Ils criaient tous ‘’Au spéculateur!’’… Ménagers, ménagères et même porte-parole du gouvernement (lors d’une de ses conférences de presse en mars dernier); comme on aurait crié ‘’Au Voleur ! Au voleur!’’ Et pour cause ! Les Marocains n’ont jamais eu à payer une facture aussi salée, pour les denrées alimentaires de base, que ce dernier Ramadan ! Le dirham ne vaut plus une Basla (oignon) disaient certains  à la blague; non pas parce qu’il est dévalué mais juste parce que les oignons, les tomates, les piments et le reste sont plus que surévalués!

Or le spéculateur ne serait que le bouc-émissaire dans cette crise car pour que la spéculation soit lucrative, il faut qu’il y est pénurie. Donc logiquement pour venir à bout de la spéculation il faut s’attaquer aux (vraies) sources de la pénurie qui entravent le ravitaillement du marché intérieur . Dans ce qui suit, nous allons mettre l’emphase surtout sur la pénurie touchant les produits agricoles cultivés localement.

Sources de la pénurie

On l’aurait deviné, elles se divisent en deux catégories : Les sources conjoncturelles et celles structurelles.

Comme ce qui est conjoncturel est par définition, passager, nous n’allons pas nous attarder trop sur cette catégorie dans ce court Édito. Contentons-nous de citer quelques exemples; genre COVID19, sécheresses cycliques et guerre de la Russie contre l’Ukraine qui cache son caractère mondial (comme une pucelle cacherait la virginité qu’elle n’a plus) et où tout chacun paie son dû sans pouvoir ou vouloir se l’avouer, et ce, à travers l’augmentation des prix de l’énergie entre autres… Augmentation filée directement au consommateur par plusieurs acteurs dont le transporteur des denrées alimentaires.

Les sources structurelles de la pénurie. Est-ce une fatalité?

Les sources structurelles de la pénurie (non seulement au Maroc mais dans tous les pays de la région) seraient intimement liées, catalysées et amplifiées par trois facteurs principaux : L’augmentation de la population, la diminution de la surface cultivable et la raréfaction de l’eau.

Au début des années 1960, l’agriculteur marocain, par exemple, n’avait à nourrir qu’environ 10 millions d’habitants. 60 ans plus tard, il est appelé à nourrir presque 4 fois plus de Marocains; Ceci sans oublier l’exportation de quoi nourrir quelques millions d’européens supplémentaires… attrait des devises étrangères oblige…

On me dira que la politique agricole marocaine avait X_tuplé les terres agricoles depuis l’indépendance et les périmètres irrigués sont plus vastes; Ceci bien sûr sans oublier les plans multicolores qui font la fierté surtout de leurs initiateurs. Cet argument serait convainquant s’il n’ y avait pas non pas un mais des revers à cette médaille .

Le rétrécissement des périmètres agricoles

La diminution des superficies cultivables est due à plusieurs causes  dont la disparition d’une certaine agriculture urbaine qui garantissait l’autosuffisance de plusieurs villes côtières comme Rabat et Salé ainsi que d’une multitude de villes de l’intérieur du pays comme Meknès, Fès, Marrakech, etc. Cette agriculture urbaine fut assassinée par les promoteurs immobiliers pour favoriser l’étalement urbain en vue de satisfaire une surpopulation due non seulement au taux de natalité mais aussi à l’exode rurale ainsi qu’au développement touristique et à l’afflux de résidants permanents européens retraités.

’Il faut construire les villes dans la campagne. L’air y est tellement plus pur’’ blaguait Alphonse Allais. Mais il n’y a plus de quoi rire en Afrique du Nord car au rythme où va l’étalement urbain, la campagne va se réduire comme une peau de chagrin au point que bientôt il n’y aura plus de campagne dans certains coins…

Avant d’aller plus loin, entendons-nous sur la définition de la campagne dont il est question dans ce texte: Il s’agit , dans le cas du Maroc, de la ceinture littorale limoneuse ainsi que des riches plaines côtières; Ceci sans oublier certaines portions des plaines de Tadla, de Doukkala, de Sais, du Haouz et du Souss. Et, de facto, il ne s’agit ni des terrains rocailleux (où il serait plus judicieux de construire les villes) ni du désert qui , lui aussi, s’étale en grugeant les terres arables du sud et de l’oriental tout en engloutissant au passage certains oasis, et ce… changement climatique oblige !

Pire que la désertification, les changements climatiques traineraient dans leur sillage un impact désastreux sur les ressources en eau dans toute l’Afrique du Nord . Conséquence directe : Plusieurs observateurs s’attendent à ce qu’une multitude de conflits régionaux éclatent incessamment à cause du partage des ressources en eau.

Certains nous diront que l’Afrique du Nord n’est pas concernée car il n’y pas de cours d’eau permanents transfrontaliers.

Les cours d’eau peut-être. Mais qu’en est-il des nappes phréatiques ? Elles n’ont pas besoin d’être transfrontalières pour attiser un conflit : Il suffirait juste qu’elles soient proches d’une frontière… La technique des forages directionnels (ou obliques) suffit au pays voisin d’aller y puiser de l’eau et au pays propriétaire de se fâcher et de prendre les armes pour défendre son bien.

Outre ces conflits entre pays voisins, l’exploitation de ces ressources aquatiques pourrait générer également des tensions sociales internes.

En effet, tout ce qui est souterrain appartiendrait à l’État. Et comme un État ne saurait exister sans peuple, les richesses enfouies dans le sous-sol doivent profiter à toute la population d’un pays. Par conséquent, et en période de pénurie, les agriculteurs qui exploitent les eaux souterraines pour une agriculture strictement destinée à l’exportation devraient obligatoirement alimenter, en premier, le marché intérieur  avant de penser à exporter. Les citoyens ne leur demanderont pas de l’aumône, mais un dû. Ils savent certes qu’ils ont investi et travaillé fort. Mais tout ce qu’ils leur demanderaient ce serait de leur vendre en premier car, insistons là-dessus, l’eau ayant irrigué leurs exploitations est un bien commun.

Pour faire court, quitte à revenir sur le sujet par la suite : Les modèles climatiques n’augurent rien de bon pour l’avenir; côté précipitations en Afrique du Nord. Des pays comme le Maroc ne pourraient plus se permettre le luxe de laisser une seule goûte d’eau se déverser dans l’océan.

Depuis 2010, nous rêvions éveillé, et en public, d’une Rocade de l’Eau qui interconnecterait les bassins versants marocains atlantiques, du Nord au Sud, tout en les plantant d’espèces résistantes à la sécheresse, en y multipliant les barrages collinaires et en y protégeant les lits des cours d’eau contre l’exploitation des sables, le tout pour faciliter l’infiltration de l’eau des pluies dans les nappes phréatiques d’une part et tout en drainant les surplus vers des barrages en aval (comme celui de Rabat, de Zawit Ech-chikh, de Tadla, d’El Massira…etc d’autre part.

D’autres auraient eu la même idée et le chantier serait en cours de réalisation. Un bon point pour le pays.

Par Abderrahman El Fouladi, Ph.D. (géographe, climatologue) pour Maghreb Canada Express , Vol. XXI, N°04, Page 3, Édition d’Avril_Mai 2023.

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