Par Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)

À la fin des années 1980, la brillante animatrice Dr. Amal Hamdi Dakkak animait sur Radio Damas une émission familiale destinée aux Syriens expatriés. Plus tard diffusée à la télévision syrienne sous la supervision de Khaled Jamalo, cette émission permettait aux familles en Syrie d’envoyer des salutations et des nouvelles à leurs proches vivant à l’étranger. Mais certaines familles, dont les membres étaient emprisonnés dans les geôles de Hafez al-Assad et privés de visites, ont trouvé dans cette émission un moyen détourné de transmettre des messages à leurs proches détenus, en les faisant passer pour des expatriés.

Intitulée “Raconte-moi, ô oiseau”, cette émission suscitait des émotions intenses. Les survivants des prisons racontent encore aujourd’hui comment les détenus se rassemblaient fébrilement autour du poste de radio, attendant avec impatience la voix d’Amal Dakkak et les nouvelles qu’elle apportait.

Aujourd’hui, en ces premiers  jours de 2025, le monde entier scrute les nouvelles de la Syrie. Si Damas n’est ni la première capitale à vivre des bouleversements ni la dernière, le tableau actuel se dessine comme une œuvre en cours. Une peinture où beauté, harmonie et contradictions plongent l’observateur dans l’incertitude, cherchant à deviner ce que l’avenir réserve à ce pays et à cette région.

Les forces armées ont avancé : elles ont libéré Alep, vengé Hama, conquis Palmyre, Deir ez-Zor et Homs, pour finalement arriver aux portes de Damas. Une ville que son grand poète Nizar Qabbani décrivait ainsi :

“Je suis le Damascène… Si vous disséquiez mon corps, il coulerait des grappes et des pommes.”

Et encore :

“Damas, trésor de mes rêves et mon refuge… Dois-je me plaindre des Arabes ou de l’arabité elle-même??”

En onze jours à peine, les forces insurgées ont pénétré dans la capitale. Bachar al-Assad a fui, et le deuxième plus grand corps d’armée de la région n’a pas tiré une seule balle. Les généraux, dans un geste d’analyse tactique rare, ont rendu les armes, un événement qui sera certainement étudié dans les académies militaires du monde entier.

Les insurgés ont arpenté la ville, libérant les prisonniers – qu’ils soient victimes ou criminels – de Saydnaya. 

Avec la chute du régime, le poste de radio s’est tu?; Amal Dakkak et son émission “Raconte-moi, ô oiseau” n’étaient plus nécessaires.

Les nouveaux dirigeants se sont précipités dans les hammams et les salons de coiffure, troquant leurs uniformes militaires contre des costumes sombres, des chemises blanches et des cravates chatoyantes venues d’Ankara et d’Istanbul. 

Damas est devenue le rendez-vous de délégations internationales, et un délai de trois ans a été fixé pour l’élaboration d’une nouvelle constitution, quatre ans pour les élections, avec un congrès national prévu en début d’année pour valider les décisions d’Ahmad al-Sharaa.

Tout est bien rangé que veut ce peuple syrien si unique??

Ce peuple, composé de seize communautés ethniques et religieuses, rassemble des Arabes, des Kurdes, des Turkmènes, des Circassiens, des Druzes, des Chiites, des Alaouites, des chrétiens, des Ismaéliens, des Murshidis, des Yézidis, entre autres.

Quant à Israël, elle profite d’un voisin désarmé et sans armée, s’étendant dans le Golan jusqu’à la région du mont Hermon.

De son côté, l’Iran a sécurisé ses installations nucléaires naissantes et relancé les négociations dans le cadre du groupe 5+1 avec Donald Trump. Washington, elle, se satisfait de sa base militaire à al-Tanf et de son contrôle de deux champs gaziers pour financer les Kurdes au nord, dans une rivalité de plus en plus ouverte avec la Turquie.

La Russie, quant à elle, rassurée sur ses bases navale et aérienne à Tartous et Hmeimim, savoure une présence en Méditerranée dont elle n’avait jamais osé rêver.

Devons-nous continuer à rêver??

L’islam politique, dans ses trois dimensions – Appel et prediction , participation politique et jihad –, est-il désormais mûr pour concevoir de nouvelles approches dans ses relations avec l’autre et le monde??

N’est-ce pas là la troisième phase de son évolution?? Si l’on exclut l’expérience chiite iranienne, le Soudan a échoué, les Frères musulmans d’Égypte avec Mohamed Morsi ont trébuché, et voici qu’une nouvelle tentative se joue en Syrie. Mais ce calme apparent ne durera pas.

La question demeure?:

Ceux qui ont réglé l’horloge de Damas sur Ankara, Moscou, Tel-Aviv et Washington réussiront-ils à synchroniser les aiguilles des groupes armés?? Ou bien ces derniers danseront-ils sur des rythmes imprévus??

Comme le rappellent les historiens, Michel Aflaq, en ramenant le baasisme de Paris dans les années 1940, portait un idéal utopique, vite transformé par ses camarades en une lutte interminable entre potences, fosses communes et prisons. Le célèbre écrivain libanais Samir Attallah décrit ce sombre tableau?:

“Les baassistes et les nationalistes de gauche ne se contentaient pas de tuer leurs ennemis?; ils inventaient pour leurs camarades les pires geôles de l’histoire.”

En conclusion,

Si l’Histoire ne cesse de nous surprendre, raconte-moi, ô oiseau… que nous réserve l’avenir??

By AEF