier, Tanger est devenue un point de chute et un comptoir important pour la circulation des hommes et des marchandises. La ville du détroit représente le bon bout du monde vu sa position géographique stratégique de trait d’union entre la Méditerranée et l’Atlantique “Mer des ténèbres”.

Passée par la suite sous l’autorité de Carthage, Tanger servira ensuite de point de départ à l’implantation romaine et deviendra la capitale de la Maurétanie Tingitane. Aussi, elle est un point de contrôle pour la traversée entre le Maghreb et Al Andalous (Andalousie) et un lieu de rassemblement des guerriers et des armes.

Dominer Tanger c’est régner sur Al Maghreb Al Aqsa

Plus tôt que l’arrivée du moyen âge, c’est celle des conquérants arabes, (après le passage des Byzantins et des Wisigoths) qui va façonner le destin extraordinaire de la ville. Elle jouait le rôle de bascule : les dynasties au pouvoir doivent la dominer pour régner sur tout Al Maghreb Al Aqsa (Maroc, NDLR) et la perte de Tanger signifie la chute de la dynastie au pouvoir.

C’est ainsi que la ville a eu ses périodes d’autonomie, complètement détachée du pouvoir central siégeant à Marrakech ou à Fès. C’est le cas de la période des Azafides, cet émirat éphémère qui contrôla le nord du Maroc dans le XIIIème siècle.

Elle intéressa les voisins andalous de l’émirat Nasride à Grenade, sans oublier les multiples puissances européennes. C’est ainsi, que les différentes dynasties successives (Idrissides, Al Moravides, Al Mohades, Mérinides, Wattasides, Saadiens ou Zaidanides) essayèrent de la contourner en créant les petites cités de Ksar Sghir et Ksar Al Majaz; deux nouveaux ponts vers l’Espagne.

Les premières campagnes militaires menées par les armées musulmanes ont fini par atteindre la Maroc, permettant à Moussa Ibn Noussair de prendre le contrôle de la ville. Plus tard, ce général omeyyade nomma l’un de ses fils à la tête de la cité avant de le démettre et de confier cette responsabilité à Tariq Ibn Zayad.

Mais l’autorité des gouverneurs omeyyades n’a pas duré longtemps puisqu’ils ont été renversés par des rebelles qui revendiquaient leur autonomie en séparant le Maroc de l’Etat califal.

Ainsi, Maysara prit le contrôle de Tanger et de ses environ avant d’être à son tour renversé et tué par les berbères qui saisirent le contrôle du détroit, coupant ainsi le mouvement des armées arabes entre Al Maghreb Al Aqsa et Al andalous.

Par ailleurs, Tanger a servi aussi de terre d’accueil aux refugiés et exilés fuyants le Machreq; notamment Moulay Idriss 1er, fondateur  de la dynastie Idrisside qui ne put s’y établir parce qu’il craignait la proximité des forces omeyyades installées à Al Andalous. Il redoutait ainsi, l’adversité des kharijites, connus pour leur hostilité à Ahl Al Bayt dont il faisait lui-même partie, étant un descendant d’Ali, neveu du prophète Muhammed (PSL). C’est pour cette raison que l’émirat Idrisside s’établira par la suite à Volubilis puis à Fès et non à Tanger.

La métamorphose en métropole internationale : Entre charmes et secrets

C’est après la chute de Sebta entre les mains des Portugais dans le XVème siècle, ensuite des Espagnols, que Tanger va entamer des nouvelles conversions en devenant une métropole internationale : du contrôle portugais, puis espagnol et enfin anglais.

A l’instar d’Istanbul, d’Alexandrie ou de Carthage, Tanger fait partie des villes qui ont façonné et qui façonnent encore la mémoire universelle, elle est à la fois traditionnelle et moderne, calme et agitée.

Désignée Tanger El Alia (l’élevée), Mghougha, atteste du fond amazigh de cette ville fabuleuse par sa population la plus part rifaine ; mais la ville reste plurielle et d’autres tribus ont fini par faire part de sa population; à savoir : les Gueznaya, les Branès, les Juifs venus d’Espagne au moment de la Reconquista. Plus tard, en devenant plus internationale, elle accueillera d’autres arrivants : Anglais, Américains, Espagnols…

Il serait pertinent de souligner que Tanger est moins andalouse que cosmopolite, elle diffère de sa voisine Tétouan, ville jumelle de Grenade. Réceptacle des régions avoisinantes de Jebala, Ghmara, Bni Issef puis les rifains. La ville attirait tout le monde depuis qu’elle était érigée en zone diplomatique internationale.

Puis, il y eut des commerçants Hindous surtout des Anglais de souche. C’est dans le Jbel, où habitait la set anglaise, que fut introduit le golfe, le criquet, le jeu de bridge…

Jusqu’au mariage du roi Charles II avec Catherine de Bragance, Tanger appartient à la couronne portugaise. Au même titre que la ville portuaire de Bombay en Inde, Tanger fit partie de la dot et passa ainsi des mains du Portugal à celles de l’Angleterre). On affluait à Tanger pour faire des affaires, pour l’aventure et aussi pour l’espionnage dans ce passage maritime stratégique.

La ville avait aussi ses juifs qui ont contribué à son élan dont leurs lieux de mémoire demeurent avec leur cimetière et leurs synagogues.

Les nationalistes, depuis les années 1930, avaient fait de Tanger leur plaque tournante, elle marquera l’Histoire contemporaine marocaine par le discours du sultan Sidi Mohamed Ben Youssef en avril 1947, un acte fondateur du Maroc libre.

Dans les années 1950, les nationalistes maghrébins faisaient de Tanger le réceptacle de leurs rêves d’émancipation et d’unité. Deux lieux sont marqués par cette mémoire ornée : l’hôtel Rembrandt et le palais Marchan.

Des enfants prodiges de Tanger

Il serait accablant de négliger les grands noms qui ont fréquenté Tanger ou ceux qui y ont  vécu. De Delacroix à Matisse, de Garibaldi à Churchill, du Kaiser à Harris, du caïd Maclean à Regnault, de Forbes à Elisabeth Taylor.

La ville a aussi ses enfants comme Ibn Battouta ou Sidi Abdellah Guennoun qui font la fierté du pays. Mais il y eut autant de grands noms qui ont forgé leur destin dans son giron. Grands journalistes, tels que Harris, écrivains tels Tennessee Williams ou Paul Bowls, sans oublier Mohamed Choukri, l’enfant terrible. Un lieu de convivialité fort prisé par les intellectuels de Tanger, porte le nom de son célèbre œuvre “le pain nu”. La liste est longue : Ibn Batouta, Mohammed Ben Ali R’Bati, Mohamed Ben L’Arbi Temsamani, Paul Bowles, Lotfi Akalay, Omar Metioui, Larbi Yacoubi, Christine Keyeux, Amed Boukmakh, Farida Belyazid, Moumen Smihi, Jilalil Ferhati, Noureddine Sail, Abdellatif Benyahia, Mohamed Chebaa, Khalil Dammoun, Amina Soussi, Khalid Mechbal, Mekki Moursia, Abderrahmane Yousfi…

Les lieux cultes de Tanger

Des sultans ont par ailleurs choisi d’élire domicile à Tanger. Moulay Abdel Aziz (Sultan of swing), Moulay Ismail et Moulay Hafid marquent la ville, en édifiant le palais «Dar Al Makhzen» et le palais Moulay Hafid qui fut vendu au gouvernement italien.

Tanger a ses hauts lieux qui transpirent l’histoire : la casbah, dar al makhzen, le palais Moulay Hafid, le château Glaoui, Galerie Delacroix, Grande Mosquée, Musée d’Art Contemporain, Fondation Lorin, le palais menebhi, le lycée Regnault, la Grande Mosquée, la Qasbah, le Petit Socco…

Siaghine: C’est la rue principale de la médina. Dans les années trente, elle a vu transiter des tonnes d’or transportées à découvert sur des charrettes sans escorte aucune ! La Mendoubia : L’ancien palais du Mendoub (représentant) du Sultan à l’époque internationale abrite actuellement un tribunal.  Le Café Hafa : Vraisemblablement l’endroit où l’on saisit le mieux l’essence de Tanger. L’hôtel Minzah, le Café de Paris, la Galerie Delacroix, le Boulevard Pasteur, le phare du Cap Spartel, les Grottes d’Hercule, la forêt diplomatique, la colline du Charf, le phare du Cap Malabata, Park Rmilat (Parc Perdicaris), enfin “the American Legation”, offerte par le sultan Moulay Slimane à la jeune nation Américaine il ya de cela plus de deux siècle.

Renaissance de la ville 

A un moment de son évolution, la ville fut livrée à elle-même. Elle avait mal évolué, surtout après le départ des Anglais, des Hindous, l’Europe devenue forte, l’exode rural… Elle renait depuis les années 2000. Elle reprend ses charmes et se modernise. Avec sa baie, sa marina, ces zones industrielles, ses hôtels, son TGV “Al Boraq”, son port, son aéroport… Tanger est redevenue plus marocaine qu’elle n’était, avec un charme qui se renouvelle.

Par Abdel-Jalil Zaidane pour Maghreb Canada Express , Vol. XX, N°09 ,Pages 2-3, Mois de Septembre 2022

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