Par Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)

On accuse souvent la jeunesse d’aujourd’hui d’être indifférente à la vie publique, son sentiment d’appartenance nationale se limitant à l’équipe de football, aux réseaux sociaux et aux écrans. Pourtant, l’expérience contredit ce cliché. Depuis vingt-cinq ans, à chaque don du sang, je constate que les files d’attente sont composées en grande partie de jeunes. Casquette vissée, look décalé, air détaché… mais présents, volontaires, prêts à donner leur sang pour des inconnus. Les médecins le confirment : la majorité des donneurs réguliers appartiennent à cette génération. Derrière l’apparence désinvolte se cache une conscience solidaire, discrète mais bien réelle.

La Génération Z – née entre 1997 et 2012 – est la première à avoir grandi dans un monde entièrement connecté. Elle ne connaît pas l’avant-Google ni l’avant-smartphone. Elle s’informe en vidéos et en hashtags plutôt qu’en livres ou en discours. Elle se mobilise pour des causes globales : climat, égalité, libertés. Mais elle se détourne des canaux traditionnels – partis, syndicats – pour inventer d’autres modes d’action : campagnes numériques, mobilisations éclairs, mouvements transnationaux. En Europe, elle a porté Greta Thunberg et les “grèves pour le climat”. Ailleurs, elle a amplifié les grandes luttes sociales. C’est une citoyenneté nouvelle, hybride, qui ne passe plus par les institutions.

Au Maroc, cette génération a grandi au rythme des grands tournants politiques : l’alternance de 1997 et son espoir démocratique, l’intronisation de SM Mohammed VI en 1999 et sa nouvelle vision stratégique,le Code de la famille et l’Initiative nationale pour le développement humain en 2004, puis le souffle du 20 février 2011 et la nouvelle Constitution. Mais à côté des avancées, il y a aussi eu des blocages, des désillusions, des horizons refermés. Bref, une jeunesse nourrie aux réformes promises, mais qui a souvent vu l’espace politique se fermer devant elle.

Le malaise est là : ce n’est pas qu’elle refuse de s’engager, mais qu’elle ne se reconnaît pas dans les cadres proposés. Le week-end dernier l’a montré : ses mobilisations ne sont pas des caprices, mais une demande de reconnaissance. Le vrai défi n’est pas leur colère, mais notre incapacité à la comprendre.

Or, la recherche universitaire marocaine reste prisonnière de vieux clichés : “jeunesse et drogue”, “jeunesse et religion”, “jeunesse et délinquance”. Peu d’études analysent vraiment leurs aspirations. Les institutions politiques, elles, se révèlent incapables d’inventer un langage qui les touche. Résultat : une génération qui se sent invisible, marginalisée, alors même qu’elle constitue la majorité démographique du pays.

Il y a urgence à changer de regard. Plus d’un million et demi de jeunes fréquentent aujourd’hui les universités marocaines : ils devraient être un laboratoire vivant de réflexion et de dialogue. Mais il faut aussi penser aux autres, ceux qui ne sont ni à l’école ni au travail – près d’un jeune sur trois – et qui vivent dans un vide social inquiétant.

La Génération Z n’est pas un fardeau : elle est une force potentielle. Ignorée, elle deviendra un contrepoids silencieux. Écoutée, elle peut être le moteur d’un Maroc plus juste et plus créatif. Les générations précédentes ont affronté le défi de la transition démocratique et de la justice sociale. Le défi d’aujourd’hui est clair : comprendre la langue de la jeunesse numérique et transformer son énergie en projet collectif.

C’est à la politique, mais aussi à la société tout entière, de relever ce pari.

By AEF