Souvenez vous, il y a un peu plus qu’une année, le Maroc avait décidé d’ignorer la proposition d’aide française après le tremblement de terre du 8 septembre 2023.
Le séisme ayant ravagé le Haut Atlas avait causé près de trois mille morts et fait des milliers de blessés et des dizaines de milliers de sans-abri. M. Emmanuel Macron n’était pas le bienvenu dans le Royaume chérifien. Le 16/09/2023, l’agence de presse marocaine officielle (MAP) publiait ainsi un communiqué annonçant qu’une visite du président français n’était « ni à l’ordre du jour ni programmée ». Cette mise au point lapidaire survenait quelques heures après que la ministre des affaires étrangères françaises, Mme Catherine Colonna, eut déclaré que M. Macron comptait se rendre bientôt au Maroc.
Déjà avant cela, les autorités de Rabat ne cachaient pas leur irritation, le locataire de l’Élysée s’étant adressé directement aux Marocains via une vidéo diffusée sur le réseau X (ex-Twitter) pour leur exprimer sa solidarité et celle de son pays. Pour nombre de responsables, il s’agissait là d’un acte de condescendance à l’égard d’un État souverain « coupable » d’avoir snobé la main tendue française — de même que les offres venues de près de quarante autres capitales — pour ne retenir que les secours proposés par les Émirats arabes unis, l’Espagne, le Qatar et le Royaume-Uni.
Cette polémique n’a fait que renforcer un malaise déjà palpable entre les deux pays. En effet, les relations entre Rabat et Paris se sont dégradées depuis la reconnaissance par les États-Unis de la marocanité du Sahara occidental en décembre 2020. Le ministre des affaires étrangères, M. Nasser Bourita, s’était alors empressé de sommer les alliés occidentaux de son pays de s’aligner sur la position américaine.
D’où vient ce retournement de situation ?
Depuis que le chef de l’État français a reconnu cet été la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, les relations entre les deux nations se sont réchauffées. Les dirigeants des deux pays entendent tirer un trait sur une série de contentieux et retisser des liens historiques profondément distendus par trois ans de brouilles. E. Macron a déclaré que pour la France, le présent et l’avenir de ce territoire s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine.
A la clé, plus de 10 milliards d’euros sur la table. La France et le Maroc ont conclu, le 28 octobre 2024, plusieurs accords à l’occasion de la visite d’État d’Emmanuel Macron, accueilli en grande pompe par le Roi Mohammed VI. Grâce à ce nouveau partenariat, plusieurs entreprises françaises devraient voir le jour au Royaume. Il est également prévu la mise en place de 18 TGV reliant Tanger à Marrakech, des centrales solaires et éoliennes, ainsi qu’une usine de traitement de déchets : Un choix stratégique selon Antoine Armand, ministre de l’Économie.
Coté transports, le groupe Egis participera à la réalisation du second tronçon de la ligne de train à grande vitesse Tanger-Marrakech, dont le premier tronçon avait été inauguré en 2018. Alstom va y prendre part en négociant la fourniture de 12 à 18 rames de TGV.
L’équipementier aéronautique Safran va aussi mettre en place au Maroc un site de maintenance et de réparation de son moteur vedette LEAP. Cet atelier de 25.000 m2 sera situé dans la zone aéroportuaire de Casablanca et devrait être opérationnel « d’ici 2026 », selon Safran. Il sera accompagné de la création d’environ 600 emplois directs à horizon 2030.
Le transporteur maritime CMA CGM va également s’associer avec Marsa Maroc pour « équiper et exploiter » pendant 25 ans la moitié du terminal à conteneurs de « Nador West Med », dans le nord du Maroc. CMA CGM et l’entreprise marocaine vont créer une co-entreprise pour équiper 35 hectares du terminal à conteneurs ainsi que 750 mètres de quai. Les investissements doivent s’élever à 280 millions de dollars sur 25 ans.
La reconnaissance de la Marocanité du Sahara
D’après « Le Monde Diplomatique », désormais publiée sur le site du ministère des affaires étrangères français, la fragile limite (sur la carte), qui laissait supposer que le Sahara occidental était, aux yeux de Paris, une entité distincte du reste du territoire, fut gommée mardi 29 octobre dans la soirée, quelques heures après qu’Emmanuel Macron ait réitéré, devant le Parlement, à Rabat, au deuxième jour de sa visite d’Etat dans le Royaume, la «reconnaissance» par la France de la «souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ».
Outre cette modification cartographique lourde de sens politique, Jean-Noël Barrot, le patron du Quai d’Orsay, a annoncé, le même jour, lors d’une conférence de presse, aux côtés de son homologue marocain, Nasser Bourita, que Paris allait «accroître [son] action consulaire et culturelle» au Sahara occidental, en vue d’y «ouvrir une Alliance française». Les choses s’accélèrent donc dans le repositionnement de la France sur le dossier sahraoui, qui, avait précisé M. Macron devant les députés marocains, « n’est hostile à personne », allusion à l’Algérie, soutien des indépendantistes du Front Polisario.
Et maintenant ? Si Paris hâte le pas, si son revirement va créer une nouvelle dynamique diplomatique – notamment au sein de l’Union européenne (UE) et au Conseil de sécurité des Nations unies – favorable à la cause marocaine, le contentieux autour du Sahara occidental ne va pas se régler comme par enchantement. Bien des hypothèques demeurent, qui vont prolonger le casse-tête. Aux yeux du droit international, l’ancienne colonie espagnole, que Madrid a quittée, en 1975, dans la confusion du crépuscule franquiste, reste un « territoire non autonome » voué à l’« autodétermination ». La cascade de reconnaissances diplomatiques de sa « marocanité », dont celle de la France est la plus récente – après les Etats-Unis en 2020 –, ne change rien à ce stade aux données fondamentales du litige selon la partie adverse.
La France serait-elle arrivée en retard ?
Rabat a multiplié les pressions sur la France pour qu’elle reconnaisse la souveraineté du Maroc sur ce territoire. Dans une lettre adressée au Roi Mohammed VI en juillet dernier, Emmanuel Macron reconnaît que le plan marocain d’autonomie du Sahara occidental de 2007 est « la seule base pour aboutir à une solution politique juste » avec l’Algérie. L’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun trouve que La France arrive en retard par rapport à d’autres pays européens. Il affirme s’être entretenu avec Brigitte Macron à ce sujet. «Je lui ai dit simplement que la cause du Sahara est une cause sacrée au Maroc. C’est un territoire marocain depuis des siècles, qui a été occupé par l’Espagne et libéré en 1975. L’Algérie a voulu mettre là-bas un mouvement séparatiste pour mettre un État qui serait sous sa direction, le Front Polisario. Or le Maroc veut son intégrité territoriale», explique-t-il. Selon lui, « 102 États ont reconnu cette “ marocanité ”. La France a traîné des pieds à cause de l’Algérie ».
Tahar Ben Jelloun pointe du doigt «la rente mémorielle» qu’appliquerait l’Algérie sur la France. Cette même expression aurait été tenue par Emmanuel Macron lors d’une rencontre en 2021 avec des jeunes descendants de protagonistes de la guerre d’Algérie.
Par Mustapha Bouhaddar pour Maghreb Canada Express, Vol. XXII, N°09, page 04, Édition Novembre 2024