C’est devenue une routine, et tous les gouvernements précédents ont un jour ou l’autre adopté une loi sur l’immigration pour noyer le poisson dans l’eau et mettre un voile sur les vrais problèmes qui occupent les Français souffrant de l’inflation et de la cherté de la vie .

L’immigré est le bouc émissaire à qui on fait porter tous les maux. L’enfer c’est les autres disait Jean-Paul Sartre. Depuis les années 1870 et la première arrivée massive de travailleurs étrangers – des Européens –, la figure de l’immigré reste un repoussoir, notamment dans les périodes de crise où « les identités collectives vacillent ».

Autant en empotent les appellations

L’autre, on l’appelait « le barbare », « le métèque », « le Rital » ou « le bicot » ; on l’appelle aujourd’hui le sans-papiers, le «fraudeur » de l’asile ou la « racaille » de banlieue. Depuis que la France a ouvert ses portes à l’immigration, à la fin du XIXe siècle, l’« autre », qu’il s’agisse d’un nouveau venu ou d’un descendant de migrants, revêt nombre de visages – mais tous, ou presque, sont négatifs. Les Italiens de 1880, les Polonais de 1930, les Algériens de 1960 ou les Maliens de 2020 sont souvent accusés de constituer une menace pour la cohésion sociale, une concurrence sur le marché du travail, voire un péril pour la patrie.

L’immigration représente-t-elle une menace pour les salaires et l’emploi ? Anthony Edo, chercheur au CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), mettait les pieds dans le plat, via un article publié à l’occasion du «Printemps de l’économie 2019», dans le sillage de l’arrivée de centaines de milliers de réfugiés en Europe entre 2014 et 2016. Un phénomène qui avait «ravivé l’intérêt des économistes et du grand public pour la question des effets de l’immigration sur le marché du travail», expliquait-il alors. Près de quatre ans plus tard, c’est la loi destinée à «contrôler l’immigration et à améliorer l’intégration», adoptée cette semaine par le Parlement et en cours d’examen par le Conseil constitutionnel, qui attise à nouveau l’intérêt des économistes et de tout un chacun pour cette fameuse question des conséquences éventuelles de l’immigration sur le marché de l’emploi et des salaires dans les pays d’accueil.

Le preuve, dans un communiqué publié ce vendredi 22 décembre, associations, syndicats et membres de la société civile demandent à Emmanuel Macron de «surseoir» à la promulgation de la loi immigration. Ils «dénoncent» notamment un texte qui «refuse un cadre clair de régularisation des travailleurs sans papiers». Et «ne peuvent accepter de voir le gouvernement et le président de la République endosser une part conséquente du programme historique de l’extrême-droite». De fait, dès le mois de février, Jordan Bardella s’était opposé à l’une des propositions du texte d’origine du gouvernement, qui visait à régulariser les étrangers travaillant dans des métiers en tension, au motif que l’immigration ferait baisser les salaires. «L’immigration est aujourd’hui utilisée par les grands groupes pour peser à la baisse sur les salaires. Et en réalité, quand vous aurez régularisé un travailleur clandestin, les grands patrons prendront d’autres clandestins parce que cette chaîne de faire peser à la baisse sur les salaires est sans fin», avait soutenu le président du Rassemblement national sur LCI, le 5 février.

La nouvelle loi sur l’immigration

Présentée par le gouvernement, durcie par le Sénat, puis rejetée par l’Assemblée nationale et finalement adoptée en commission mixte paritaire dans la nuit du mardi au mercredi 20 décembre 2023, la loi immigration était, à l’origine, présentée comme un texte ayant vocation à contrôler l’immigration, tout en améliorant l’intégration.

Droit du sol

La nouvelle loi prévoit un durcissement du droit du sol. Aujourd’hui, un enfant né en France de deux parents étrangers obtient automatiquement la nationalité française à ses 18 ans à deux conditions : avoir vécu en France au moins 5 ans de façon continue ou discontinue depuis ses 11 ans, et résider en France à la date de ses 18 ans. Aucune démarche n’est nécessaire de la part de l’intéressé pour obtenir la nationalité française, qui lui est automatiquement délivrée.

Il est également possible d’obtenir la nationalité plus tôt, à l’âge de 13 ans, avec une démarche administrative qui doit être à l’initiative de l’enfant ou de ses parents, avec le consentement de l’enfant.

Sur France Inter, mercredi 20 décembre, Elisabeth Borne avait déclaré « on ne remet pas en cause le droit du sol ». Pourtant, avec la loi immigration, l’obtention de la nationalité à 18 ans ne sera plus automatique. L’enfant né de parents étrangers devra « manifester sa volonté » d’obtenir la nationalité française et engager une démarche entre ses 16 et ses 18 ans pour espérer l’obtenir. Il ne pourra pas l’obtenir s’il a été condamné pour des crimes.

Le droit du sol, qui existe en France depuis le 19 octobre 1945, avait été modifié une première fois en 1993 sous le gouvernement de droite d’Édouard Balladur et de son ministre de l’Intérieur Charles Pasqua (1993-1995). Il avait alors été réformé, mettant fin à l’automaticité de l’obtention de la nationalité française pour les enfants nés en France de parents étrangers. Ces derniers devaient alors « manifester leur volonté » d’obtenir la nationalité, entre leurs 16 et leurs 21 ans. En 1998, ce texte de loi, similaire à celui voté cette semaine, avait été remplacé par la loi relative à la nationalité, qui rétablissait le caractère automatique de l’obtention de la nationalité française.

Regroupement familial

Les conditions du regroupement familial sont elles aussi modifiées par ce nouveau texte. Si jusqu’ici, un étranger vivant en France en situation régulière pouvait faire venir sa famille (conjoint et enfants mineurs) après 18 mois de résidence régulière sur le sol français, il lui faudra désormais attendre 24 mois. Si la personne est mariée, son conjoint devra désormais être âgé d’au moins 21 ans, contre 18 actuellement, pour pouvoir la rejoindre.

De plus, les membres de sa famille devront remplir certaines conditions pour le rejoindre, à savoir notamment la maîtrise d’un certain niveau de français; Et, pour l’attester, ils se verront dans l’obligation de passer un examen.

Enfin, la possibilité du regroupement familial dépendra des ressources financières de la personne vivant en France, qui, si elles devaient jusqu’à maintenant être «stables», devront désormais être «stables, régulières et suffisantes». La personne devra également disposer d’une assurance maladie.

Caution pour les étudiants étrangers

Avec la loi immigration, les étudiants étrangers devront déposer une « caution de retour » dont le montant sera fixé par décret, et qui leur donnera accès à un premier titre de séjour leur permettant d’étudier en France. Cette caution leur sera restituée, sauf dans le cas de non respect d’une décision d’éloignement.

Les étudiants dont les revenus sont trop faibles ou dont le parcours scolaire relève de l’excellence en seront exemptés. Sur France Inter, la Première ministre a déclaré que la somme demandée pourrait être «minime».

Titres de séjour

Le délit de séjour irrégulier, supprimé en 2012 par François Hollande, est rétabli dans la nouvelle loi immigration. Tout étranger qui séjourne en France sans visa ou avec un visa expiré sera passible de 3750 euros d’amende et d’une peine complémentaire de trois ans d’interdiction du territoire. En supprimant ce délit en 2012, la France s’était alignée sur le droit européen. Selon le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, son rétablissement permettra de mieux lutter contre l’immigration illégale. Les conjoints de Français et parents d’enfants Français verront eux aussi leurs conditions de délivrance de titres de séjour durcies. S’il fallait jusqu’alors trois ans de séjour régulier sur le territoire pour obtenir une carte de résident, le délais est désormais porté à cinq ans. 

Régularisation des travailleurs sans papiers

Pour répondre aux besoins de main d’oeuvres dans certains secteurs, les travailleurs sans papiers travaillant dans les «métiers en tension», seront régularisés, à condition de résider en France depuis au moins trois ans et d’avoir une activité salariée d’au moins 12 mois, consécutifs ou non, sur deux ans. Parmi ces métiers en tension, on trouve notamment les métiers du BTP, de la restauration, mais aussi les infirmiers. Le travailleur sans papier pourra désormais entreprendre ses démarches de régularisation seul, sans l’aval de son employeur, ce qui était jusqu’ici impossible. La décision de leur accorder ou non ce titre reviendra aux seuls préfets.

Cette mesure sera expérimentée jusqu’à fin 2026 et les sanctions à l’encontre des employeurs de travailleurs irréguliers seront renforcées.

Aide médicale de l’Etat

Si la suppression de l’aide médicale d’État figurait dans la première version du texte et avait été votée par le Sénat, les Républicains y ont finalement renoncé. L’AME permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’une prise en charge à 100% des soins médicaux, 466.000 personnes bénéficient aujourd’hui de cette aide. Sa suppression ne figure pas dans la version finale du texte, et l’AME restera donc en place. Toutefois, le gouvernement a promis de la réformer en 2024.

Tenter de dépasser la crise ouverte provoquée par la loi immigration et « dresser des perspectives pour 2024 » : tel était l’objectif d’Emmanuel Macron qui, au lendemain de l’adoption au forceps du texte, était l’invité de l’émission « C à vous », sur France 5.

La loi immigration est « le bouclier qui nous manquait« , a déclaré le chef de l’État pour qui la France a « des vrais problèmes d’immigration« . « Est-ce que le texte [issu de la commission mixte paritaire, ndlr] est le texte du gouvernement ? Évidemment non », a-t-il souligné, reconnaissant ne pas approuver toutes ses dispositions. « Il y a des choses qui ne me font pas sauter au plafond. La caution demandée aux étudiants étrangers, je pense que ce n’est pas une bonne idée. C’est pas le message de la France. »

Emmanuel Macron doit savoir que les histoires, et les nationalités des immigrés ne comptent guère : les préjugés sur les mineurs belges de la fin du XIXe siècle ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux qui visaient les ouvriers algériens des «trente glorieuses» ou les jeunes de banlieue d’aujourd’hui. «Depuis 1870, on observe une grande permanence des stéréotypes. On faisait aux Italiens des années 1880 et aux Polonais des années 1930 les mêmes reproches que ceux que l’on adresse aujourd’hui aux Arabes : ils vivent entre eux, ils sont violents, ils ont une pratique religieuse obscurantiste qui menace la laïcité à la française. »

Les immigrés sont souvent victimes des regards inquiets, moqueurs, condescendants, voire hostiles. L’immigré, l’étranger victime de sa naissance. Tel est la vie d’un immigré encore aujourd’hui.

Par Mustapha Bouhaddar pour Maghreb Canada Express, Vol. XXII, N°01, Page 02, Janvier 2024

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